Entretiens
Marion Estavoyer
Elle travaille au sein du LFO résonance numérique / Zinc. Elle est notamment à l’origine du projet du Véloglyphe.
Par rapports aux projets que tu as pu réaliser dans tes études ou en dehors (zinc, etc..), quel est le rôle et la place du corps dans tes projets? Comment l’impliques-tu, et comment le considères-tu?
M-E: Ce qui m’intéressait dans ce rapport, c’est avant tout d’avoir fait une formation qui n’était pas désignée comme du design graphique, mais comme de la communication visuelle, donc exclusivement dirigée vers le sens visuel et du coup l’œil. Ce qui m’intéressait c’était de décloisonner ce rapport à la communication en essayant d’aller chercher d’autres manières, par exemple avec le tactile d’avoir le rapport à l’objet, mais aussi le rapport au son, à la mobilité et au corps dans sa globalité. À travers ça, je pouvais sortir d’une dimension trop « print », peut être trop plane, pour de me diriger dans le rapport au numérique et comment le print et le numérique pouvaient cohabiter pour essayer d’amplifier le support ou l’outil en vue de solliciter, d’exploiter tout notre corps.
Pour toi quel est l’intérêt d’une médiation avec les nouvelles technologies et l’intégration du numérique? Qu’est-ce que ces points apportent pour toi?
M-E: Déjà, d’ouvrir les possibles, de ne pas se restreindre à un type de support et un type de sens, mais de pouvoir être dans un rapport au spectateur, à l’auteur. Ne pas être simplement sur une chaise et regarder, mais être dans un rapport d’actions à ce que l’on va voir, toucher, sentir, entendre. Du coup, nous ne sommes pas passif à ce que nous avons en face de nous. Éventuellement pour aller plus loin que l’outil, l’objet ou le support soit en capacité de se déplacer lui-même vers le public et que ce ne soit pas systématiquement l’inverse. Que l’on ne soit pas sur quelque chose de figé, d’attendu mais qui soit en capacité de se déplacer en permanence pour aller chercher les gens là où on a pas pas l’habitude de les attendre. Sortir des encarts JC Ducaux et des arrêts de bus et des panneaux 4x3 qui nous sont imposés sur un trajet quotidien.
Pour toi la relation au corps et au numérique permet alors d’amplifier et d’ouvrir sur de plus grandes possibilités?
M-E: Le numérique seul, pas obligatoirement dans une finalité numérique, parce que le numérique peut être à l’usage de quelque chose qui sera complètement analogique donc on est à la fois dans le rapport à l’interactivité, type arduino, processing, etc, mais aussi comment le numérique en tant qu’outil va nous permettre de recréer de l’objet, d’autres outils pour exploiter tout ça. Et en l’occurence sur la question du vélo, c’était ça, comment le numérique m’a permis de créer l’intégralité de mon dispositif (véloglyphe) et de le rendre viable, en l’occurence dans l’espace public. Et ensuite, au-delà de ça, le rapport au corps, à la fois virtuel et physique, dans le sens où le numérique permet de repartager tout ça. Une fois que tes fichiers, que ton support ou l’intégralité de ton objet est dans un format numérique il pourra prendre toutes les formes possibles derrière s’il est réinvesti. Par exemple, partager sur un wiki, sur un autre espace où les gens pourront s’en saisir d’une manière aussi différente. Du coup un rapport qui circule et qui se diffuse pas seulement au niveau local, mais au niveau national et international.
Aujourd’hui travailles-tu toujours sur ces questions?
M-E: En effet, je travaille toujours sur ces questions là, je poursuis la question du vélo qui me parait être un outil assez intéressant car il est à la fois populaire, mobile et des vertus diverses, à la fois sociale, environnementale, sportive, etc. J’essaye de développer l’outil analogique du vélo, par le biais du numérique, pour amplifier cette mobilité et se jouer de la manière dont l’outil va permettre d’arpenter n’importe quel support. Du coup, je travaille sur un projet qui s’appelle le vélokino, il permet de faire de la projection sons et vidéos en pédalant et du coup, comment cet outil va pouvoir nous permettre de se jouer du support de l’espace public? De venir directement en interaction à la fois avec le public, avec son contexte et ses usages, et met en action le corps du participant et des personnes autour.
Dans ce projet, le rapport au corps et à l’individu acteur est-il mis en place par l’interaction avec son environnement ?
M-E: Oui, ici on a un investissement assez global du corps car il sollicite à la fois le fait de pédaler pour diffuser, mais aussi le fait de voir ce que tu fais, d’écouter et d’être contextualisé dans le territoire, l’espace de la ville.
Le véloglyphe: http://leveloglyphe.tumblr.com/
Axelle Benaich
Elle est la fondatrice et la codirectrice de l’association Design the Future Now / La Fabulerie.
Comment la Fabulerie utilise et intègre les médiations numérique dans ses projet? Par quels moyens? Estimes-tu qu’il existe un rapport au corps dans ces médiations? De quelles manières intégrez-vous les sens, de quelles façons interagissent-ils et avec quels outils?
A-B: La trame narrative de la Fabulerie, elle est plutôt orientée sur le futur, sur la façon dont on se l’imagine, la façon dont on le désir et la façon dont on se met en mouvement pour le mettre en œuvre. À partir de là, on s’appuie sur le numérique, sur le design et sur d’autres choses pour raconter des histoires qu’on espère vraies un jour. Donc, il y a un fond et du coup le numérique est en appuie sur ces histoires là. Forcément, si on imagine le futur, on se l’imagine dans un quotidien avec lequel on interagit, dans lequel on se déplace, dans lequel nos sens sont en éveil, on va se déplacer, travailler, on va boire, on va discuter, on va souffrir, on va être amoureux, etc.. et du coup comment restituer une idée que l’on aurait pour le futur ? De ma façon la plus perceptible possible, c’est aujourd’hui par le numérique.
Là par exemple, la semaine dernière nous avons pu faire un stage Inventarium où les gamins avaient pour contrainte de travailler autour des mots de la francophonie, on avait un cadre imposé et on leur a demandé d’imaginer des objets. Par exemple un des groupes a imaginé qu’en 2220, nous aurions des rhinocéros comme animal de compagnie, que la nuit on serait un peu agité et que l’on se réveillerait d’un coup pour aller voir notre animal de compagnie qui gambaderait. Du coup ils ont imaginé un dispositif qui permet de capter à quelle distance se trouve le rhinocéros et de l’appeler. Ça nous l’avons prototypé en « vrai » avec un capteur infrarouge et entre autre des lumières. Finalement, c’est là où quelque part on se donne des prétextes pour remettre en scène le futur et les interactions que l’on pourrait y avoir.
Donc l’inventarium ce sont des ateliers uniquement avec des enfants?
A-B: Surtout des adolescents.
L’intérêt de travailler avec des ados sur les outils numériques, rejoint pour vous une part d’apprentissage, de transmission des nouvelles médiations et de nouvelles techniques?
A-B: En effet, c’est de leur offrir des alternatives en tout cas. Leur montrer qu’aujourd’hui ce qu’ils ont comme appareils numériques et comme fonctionnalités numériques autour d’eux, ce qu’ils manipulent est lié à de la consommation et c’est ce qu’ils leur est proposé, mais qu’ils peuvent eux aussi très bien imaginer des fonctions qui colleront davantage à leurs besoins, qu’on ne peut pas anticiper aujourd’hui. D’une part, parce que nous ne sommes pas à leurs place et d’autre part c’est aussi pour eux qu’ils imaginent ça. Et le numérique du coup c’est quelque chose avec lequel certains sont à l’aise, mais dans des usages très restreints. Donc, c’est leur donner à voir les possibles, c’est leur montrer qu’en terme de savoir-faire ça s’acquière avec un peu de curiosité et de pugnacité, c’est des choses qui sont à leur portée et qu’en plus des technologies, aujourd’hui, certaines, en tout les cas avec le courant DIY, se simplifient pour se mettre au service de ces narrations. Mais il faut d’abord qu’ils imaginent et qu’ils se posent des questions avant de vouloir pratiquer. C’est pour ça que Maxime Paulet, qui a animé le stage, nous a fait réfléchir pendant trois jours avant de pouvoir produire, ils ont utilisés les machines du Fab lab pour d’une part prototyper l’objet physique (pour le prendre en main, voir sa maniabilité) et après travailler l’interaction.
Je trouve que le numérique est intéressant aussi dans la fonction prototype pour justement essayer, bidouiller et inventer des choses, mais aussi pour donner à voir. Par exemple, on a un petit livret, on va pouvoir le mettre en ligne, le diffuser, mais également on fait une expo à La Criée pour que les gens viennent voir les maquettes et interagir avec.
Donc vous garder toujours ce lien entre le réel et le numérique dans vos projets? Cette corporalité est importante?
A-B: Oui. Je trouve que tout ce qui est dans le courant de la data visualisation, comme pour moi avoir un schéma ç’est intéressant mais on peut aller beaucoup plus loin aujourd’hui, sur des formes d’objets qui sont faits en général à partir de données. Donc faire en sorte que le numérique multiplie nos portes d’accès aux savoirs, aux histoires et aux émotions. On a un besoin d’être dans le mouvement. Le mouvement c’est la vie on le sait, donc est-ce qu’on a envie plus tard d’être simplement passif devant un écran qui va nous donner de l’information ou non… Je pense qu’on a besoin d’être dans l’interaction, le mouvement, le poul. Donc oui c’est important.
Dans les projets de la Fabulerie, quels sont les moyens, les manières, les technologies que vous utilisez le plus en situation?
A-B: Alors il y a nos cinq domaine d’usages*, effectivement en général on va se concentrer sur des objets très simples, ouverts et documentés pour permettre la dissémination, tout ça… qu’il n’y est pas de freins dans l’accès aux technologies mais plutôt qu’on sente le potentiel de tout ça. Par exemple, la touchBoard qu’on utilise beaucoup, on utilise beaucoup tout ce qui est image sous stl, cookiecasters, des applications comme ça qui permettent facilement de passer du 2D à la 3D, de passer de la 3D à la 2D, etc..
Donc en gros pour moi ce sont des ressources passerelles, tous nos dispositifs sur lesquels on travaille en ce moment sont conçus de cette manière. Ce ne sont que des objets passerelles, soit à destination direct du public, soit à destination des médiateurs qui eux-même vont pouvoir sur ces dispositifs adapter, raconter, travailler une histoire en se mettant de côte la contrainte technologique.
On essaye d’aller et de digérer des technologies comme l’occlus ou on revient à des technologies très simples comme le cartomaton, rien de très compliqué, c’est de l’animation flash, c’est hyper ancien. On aime tout ce qui est stable, pas cher et ouvert.
C’est intéressant parce que tu as parlé de notion de transmettre, de documenter et de partager, tu penses que le numérique apporte une facilité à ces actions pour les conserver et les communiquer à un plus grand cercle d’individus?
A-B: Oui, forcément avec l’arrivée du web 2.0 tout ça, on est sur des mouvements où on veut tous proposer des choses et on veut tous accéder à de l’information, finalement on horizontalise l’accès aux connaissances, on est sur des logiques de pair à pair où la reconnaissance est un moteur de motivation. Un moment comment on redonne confiance aussi aux générations, que ce soit les jeunes ou les séniors.
Quelque part, aujourd’hui créer quelque chose et le partager c’est avoir des retours. Un sociologue, Guillaume Pérocheau, qui nous dit toujours que les médias sociaux en fait ce ne sont que de l’épouillage, on continue à avoir des marques de sociabilité qui passent par la reconnaissance de l’autre. Du coup, oui, c’est de la diffusion grand public sans forcément se penser que l’on va communiquer et qu’un japonais va accéder à ce que l’on fait, mais vraiment se dire que l’on va pouvoir le partager à notre quartier, à notre famille, à nos amis et que l’on a soi-même et autour de nous un petit univers que l’on trimballe… et ça, ça donne à la fois des ressources pour multiplier les formes. Avant, on ne s’exprimait que par écrit, par dessins, par gravures, de nos jours on peut trouver le média qui nous correspond pour raconter des histoires. On peut trouver des chemins pour raconter et pour exister en fait.
Je vais juste revenir sur le rapport au corps dans vos projets, il se fait essentiellement par l’interaction des nouvelles technologies? Pour toi est-ce que la place des technologies est primordiale, si on les enlève la finalité sera équivalente?
A-B: Ce qui est important c’est qu’il reste la substentique mœlle, si l’on est sur un objet intéressant et que l’on enlève le numérique, il existe encore quelque chose, il reste quelque chose. Après le numérique ne vient que renforcer, enrichir, sublimer l’expérience.
Par exemple, le bureau des temps, s’il n’y avait pas la table interactive, il reste toujours les faxs similés, les tiroirs, tu peux fouiller. En fait, pour moi c’est pareil, le transmedia ce n’est pas que numérique tu passes par pleins de portes pour enrichir un univers et s’adapter un peu à la sensibilité de chacun. Le numérique c’est un plus, par exemple les sites qui mettent en relation les petites mémés qui tricotent avec les gens qui n’ont pas le temps de le faire, si l’on enlève le numérique, il reste toujours ces gens. Le numérique va favoriser la relation, il va accélérer la mise en relation, ça va garder les traces, ça va valoriser mais finalement l’essentiel est là sans le numérique.
- Inventarium, ce sont des résidences proposant à des jeunes de 12 à 25 ans de réfléchir et d’agir collectivement sur notre avenir quotidien. http://lafabulerie.com/blog/projet/linventarium/
- Smartcity. http://lafabulerie.com/wp-content/uploads/2015/12/lafabulerie_festival-numerique-smart-city.jpg
http://www.fluxo.fr/smart-city/
- Exposition Futurs Antérieurs aux Archives municipales de Marseille http://lafabulerie.com/blog/evenement/vernissage-exposition-futurs-anterieurs/
- 5 domaines d’usages: Fabrication numérique, Création transmédia, Intéractivité et objets connectés, Papier support de nouvelles fonctionnalités et Fonctions créatives du web