Go to the top

INTRODUCTION

Tout est parti d’une simple remarque : dans le graphisme actuel on trouve deux types de pratiques. La première tente de s’approprier les nouvelles technologies, tandis que la seconde se retourne vers les pratiques dites manuelles. Mais qui dit retour des outils physiques ne signifie pas forcément artisanat. La notion d’artisanat est un point de départ pour ce projet, il est important d’en donner une brève définition, qui sera approfondie plus tard, d’autant plus que l’artisanat actuel n’est plus le même que celui du Moyen-Âge. Bien sûr, il reste certains points communs majeurs tel que le rapport au temps, sans doute l’élément clef de l’artisanat, il est nécessaire aussi bien à l’apprentissage et à la transmission de savoir-faire, que dans la réalisation minutieuse d’objets. Le geste précis semble lui aussi s’être transmis à l’identique depuis plusieurs siècles, tout comme la relation respectueuse entre main et matière. Cependant, au XIXème siècle, l’artisanat a connu son plus grand bouleversement par la mise en concurrence avec l’industrie et la mécanisation qui tentent de s’accaparer le savoir-faire de l’artisan pour ne plus dépendre de lui. Pour le dépasser, l’industrie cherche à travailler vite et en série pour faire du profit avec des prix moins élevés. Elle s’inscrit surtout dans la démarche capitalisme d’augmenter la productivité en mettant en place des principes comme la division des tâches et en confiant la fabrication à des dispositifs techniques dont le rythme de travail est infatigable contrairement à celui de l’homme. C’est dans ce contexte que le design intervient comme valeur ajoutée à ces produits qui peuvent paraître parfois de moins bonne qualité, et ainsi valoriser l’industrie. L’artisanat se retrouve considéré comme fabriquant des produits élitistes dans une société où l’on cherche constamment le moins cher. Avec l’automatisation, la reconnaissance d’un travail aussi intellectuel que manuel se fait beaucoup moins facilement. La prolétarisation entraine une dépossession de son travail, des savoirs dans la production et surtout de soi. Le sociologue américain Richard Sennett défend cette notion de la tête indissociable de la main, l’artisan n’est pas que fabriquant, il est aussi concepteur. Il ne travaille pas seul mais en communauté, un moyen d’échanger et de collaborer sur des savoirs.

L’automatisation de nos pratiques place le graphiste contemporain entre l’outil numérique et l’outil manuel. Dans les deux cas l’envie du designer est de plus en plus orientée vers la possession, voire la création, de ses propres outils. Le processus de fabrication, notamment au sein de réseaux ouverts, s’expose sur le devant de la scène si ce n’est plus que l’objet final. Le graphiste réinvente son métier en concevant mais aussi en participant pleinement à la fabrication de l’objet et des outils. Derrière cette reconquête de l’outil, se cache l’envie de reconstruire sa propre identité, de s’individualiser. Se pose la question de comprendre comment, en interrogeant la posture de l’artisan, le designer graphique peut-il (se) réaliser (dans) des projets contemporains en utilisant les outils manuels ainsi que les nouveaux outils technologiques, tout en s’inscrivant dans une logique collective et collaborative ? On peut distinguer trois points essentiels suite à ce questionnement. Le premier interroge la relation entre main et machine à l’heure de la dématérialisation de nos savoir-faire : mimétisme, rapport à la matière, relation au corps, différence entre outil et dispositifs, pouvoir des machines ou encore automatisation par les logiciels. Cette rencontre entre la main et la machine est développée grâce à la multiplication d’industries de proximité qui démocratisent ainsi leurs outils. La logique collective et collaborative, dans laquelle s’inscrivent ces mini-usines, tel que les fab labs, est le second point clef. Le dernier point important est la manière nouvelle d’aborder le design et l’espace de travail avec l’arrivée des outils semi-professionnels dans notre environnement quotidien. Désormais, l’envie est de faire pour soi et soi-même, tout en s’encrant dans des communautés de rencontres et d’échange de connaissances. Le design prend un nouveau tournant en s’ouvrant et en devenant collaboratif.

ARTISANAT 2.0

Synthèse

1 // MACHINE & MAIN

1.1 // MACHINE : DANGER PHYSIQUE ET MORAL ?

L’homme a créé l’outil comme une extension de son muscle à la fois pour l’aider à surmonter les obstacles ainsi que pour perfectionner son geste. L’Homo Faber est l’homme susceptible de fabriquer des outils, qui permettent de remplacer les muscles mais les nécessitent quand même. « La technique est un effort pour éliminer l’effort ».1 Au XIX ème, la Première Révolution Industrielle fait apparaître l’automatisation de ces systèmes, comme on pourra le voir dans partie sur l’évolution de l’artisanat. La machine déplace le geste, son but étant de l’imiter au mieux pour pouvoir se passer de l’artisan. Gilbert Simondon dit que « si l’homme ressent souvent une frustration devant la machine, c’est parce que la machine le remplace fonctionnellement en tant qu’individu : la machine remplace l’homme porteur d’outils ».2 Marx parlait d’une aliénation de l’homme par la machine entraînant une soumission à cette nouvelle force, mais aussi sa désindividuation. L’homme ne peut plus se réaliser dans le travail puisqu’il lui échappe et que le travail bien fait n’est plus perçu comme une finalité en soi. Dans les Temps Modernes, Charlie Chaplin nous donne à voir une image, exagérée mais juste, d’un homme englouti par le travail en usine et par la machine. Le danger physique devient moral avec la séparation de la conception et de l’exécution, toujours dans le but de produire plus et plus vite. Avec cette rupture, notamment due à la division des tâches, l’homme ne peut plus participer à toutes les étapes de la fabrication, il se retrouve séparé de l’objet qu’il produit.

Vient s’ajouter à ce changement majeur de l’organisation du travail, le fait que l’industrie recherche sans arrêt l’innovation, à la fois dans la technique et dans les objets produits. Mais ce désir est source d’asynchronisation. L’évolution de la technologie se fait à grande vitesse, à l’inverse de l’apprentissage de l’homme qui prend davantage de temps. Ainsi, vitesse et temps d’apprentissage s’opposent et entraînent un manque de compréhension de ces nouveaux outils ainsi qu’une crainte. Ce sentiment de dépossession, éprouvé par l’individu, fait naître une nostalgie et une envie de retourner à un temps où la pratique manuelle était reine. Ce besoin « artisanal », Annick Lantenois l’explique comme étant une réaction due au passage vers « un nouveau seuil de complexité technique ».3 Cette réaction va parfois jusqu’à un refus de la technologie. De ce fait, le danger de la machine n’est plus seulement physique, il devient également moral. L’utilisateur n’étant pas forcément dans l’optique d’apprendre le fonctionnement de la machine, il l’utilise sans la comprendre. Il envoie simplement un ordre exécuté par des algorithmes, qui ne sont pas compris pour la plupart du temps. La main ne pratique plus, et la tête ne pense plus, coupée de toute réflexion.

1 - Jean Baudet - De l’outil à la machine - histoire des techniques jusqu’en 1800 - Éditions Vuibert - 2004 - p.203
2 - Georges Simondon - Du mode d’existence des objets technique - Paris - Aubier - 1989 - p.78 Citation extraite par Annick Lantenois - Le vertige du Funambule - Le Design graphique, entre économie et morale - Paris - Éditions B42 - 2013 - p.50
3 - Annick Lantenois - Le vertige du Funambule - Le Design graphique, entre économie et morale - Paris - Éditions B42 - 2013 - p.51
1.2 // AUTOMATISATION & IMPRÉVU

Depuis les années 1960, notre culture s’est softwarisée. La démocratisation massive de l’ordinateur personnel ainsi que celle des logiciels, de CAO (= Création assistée par ordinateur) notamment, ont rendu accessible la création en faisant croire qu’il s’agit de quelque chose de simple. Les menus prédéfinis des logiciels permettent à l’utilisateur de refouler la difficulté en conditionnant la réflexion avec des choix donnés. La pratique est évacuée et l’imprévu ne semble pas permis. Une nouvelle opposition se fait entre les outils que nous pratiquons et les dispositifs dans lesquels nous nous enfermons et qui orientent nos comportements. Les utilisateurs ne font pas forcément la démarche de comprendre les nouveaux outils et suivent ce qui leur est proposé. Bien souvent, on entend dire que les nouvelles technologies et le code qui les fait fonctionner, sont trop complexes et pas assez accessibles. Pourtant, il s’agit d’un langage à part entière, comme on pourrait apprendre l’anglais ou le chinois. Mais avec la paresse humaine, nous finissons souvent par rester passif face à la machine et à la laisser évoluer par elle-même sans en faire l’apprentissage. L’automatisation, qui prend place dans nos pratiques, ne permet pas de reconnaissance de soi et encore moins d’individuation. De plus, la banalisation des logiciels de création a aussi pour conséquence de vulgariser le métier de graphiste avec l’apparition de la figure du graphiste amateur. Tout le monde peut s’improviser graphiste le temps d’une affiche ou d’un flyer. De la recherche graphique, nous sommes passé à de l’exécution et du même coup à une uniformisation des productions.

À l’opposé de cette standardisation du paysage graphique, le fait-à-la-main revient comme un moyen d’affirmer sa singularité. Il est une réaction face au refus et à la crainte de la technologie. L’homme tente de s’individualiser en cherchant une authenticité, devenue séduisante. Ce regain d’authenticité, repris à toutes les sauces, est en opposition au fantasme de l’industrialisation des années 80. Il peut être à percevoir comme une manière pour l’homme de retrouver son histoire, si ce n’est de se l’inventer. Le retour à des pratiques dont le savoir a déjà été intégré, se traduit, dans le graphisme, par un surinvestissement du champ de l’imprimé. De nombreux studios choisissent de concevoir et d’imprimer eux-mêmes leur travail par des techniques qui laissent place à l’imprévu. On peut aussi l’apercevoir dans d’autres domaines comme celui des métiers de bouche par exemple. Sur les enseignes, le mot « artisan » vient s’écrire devant traiteur ou chocolatier et tous les produits sont qualifiés d’« artisanaux ». Des adjectifs qui seraient le moyen de justifier l’authenticité des produits et le fait qu’ils soient réalisés par la main de l’homme, et non par un robot.

L’imprévu, évacué par la machine, est maintenant volontairement produit. Un paradoxe avec le travail parfait de l’artisan, qui perçoit l’accident comme un échec. Il se pose alors la question de la valeur du produit, et notamment d’un objet produit en série. C’est en cela que le hacker re-dynamise la pratique puisqu’il re-pense la place de l’erreur dans le processus de création en tirant partis de l’imprévu.

1.3 // RAPPORT À LA MATIÈRE ET AUX SAVOIR-FAIRE

Le design graphique évolue dans une période pleine de contradictions. Le gouvernement vient d’établir la nouvelle liste des métiers d’art et a choisi d’en exclure les métiers du graphisme numérique, ne considérant pas qu’ils travaillent la matière. « Certains métiers, qui n’étaient plus en adéquation avec la définition d’un métier d’art tel que défini par la loi du 18 juin 2014, ont été supprimés de la liste. Exemple : les métiers de graphiste et infographie, entièrement numériques, ne répondent pas au critère de travail de la matière qui définit un métier d’art. ».1 Un comble quand, dans le même temps, de nombreux fichiers informatiques sont partagés pour pouvoir imprimer en 3D des tampons ou bien les découper à la fraiseuse numérique. À l’inverse de l’article récemment publié par l’Institut national des métiers d’art, le numérique se base sur un dialogue entre information et matière. Telle une boucle, l’information va à la matière, puis la matière retourne à l’information, par exemple avec les retours fait par la machine pour rendre compte du déroulement de l’opération. Michel Lallement le dit, le hacking est à associer avec « un corps-à-corps avec la matière, l’information, ou encore la société ».2 Cette nouvelle liste des métiers d’art pose la question du rapport entre matériel et immatériel. L’idée répandue est que le numérique est immatériel, pourtant il en est bien loin. Lorsque qu’il s’agit de le travailler, il nécessite des outils physiques (ordinateur, tablette, branchements électriques, etc).

L’évolution des ordinateurs et des logiciels nous propose de travailler nos médias anciens de manières différentes et surtout dans un nouveau milieu. On parle de numérisation des savoir-faire, c’est-à-dire un déplacement des savoirs dans un milieu différent que celui de base. La pratique est passée de physique à virtuelle. Le rapport aux savoir-faire n’est plus le même, avant la démocratisation de l’ordinateur personnel, un savoir-faire s’apprenait avec le temps et l’expérience. Dans les corporations, du temps de l’artisanat au Moyen-Âge, pour passer maître il fallait débuter son apprentissage très jeune et il pouvait durer sur plus de quinze ans. Aujourd’hui, l’informatique, en numérisant ces savoirs, en a fait quelque chose d’inné, avec lequel les générations actuelles naissent et dont l’apprentissage minimum nécessaire se trouve dans un tutoriel vidéo.

En plus de modifier notre manière de travailler nos savoirs, la machine modifie notre rapport physique à la matière. La sensibilité de notre corps en est modifiée. La machine qui intervenait déjà un peu sur la matière, le fait de plus en plus. Elle permet de faire des formes nouvelles, impossibles par la main de l’homme. Le geste n’est plus le même. On pourrait s’amuser à détourner la CAO, en parlant de AAO (Artisanat Assisté par Ordinateur). Dans une pratique artisanale, le corps est dressé pour mener un combat physique avec la matière. À force d’entraînements, dû à un apprentissage par la routine (cf. Fiche de lecture), il apprend à surmonter les obstacles. Une comparaison peut être faite entre l’artisan qui automatise ses gestes par la répétition et la machine dont les mouvements sont pré-enregistrés dans un programme. Artisan et machine sont liés par l’automatisation mais leur différence se trouve dans leur rapport à la matière. Une des idées répandues en Occident est que l’on peut réussir à imposer à la matière, la forme que l’on souhaite. Cette vision considère la matière comme une page blanche modulable à souhait. Pourtant, la matière possède elle aussi ses propres contraintes et peut nous imposer une résistance, ce qui donne naissance à une lutte physique entre corps et matière. À l’inverse, la machine ne s’inscrit pas dans cette lutte avec la matière. Elle est simplement dans l’exécution de ce qui lui a été préalablement ordonné, et le fait sans se soucier de la forme première de la matière. Il est compliqué de parler de rapport de force car la machine impose et ne subit pas de lutte. Richard Sennett pose la question juste de savoir « comment penser comme des artisans en faisant un bon usage de la technologie ? ».3

1 - Publication de la nouvelle liste des métiers d’art - 01/02/2016 « Qu’est-ce qu’un métier d’art ? Selon l’article 22 de la loi n°2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises « Relèvent des métiers d’art, […] les personnes physiques ainsi que les dirigeants sociaux des personnes morales qui exercent, à titre principal ou secondaire, une activité indépendante de production, de création, de transformation ou de reconstitution, de réparation et de restauration du patrimoine, caractérisée par la maîtrise de gestes et de techniques en vue du travail de la matière et nécessitant un apport artistique. »  http://www.institut-metiersdart.org/actualites/infos-pro/publication-de-la-nouvelle-liste-des-metiers-d-art
2 - Michel Lallement - L’âge du fait - Hacking, travail, anarchie - Éditions du Seuil - 2015 - p.34
3 - Richard Sennett - Ce que sait la main - La culture de l’artisanat - Traduction française par Pierre-Emmanuel Dauzat - 2010 - Édition Albin Michel - p.64

2 // LOGIQUE COLLECTIVE & COLLABORATIVE

2.1 // L’ENVIE DE « FAIRE »

Autour de nous, nous entendons de plus en plus les mots « Fab lab », « hackerspace », « makers ». On nous parle de communautés où l’on fabrique ce que l’on veut avec des outils électroniques, où l’on programme tout et n’importe quoi. On nous décrit l’imprimante 3D comme la nouvelle reine, capable d’imprimer toutes sortes de matières, du plastique aux prothèses humaines. L’image nous vient assez vite d’une tribu de geeks boutonneux, à lunettes, qui passent leur journée enfermés, derrière leurs écrans… Cette image est à des années lumière de la réalité. Ces communautés qui fabriquent et partagent ensemble sont belles et bien réelles, mais les geeks ne sont pas ceux que l’on imagine. Ils viennent de tous les horizons, ils sont étudiants, chercheurs, professeurs, retraités, ingénieurs ou bien bricoleurs du dimanche. Leur point commun s’articule autour de l’envie de bidouiller, d’échanger et de retrouver du plaisir dans le travail. Ils sont les acteurs du mouvement « faire ».

La culture « faire » découle de la philosophie DIY (= « Do It Yourself », ou en français « Fais-le toi-même »). Elle est étroitement liée à l’envie de bidouiller pour soi et d’expérimenter, par choix, d’autres manières de fabriquer. L’une des pierres fondatrices du mouvement « faire », est le lancement, en 1998, du cours « How to Make « Almost » Anything » (= comment fabriquer « presque » tout), par le professeur Neil Gershenfeld, au MIT de Boston. L’atelier, au départ conçu pour accueillir un petit groupe d’étudiants, provoque un véritable engouement dès le premier cours, avec plus d’une centaine d’étudiants intéressés. Ce cours donne naissance à des espaces ouverts dédiés à la fabrication d’objets grâce à un équipement en machines numériques et autres outils traditionnels : les Fab labs. Dès 2002, les Fab labs s’exportent à l’étranger grâce au soutien financier du MIT, ils devinent très vite indépendants et se multiplient. On compte, en 2015, plus de 450 Fab labs1 à travers le monde. Le réseau Fab lab est lancé. Une charte est créée pour faire respecter la philosophie dans chaque Fab lab et aussi pour lister le matériel et les outils nécessaires à la fabrication de n’importe quel objet n’importe où dans le monde. Parmi cette liste on retrouve la machine à découpe laser, l’imprimante 3D, la machine à découper le vinyle, la fraiseuse numérique et la défonceuse numérique. À cette liste s’ajoutent d’autres outils propres aux besoins de chaque lieu : la machine pour mouler le plastique sous-vide, la machine à coudre, l’oscilloscope, le fer à souder, et bien d’autres encore.

« La grande opportunité du mouvement faire, est la possibilité d’être à la fois petit et mondial. À la fois artisanal et innovant. À la fois high-tech et low-cost ».2 Cette philosophie de la culture « faire » met en avant la pratique et l’apprentissage dans un cadre social et local, qui s’élargi au monde entier par l’importance du partage. L’appropriation de machines-outils numériques et industrielles dans des minis-usines de proximité pour une fabrication personnelle et sur-mesure posent la question d’une prochaine Révolution Industrielle avec l’avénement du « faire ». C’est une nouvelle dimension qui est développée et qui fait passer le DIY d’une culture alternative à une véritable remise en question de nos pratiques industrielles.

1 - Camille Bosqué - Des FabLabs dans les marges : détournements et appropriations - Journal des anthropologues n°142-143 -2015 - p.49
2 - Chris Anderson - Makers : La nouvelle révolution industrielle - Éditions Pearson - 2012 - p.20 Citation extraite par Michel Lallement - L’âge du faire, Hacking, travail, anarchie - Éditions du Seuil - 2015 - p.54

2.2 // COMMUNAUTÉ & PARTAGE DES CONNAISSANCES

Jessica Helfand, critique et auteure spécialisée dans le design graphique, dit que « la mission du graphisme, comme celle des réseaux sociaux, a toujours été de créer des liens entre les gens. C’est dans la sphère publique que le graphisme a sa raison d’être ».1 Cette vision laisse apparaître beaucoup de perspectives dans la manière de concevoir le graphisme aujourd’hui. L’envie qui se développe est d’inscrire la création dans une logique collaborative et collective à travers des réseaux. Cette manière de penser ne s’applique pas seulement au domaine du graphisme, elle s’instaure auprès de plus en plus de personnes venant de tous domaines, et se concrétise par la naissance de tiers lieux. Ils prennent la forme d’espaces de coworking, d’ateliers éphémères ou de makerspaces. L’envie commune de ces lieux est de rompre les barrières transgénérationnelles et transdisciplinaires, ainsi la rencontre et l’échange sont les moteurs de cette culture. Par exemple, chaque Fab lab est unique puisqu’il est adapté à la ville dans laquelle il est, il est ancré dans sa communauté et répond aux besoins locaux. Toutes ces diversités font qu’il ne peut exister de concurrence entre Fab lab, comme il en existe dans l’industrie. Cette communauté mondiale réinvente les formes de vivre ensemble et les manières de tisser du lien social. Ils sont un moyen de « permettre la rencontre de gens qui ne devraient jamais se croiser ».2 Au-delà de partages via les plateformes, des évènements s’organisent pour que les bidouilleurs de partout puissent se rencontrer et montrer qui se cache derrière les projets. C’est le cas avec le festival Maker Faires (qui s’organise à travers le monde) ou d’autres plus locales comme Made in Friche, à Marseille. Cette formation en réseau fait penser aux corporations artisanales du Moyen-Âge. La différence notable est la mixité et l’égalité de chacun que l’on trouve au sein de ces ateliers modernes. Chacun à sa manière, et selon ses connaissances, apporte sa pierre à l’édifice. Il n’y a pas de jugement fait par rapport à la dimension du projet, ni à la formation ou à l’âge. L’accès est libre pour tous.

Le lien qui peut être fait avec l’artisanat se trouve également par la mise en place d’une transmission des savoir-faire dans les tiers lieux. Dans ces espaces, chacun est créateur et peut s’appuyer sur les connaissances de la communauté pour faire évoluer son projet, à condition de documenter et de partager son expérience personnelle. L’ampleur pris pas internet et les plateformes d’échange permet de faciliter ce partage de connaissances mais aussi de fichiers servant à construire le même objet à l’autre bout du monde. Avec cette logique, on passe d’une économie fondée sur la capitalisation des biens matériels, à une économie de la connaissance. Ce capitalisme dit « cognitif » met en place une co-création qui peut se faire à l’échelle locale comme à l’échelle internationale. Annick Lantenois définit en trois mots la logique collaborative et collective : « Participer, contribuer et accompagner ».3 Cette devise prend la forme de plateformes d’échange tel que les Wikis. Ces espaces de lecture et de partage sont à lire dans une logique évolutive, il s’agit de fragments de textes qui deviendront encore plus complets grâce à une écriture collective. Ils permettent une communication mondiale et une amélioration permanente et collaborative des projets. Les outils de communication sont avant tout le moyen de créer une immense réserve de savoirs collectifs. L’intelligence devient collective. Le libre échange de pair à pair (= peer-to-peer en anglais), l’accès libre à tous et l’open source permettent de créer cette nouvelle intelligence.

Avec le mouvement « faire », le travail redevient une finalité en soi, ce que ne permet pas la production industrielle. Les makerspaces court-circuitent les réseaux de grande production en rendant accessible la conception technologique. Ils mettent à disposition du public des machines-outils à commande numérique industrielles et professionnelles. Mais l’utilisation a un tout autre but que dans les usines, dans ces nouveaux ateliers la fabrication se fait à échelle personnelle. Le libre-accès à des mini-usines de proximité rend possible la création sur-mesure. Il n’est plus question de produire en série mais pour soi. À l’inverse du XIX ème siècle qui considérait l’industrie comme une puissance suprême intouchable, aujourd’hui la tendance du « faire » redescend l’industrie de son piédestal. Elle devient commune, locale et accessible. Ce rapprochement du public avec l’industrie encourage à intervenir sur la production à son échelle. Il ne s’agit plus d’être uniquement consommateur mais aussi acteur. Ce sont les habitants du coin qui font vivre ces ateliers modernes, qui leur ouvrent leurs portes en les invitant à être actifs.

Loin d’être de simples lieux où l’on conçoit et produit, ces ateliers modernes sont des espaces ouverts où l’on peut rencontrer, partager, échanger, apprendre avec les autres. Les makerspaces sont des espaces publics, lieux de travail et de vie en même temps. Ils se situent à mi-chemin entre l’atelier, un espace où l’on produit sur mesure mais où l’artisan est seul, et l’usine, un lieu où l’on rencontre des personnes mais où la production se fait en série.

1 - Véronique Vienne - Jessica Helfand - La liste de ses envies - Mai/Juin 2015 - Étapes n°225 - p.59
2 - Olivier Gendrin de Fac Lab - Avec les « Fab Labs », deviendrons-nous tous designers ? - Xavier de Jarcy - Télérama - 01/09/12.
3 - Annick Lantenois - Le Vertige du funambule Le design graphique entre économie et morale - 2013 - Éditions B42 - p.75

2.3 // FAIRE ET APPRENDRE À FAIRE AUTREMENT

L’éthique hacker, qui fait partie du mouvement « faire », est marquée par l’importance accordée à la do-ocratie (= le pouvoir du faire). Chacun est invité et invite à faire sans qu’aucun ordre ne soit donné. Cette forme d’auto-organisation est basée sur la confiance et la passion. Hackers et makers sont animés par l’envie d’être actifs, mais cela passe d’abord par un regain de confiance dans sa capacité à créer. Cette confiance se gagne par un apprentissage plus axé sur la culture du faire et une communauté qui encourage et encadre cette culture.

Réintroduire l’envie de faire des choses tout en ayant confiance passe par un changement de notre apprentissage. Actuellement, la pratique est très peu présente, si ce n’est inexistante, dans l’éducation. Pourtant la technologie, ce n’est pas seulement des solutions toutes faites, elle nous pousse aussi à apprendre par le processus qui mène à tel ou tel résultat. Selon Michael Shiloh, l’éducation devrait permettre aux enfants de faire et pas seulement d’apprendre. Il organise des ateliers itinérants, Teach Me To Make1, où chacun, petit comme grand, peut exploiter ses capacités créatrices et artistiques, et peut comprendre et utiliser la technologie à sa manière. Se ré-approprier le monde passe donc par une meilleure connaissance des processus de fabrication. L’importance de cette étape préliminaire, les makers l’ont bien comprise et la mette en avant. Aujourd’hui de plus en plus de projets sont surtout l’occasion d’expérimenter la machine. Les machines s’exposent autant que les produits finis. Posséder ses propres outils devient un moyen de pouvoir produire en autonomie, en marge du marché standard.

C’est donc une insatisfaction, aussi bien de l’apprentissage que du mode de production, qui a entraîné ce besoin universel de faire. La question qui est posée par la culture du « faire » est celle de la possession et de la consommation. Possédons-nous vraiment un objet si nous ne pouvons pas l’ouvrir et en faire l’usage que nous souhaitons ? Sommes-nous vraiment obligés de jeter un objet entier alors qu’une pièce seulement est cassée ? Comment mieux consommer sans être dépendant de l’obsolescence programmée mise en place par la grande distribution ? Est-il possible de ne plus être un simple consommateur, mais de devenir un acteur au sein du système ? Face à ces questions, le mouvement faire s’est construit en tant qu’espace d’innovation qui s’appuie sur un modèle de production industrielle créatif, collaboratif et ouvert. Ce modèle tente de penser la chaine de production dans sa totalité, de la conception à la fabrication de premiers prototypes. L’aménagement d’usine-atelier de proximité engendre un partage horizontal et brise la division sociale du travail. Tout le monde travaille ensemble, partage les mêmes outils et machines, le même espace et les connaissances. La co-création donne un nouveau sens à la socialisation du travail. À l’inverse de l’industrie qui épuise l’objet comme l’individu, la culture « faire » fait vivre les projets et la communauté l’augmente, tout comme elle encourage l’individu à s’exprimer et à pousser ses envies jusqu’au bout.

Cette nouvelle manière de travailler vient faire un pied-de-nez à la production industrielle de masse et lutter contre l’obsolescence programmée. À l’inverse de nombreux consommateurs qui rachètent l’objet entier dès qu’une pièce est cassée, le mouvement « faire » incite à venir réparer ces objets et à trouver une solution au problème en recyclant, en détournant ou transformant. Re-penser nos manières de consommer, ré-utiliser les matériaux et objets, re-faire les choses autrement, etc. Cette logique « du Re »2 est la marque de fabrique de l’esprit et des actions du mouvement « faire ».

1 - Michael Shiloh - Teach Me To Make - http://www.teachmetomake.com/index.htm
2 - Coordonné par Etienne Delprat - Système DIY - Faire soi-même à l’ère du 2.0 - Boîte à outils & catalogue de projets - Édition Alternatives - 2013 - p.16

3 // AUTOPRODUCTION : UNE NOUVELLE DIMENSION DE LA PRODUCTION

3.1 // FAIRE POUR SOI ET SOI-MÊME

Comme on a pu le voir précédemment, la fabrication ouverte est poussée par la démocratisation d’internet. Le fait de pouvoir s’appuyer sur des connaissances communes à l’international donne une nouvelle dimension au travail. L’envie n’est plus d’avoir des choses à « taille unique », mais de fabriquer des objets qui nous soient plus adaptés. Ce retour d’une production autonome traduit un mécontentement dû à l’abstraction qu’il existe autour des objets que l’on achète : qui l’a fait ? comment ? dans quelles conditions ? etc. Ces questions, même quand une réponse y est apportée, renforcent le fait que nos objets actuels émanent d’une production qui se situe à des années lumière de nous.

Désormais, la culture du « faire » offre de construire quelque chose pour soi et soi-même, mais tout en étant dans une production collaborative. Cette fabrication se fait avec des machines industrielles, remaniées pour produire sur-mesure. Il nous est donné la possibilité de fabriquer ce dont on a besoin, tout en acquérant des compétences variées. C’est justement la notion de création à petite échelle qui est importante. Si de nombreux designers s’emparent des outils de fabrication numérique, c’est tout d’abord car ils sont devenus accessibles financièrement. Il faut aussi voir le « faire pour soi » comme une manière de reprendre le pouvoir sur une industrie qui a "désindividué" l’homme. La possibilité de pouvoir aujourd’hui être dans une démarche d’autoproduction répond à une envie de retrouver le plaisir dans la pratique (cf. Arts and Crafts) et de ne plus dépendre d’une production de masse. Le producteur se rapproche du consommateur pour devenir un prosommateur. Le consommateur passif se transforme en un citoyen qui prend part à ce qu’il va consommer, tout en ayant un regard critique. Pour autant, l’artisan-amateur, comme on pourrait le nommer, n'a pas pour objectif de construire quelque chose de parfait, prêt à être commercialisé. Il est d’avantage dans une consommation personnelle, hors du marché classique. Comme il y a eu des combats, au XIXème siècle, contre la machine, cette lutte se fait aujourd’hui contre l’hyper-modernité.1 L’objectif est toujours le même, conserver son autonomie pour ne pas devenir le pantin de la machine.

1 - Annick Lantenois - Le Vertige du funambule Le design graphique entre économie et morale - 2013 - Éditions B42 - p.57
3.2 // DÉPLACER L’ATELIER

Avec la culture « faire », les ateliers ont pris une autre dimension. Dans les tiers-lieux, des objets numériques sont produits manuellement et sur mesure, ce qui les rapproche d’une création artisanale. De nombreux prototypes sortent de ces espaces et deviennent des démonstrations du savoir-faire collectif. À la manière du chef-d’oeuvre de l’artisan, des projets tels que Murmur deviennent les vitrines du mouvement « faire » (cf. Dispositifs techniques). En plus d’être des lieux de travail, ils sont aussi des lieux de vie. Ce qui n’est pas sans rappeler les ateliers du Moyen-Âge, où maître, compagnons et apprentis vivaient tous ensemble. En plus de notre manière de produire et de consommer, c’est aussi l’espace de l’atelier qui est interrogé. Et si l’atelier pouvait se déplacer ? Des projets sur ce thème voient le jour, comme par exemple La plus petite société d’impression, du studio Letter Proef Tuin, qui propose un atelier d’impression en boîtes pouvant se déplacer partout à l’aide d’un petit chariot (cf. Dispositifs techniques).

De plus en plus, l’atelier se déplace vers la maison. Dans le grand commerce, on trouve toute sorte de tampons, d’encres de couleurs, de pochoirs ou encore d’outils de découpe accessibles à bas prix. Ces outils se rapprochent de la pratique du scratchbooking. Outre les préjugés qui peuvent être associés à cette pratique, les outils dit de « loisirs créatifs », bien qu’ils soient créés pour un usage précis, permettent à tout le monde de produire une édition chez soi et soi-même. Deux conditions sont nécessaires pour réussir à faire entrer ces objets manuels dans la maison. La première est qu’ils soient accessibles à la fois financièrement et surtout physiquement, c’est-à-dire que leur taille doit être adaptée à une production réduite et unique. La deuxième condition est que cette pratique nécessite un investissement et donc du temps, quelle se fasse à la maison ou dans des tiers-lieux. Ces deux conditions semblent avoir été comprises par plusieurs marques puisque de nombreuses petites machines-outils entrent, et entreront dans nos maisons. C’est le cas avec les découpeuses à vinyle, comme ça le sera surement avec les imprimantes 3D, rendues de plus en plus accessibles. Elles sont en train de se démocratiser, au point d’être adaptées pour les enfants leur permettant ainsi de concevoir et d’imprimer leurs propres jouets avec l’imprimante 3D de Mattel. Comme cela a été le cas avec l’installation des ordinateurs et des imprimantes dans nos habitations, le futur nous réserve peut-être la même chose avec d’autres machine de fabrication numérique que l’on trouve actuellement dans les makerspaces. “Comme c’est arrivé aux ordinateurs, les capacités des machines-outils deviendront accessibles à tous, sous la forme de fabricateurs personnels. Les implications en seront probablement encore plus grandes, parce que c’est notre monde physique que nous personnaliserons, celui des atomes, plutôt que le monde numérique des bits.”1 L’explosion de l’électronique grand public pose quand même la question de la nature des objets qui seront fabriqués, car même si l’imprimante 3D permet de créer des objets, il reste le problème d’y introduire de l’intelligence. Cela implique pour les amateurs de fabriquer du hardware assez facilement et toujours à moindre coût. Arduino ou RaspberryPi permettent cette confection artisanale de produits électroniques en petite quantité et sur-mesure. Faire entrer des outils semi-professionnels dans la sphère privée semble être un avenir envisageable, mais la question de ce nouveau rapport d’échelle entre usine et maison sera sûrement de savoir comment le travail pourra s’organiser et qu’est-ce-qui sera fabriqué.

1 - Neil Gershenfeld - Fab : The coming revolution on your desktop - 2005 - http://reseau.fing.org/pages/view/114303/la-fabrication-numerique-personnelle

3.3 // DESIGNER AUTREMENT

La culture « faire » pose l’immense question du rôle et du travail du designer aujourd’hui. Car si toute la chaine de production, de la conception à la fabrication, est rendue accessible à tout le monde, quelle place le designer peut-il occuper dans cette nouvelle manière de faire ? Le designer ne se considère plus seulement comme designer, il devient aussi informaticien, ingénieur, artisan ou encore hacker. Son champ de compétences s’élargit grâce aux machines à commandes numériques qui apportent une nouvelle logique de conception. Il ne s’agit plus de rester sur le dessin général d’une forme, mais d’aller au-delà en écrivant des lignes de code par exemple.

En plus de questionner le rôle du designer dans sa propre pratique, c’est tout le design qui est remanié. On parle de plus en plus de design participatif, de co-design ou encore d’open design. Trois nouvelles manières de penser le design de façon ouverte et avec pour point commun de travailler le design ensemble, du concepteur, au fabriquant et à l’utilisateur (si ce n’est la même personne, comme on a pu le voir avec le prosommateur). Ces nouvelles formes de design se situent en dehors de l’industrie capitaliste, dans la suite logique du « faire ». Elles proposent un changement d’échelle dans la manière de produire, par une exploration collective de l’innovation et de l’invention. Le libre accès est aussi au coeur de ce nouveau design qui, au contraire de l’industrie, n’a pas peur de l’espionnage industriel et de la copie, et ouvre ses recherches au plus grand nombre dans l’optique d’une possible amélioration des projets. Le design se redimensionne pour, non plus être produit en masse, mais sur-mesure et à proximité.

La libre circulation des connaissances est primordiale pour cette nouvelle dimension du design. Il est nécessaire de documenter les objets créer, le processus utilisé, les matériaux, etc. Christophe André parle de « code source de l’objet »1, c’est-à-dire une mise à disposition de toutes les informations nécessaires à le reproduction d’un objet. La fabrication Open Source (pour reprendre le nom associé aux logiciels libres) mets en avant, à la fois les avantages et les défauts de l’objet, ce qui donne l’occasion, à qui le veut, d’apporter une amélioration s'il en trouve une. Une manière de présenter un produit en opposition avec l’industrie qui cache les inconvénients pour mieux conforter le consommateur dans son achat. Dans cette optique, l’échange de produit se réduirait pour laisser d’avantage de place à la circulation des connaissances. Toujours dans sa recherche sur un design libre, Christophe André aborde l’idée d’un nouveau paradigme où le designer toucherait une rémunération par la transmission de savoir-faire et de ses recherches, plutôt que par la vente d’objets. Cette production ouverte, bien qu’elle se développe doucement, paraît un peu utopique. Privilégier le social plutôt que le capital semble être une réponse permettant une décentralisation, une autoproduction et une émancipation face à l’industrie de masse. Cependant, les outils de fabrication numérique personnelle sont encore trop fragiles pour concurrencer la grande industrie. Ce design, qui est qualifié de libre ou de diffus (cf. entretien Camille Bosqué) n’est pour l’instant appliqué que pour des prototypes réalisés pour soi, peut-être les prémices d’une révolution de la production plus grande encore.

1 - Christophe André - Vers un design libre - 2011 - http://strabic.fr/Vers-un-design-libre

4 // CONCLUSION

La posture de « celui qui fait » a évolué en même temps que les outils techniques. De l’artisan du Moyen-Âge, nous sommes passés au designer avec l’industrialisation. Aujourd’hui, l’hyper-modernité réinvente encore une fois la figure de l’Home Faber, par une démocratisation et une omniprésence de la technologie.

Ainsi, nous arrivons dans une ère où l’homme cherche à s’individuer en prenant de nouveau du plaisir dans le travail. L’élaboration de nouveaux moyens de production est, davantage qu’une manière de faire, un moyen de prendre conscience de sa pratique. C’est tout un questionnement de notre rapport à la pratique, et donc à l’outil, qui s’organise par l’industrie collaborative et collective. L’émancipation face à l’industrie capitaliste passe par une autonomie du citoyen dans sa consommation, une consommation qui se veut critique, responsable et active.

Devenir acteur passe par la pratique, le fait de se mettre en action. Aussi, conception et réalisation sont rapprochées pour donner une nouvelle tournure au design qui, par certains aspects, tend à se rapprocher d’une forme artisanale de la pratique. Ce design-making offre un service de proximité, un échange de savoirs et un plaisir retrouvé dans le travail, une philosophie qui se rapproche de celle de William Morris.

Le design ouvert serait à comprendre comme une nouvelle forme d’artisanat, à la différence que ses outils ne sont plus les mêmes. Comme Annick Lantenois l’évoque, il s’agit d’un « artisanat high-tech »1, c’est-à-dire un artisanat numérique qui allie passion pour la pratique manuelle avec les capacités numériques. Au-delà d’une association du manuel avec le numérique, la question posée est de savoir comment comment pratiquer le design en échappant à la pression économique provoquée par l’achat de logiciels, d’ordinateurs et autres périphériques ? L’idée d’un nouveau paradigme où il serait possible de pratiquer librement en échappant à l’industrie capitaliste se trouve à la base de cet « artisanat » moderne. Méfions nous toute fois du terme d’artisanat qui est fortement marqué par l’époque du Moyen-Âge. Ce qui est à retenir de l’utilisation de ce mot, est tout le rapport au travail qu’il englobe, ainsi que sa manière de le sociabiliser. La notion de liberté est majeure dans le design du faire, elle sous-entend la possibilité de choisir et de libérer le travail, les outils et les savoirs.

Dans le design graphique, la liberté passerait d’abord par la possession d’une créativité technique, c’est-à-dire qu’il s’agirait de sortir de la posture passive d’une graphiste derrière son écran d’ordinateur et d’appréhender les logiciels comme un atelier en chantier perpétuel. Le passage par une étape de pratique manuelle peut également introduire une vision différente du projet et lui apporter une dimension physique. C’est en ayant une créativité débridée et autonome, plutôt qu’en étant dans un rapport d’exécution, que le designer graphique pourra se réaliser dans ses projets. Ainsi, le graphiste-artisan a toute sa place dans un design libre et peut trouver son rôle dans la mise en lumière et en pratique des savoirs.

1 - Annick Lantenois - Ouvrir les chemins - Graphisme en France 2012 - code, outils, design - p.18

L'ÉVOLUTION DE L'ARTISANAT

A.T.C.

1 // L’ARTISANAT C’EST QUOI ?

Le mot « artisan » vient de la Renaissance (XVI ème siècle), emprunt oral à l’italien artigiano, et emprunt écrit à artisano, de arte « métier » qui vient du latin ars, artis qui signifie « art » avec le suffixe -igiano voulant dire partisan. L’artisan est « celui qui met son art au service d’autrui », mais également « celui qui exerce un métier en suivant les règles d’un art établi » (en opposition aux métiers industriels). Ce mot possède la même origine que « artiste ». Jusqu’au milieu du XVIII ème siècle, il n’existait pas de distinction entre les deux. Être artisan signifiait être un spécialiste de toutes les techniques, à la fois arts libéraux et arts mécaniques. Par la suite, le terme d’artiste s’est appliqué à ceux qui utilisent leur art pour le plaisir, tandis que l’artisan a été relié à l’esprit commercial. Il a aussi été longtemps synonyme d’ouvrier. Au XIXème siècle, une distinction économique se fait entre le travailleur manuel qui exerce sa profession pour son propre compte, et le salarié d’une entreprise. Dès lors, l’artisan désigne une catégorie socioprofessionnelle proche du commerçant. Après avoir été limité à une compétence mécanique (au sens d’arts mécaniques) par rapport à l’artiste, mais tout en étant valorisé par rapport à l’ouvrier par la notion de technique maîtrisée, l’artisan devient un professionnel indépendant et qualifié. Il récupère ses valeurs positives avec des titres comme maître artisan ou bien artisan d’art. L’adjectif artisanal qui en découle appuie l’une des valeurs majeures de l’artisan qui est le travail manuel soigné et personnel, en opposition au travail industriel.

L’artisanat pourrait se définir selon quatre points principaux tous reliés par un élément majeur, le temps. Il s’agit d’un corps de métier qui nécessite du temps, en opposition complète à l’industrie où la vitesse prime. Le premier point est la maîtrise de savoir-faire précis qui permettent la production de biens uniques. Par ces savoir-faire, l’artisan intervient dans toutes les étapes de réalisation d’un objet, de la conception à la fabrication. Car être artisan ce n’est pas seulement exécuter, c’est aussi concevoir. L’artisan fait appel à son esprit pour effectuer les bons gestes. L’artisanat c’est donc cela, une relation indissociable entre la tête et la main, c’est la capacité à penser dans le faire. Comme le dit Richard Sennett, auteur du livre Ce que sait la main, « faire, c’est penser ».1

L’apprentissage et la transmission de ces savoir-faire sont le second point. Un artisan pour acquérir ses connaissances passe une grande partie de sa vie à apprendre et expérimenter. Par exemple, au Moyen-Âge, l’atelier était divisé selon une hiérarchie précise : les apprentis, les compagnons et le maître. Ce schéma a été revu aujourd’hui mais on trouve toujours le titre de « maître artisan ». L’apprentissage est long car il se fait par la routine, c’est-à-dire la répétition du geste jusqu’à ce qu’il atteigne la perfection de celui du maître. La transmission du savoir-faire du maître à la génération suivante permet à la tradition de se prolonger. Richard Sennett décrit la complexité de l’explication d’un savoir-faire par les mots. Transmettre une expérience devenue « savoir tacite personnel »2 demande de réussir à mettre des mots sur des gestes que l’on a acquis par la pratique, la répétition et le temps. Il nomme « Syndrome de Stradivarius »3 la difficulté rencontré par Stradivarius lui-même à transférer son expertise considérée comme ineffable, c’est-à-dire qu’on ne peut pas exprimer par les mots en raison de son intensité ou de sa nature.

Le troisième point est le geste précis de l’artisan. La perfection des objets fabriqués est due à ce geste minutieux, et ce dernier n’est pas inné. Il demande, comme on a pu le voir précédemment, du temps et un engagement sans limite. Ainsi il est évident que l’on peut difficilement s’improviser artisan puisque nous ne possédons pas son geste. Au delà de la précision du geste, il y a aussi la beauté de ce mouvement qui rencontre la matière. C’est d’ailleurs le dernier point permettant de décrire l’artisanat : la relation qui existe entre le corps, la matière et l’outil. Les étapes de production sont assurées par le corps de l’artisan, qu’il a dressé en apprenant des gestes, mais n’est pas pour autant automatisé malgré la routine. Au contraire, dans son travail manuel il fait une expérience sensible de la matière, un corps à corps, bien loin des machines sans âme qui produisent à la chaîne. Cette expérience de la matière lui fait parfois se confronter à des imprévus. Cependant l’apprentissage par la routine permet à l’artisan de surmonter le problème en adaptant ses gestes et ses outils. C’est dans ce contexte que l’artisan innove, mais ce n’est pas l’originalité en elle-même qui est recherchée. À l’inverse de l’industrie qui cherche l’innovation pour dépasser ses concurrents, invention chez l’artisan est une manière de s’adapter à la singularité. L’artisan est créatif lorsqu’il doit répondre à un besoin.

1 - Richard Sennett - Ce que sait la main - La culture de l’artisanat - Traduction française par Pierre-Emmanuel Dauzat - 2010 - Édition Albin Michel - 4éme de couverture
2 & 3 - Richard Sennett - Ce que sait la main - La culture de l’artisanat - Traduction française par Pierre-Emmanuel Dauzat - 2010 - Édition Albin Michel - p.334

2 // L’ARTISANAT AU MOYEN-ÂGE

Au milieu du Moyen-Âge (V ème - XV ème siècle), en France, de nombreuses villes neuves sont fondées et amènent avec elles les métiers dit « urbains ». C’est dans ce contexte que les premiers artisans prennent place. Une organisation des métiers avec des règles se met en place. Les premières organisations se fondent sous forme de confréries à caractère religieux. Ainsi, Saint-Crépin est attaché aux cordonniers et Saint-Anne aux menuisiers. En se regroupant par professions, ils instaurent un véritable monopole et acquièrent un certain poids social au sein de la bourgeoisie, qui sera renforcé à partir du XII ème siècle avec la mise en place des corporations. Il s’agit de groupements économiques volontaires devenus des associations obligatoires et de droit public.

Ces communautés de métiers continuent de maintenir le monopole professionnel, sans accepter aucune concurrence. Au sein de ces corporations, une hiérarchie est mise en place. Il y a tout d’abord l’apprenti (à partir de 13/14 ans) qui vient s’installer à l’atelier et reçoit un apprentissage d’environ sept ans; puis il devient compagnon et poursuit son apprentissage pendant cinq à dix ans. Pour enfin devenir maître, ce dernier doit réaliser un chef d’oeuvre et le présenter. Le maître est le patron de l’atelier, il choisit qui seront les apprentis (souvent des gens de sa famille), il dirige et décide de tout. Ces corporations sont, par leur stricte réglementation, les garantes qui permettent aux artisans de faire perdurer leurs savoir-faire. L’artisanat, au Moyen-Âge, est à la fois la base de l’organisation de la société et du travail, et aussi, avec le commerce, contribue à l’expansion des villes.

La force économique, politique et sociale que représente l’artisanat se poursuit jusqu’aux Temps Modernes. Avec la Révolution Française (1789 - début de la Révolution ou 1792 - proclamation de la Première République), les corporations perdent de leur pouvoir. Elles sont considérées comme étant trop attachées à la monarchie et sont en décalage avec l’évolution économique, technique et idéologique du siècle des Lumières. En 1791, les corporations se voient interdites par la loi Le Chapelier qui signe leur abrogation. Malgré tout, l’esprit corporatif reste très présent au XIXème siècle.

3 // LE PASSAGE DE L’ARTISANAT AU DESIGN

Le XIXème siècle marque un tournant pour l’artisanat, par la Première Révolution Industrielle. La forte croissance industrielle a pour conséquence d’affaiblir fortement le corps artisanal. Les métiers mécaniques remplacent progressivement les métiers manuels et les artisans quittent l’atelier pour l’usine. Les canuts de Lyon (= ouvriers tisserands de la soie sur des machines à tisser) et les dentellières à la main disparaissent tandis que le forgeron est détrôné par la fonderie. L’industrialisation transforme peu à peu les populations rurales en ouvriers. Le mot « prolétaire » prend un nouveau sens, notamment avec Marx qui définit la classe ouvrière comme la première classe à être touchée par la prolétarisation. Le prolétaire devient l’opposé de capitaliste et bourgeois. Cette prolétarisation conduit aussi à la perte des savoirs, mais en étant privé de ses savoirs dans la production, le prolétaire est aussi privé de son travail. Pourtant le travail est un moyen de s’individuer, il permet de se réaliser soi-même et aussi par rapport aux autres. La prolétarisation entraine une dépossession de soi chez l’individu, et notamment chez l’artisan qui se retrouve, selon Simondon, désindividué par la machine qui a automatisé son savoir-faire.

C’est dans ce contexte que naissent les arts-appliqués. Au départ le nom complet est arts appliqués à l’industrie, mais la pratique de la langue a fait un raccourci. Selon William Morris les arts appliqués sont « la qualité ornementale que les hommes choisissent d’ajouter aux articles utilitaires ».1 L’industrialisation a apporté une nouvelle manière de fabriquer : la production mécanisée et en série. Selon Jean Baudet, la Révolution Industrielle est la gestion réfléchie de la production.2 L’artisanat se base sur une production intuitive, tandis que l’industrie l’organise rationnellement son activité économique. Le développement de l’industrie se base sur une notion bien loin de la philosophie artisanale, l’innovation technologique. Sa manière de travailler évolue en même temps que les machines évoluent, et l’innovation n’apparait pas seulement quand un problème se pose, elle est recherchée pour elle-même. Le progrès industriel révolutionne l’organisation sociale et la manière de travailler avec notamment la division des tâches mise en place par Taylor avec l’Organisation Scientifique de Travail (OST) et reprise par la suite chez Ford. Les tâches à effectuer sont simplifiées et rendues accessibles à des personnes non qualifiées, aussi appelé ouvriers spécialisés (OS), dont le but est de suivre le rythme de la machine. Il ne s’agit plus d’un artisan capable de réaliser et penser tout un projet. Avec cette parcellisation des tâches, réflexion et exécution sont séparées au sein du travail. Le designer arrive à ce moment là et s’impose comme étant celui qui pense le produit.

En Angleterre, cette nouvelle organisation du travail révolte certains britanniques. Le mouvement des Arts and Crafts, dont le père fondateur est William Morris, prend forme pour contrer cette dépossession du travail. Selon eux le travail devrait être une source de bonheur et un moyen de s’épanouir, d’où le besoin de participer à la fois à la conception et à la fabrication du produit, comme l’artisan le fait. Le second enjeu est que l’art devrait être répandu partout et notamment dans les objets usuels tel que la vaisselle, la reliure, les luminaires, etc. Cette vision est l’idée fondatrice du design. Ils cherchent à apporter une beauté utile aux objets et à créer des formes en accord avec la fonction. Un exemple qui lie à la fois création en série et importance de la forme est la Chaise n°14 ou aussi appelée Chaise Bistrot de Michael Thonet. Dès 1859, elle est la première chaise à être produite en série tout en conjuguant quantité et qualité formelle. Thonet met au point une technique de bois massif courbé qui est une opération de pliage réalisable uniquement manuellement car les machines ne sont pas assez précises.

Le dessein de faire disparaître les barrières entre art et artisanat, voir même avec l’industrie est au coeur de l’école du Bauhaus. Le Bauhaus est avant tout une école fondée en 1919 par Walter Gropius, qui s’est étendue en courant artistique concernant de nombreux domaines comme l’architecture, le design, la photographie ou encore la danse. Dans l’organisation de l’école, on retrouve une forte influence de l’artisanat du Moyen-Âge. Les professeurs sont nommés maîtres, les élèves sont des apprentis et peuvent évolués compagnons ou jeunes maîtres. Cette ressemblance du premier Bauhaus avec l’enseignement des guildes artisanales se trouve également dans l’idéal qu’avait Walter Gropius de l’« oeuvre d’art totale » (= Gesamtkunstwerk), une idée qu’il emprunte à Wagner. Les étudiants étaient formés à la fois sur la pratique et sur la théorie. « Formons donc une nouvelle corporation d’artisans, sans cette séparation de classes qui dressait un mur de dédain entre artisans et artistes. Nous devons vouloir, concevoir et créer ensemble le nouvel édifice de l’avenir, qui rassemblera en une seule forme peinture, sculpture et architecture et qui, des mains de millions d’artisans, s’élèvera un jour vers le ciel, symbole de cristal d’une foi nouvelle qui s’annonce » (Walter Gropius, Manifeste du Bauhaus, 1919). Ainsi l’école devient le précurseur du design contemporain grâce au façonnement de nombreux objets usuels. Elle s’inscrit dans la suite de la philosophie des Arts and Crafts par son désir de faire de l’art au service de la fonctionnalité. Les enseignements proposés avaient pour objectif premier de trouver des formes artistiques susceptibles d’être reproduites industriellement afin de redonner à l’art une place dans le quotidien des hommes. Pour atteindre cette utopie, le Bauhaus visait le bonheur des masses.

Le monde prolétaire et le syndicalisme ouvrier s’installent et révolutionnent l’organisation du travail. L’artisan, qui était considéré comme un travailleur avec un savoir-faire, devient un ouvrier s’étant mis à son compte et travaillant en indépendance dans son atelier. Les premiers syndicats locaux et nationaux d’artisans apparaissent dès la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle, suite à l’adoption de la loi sur le syndicalisme (1884) provoquée par la montée du mouvement ouvrier. La première organisation nationale interprofessionnelle est la Confédération Générale de l’Artisanat Français, en 1922, elle représente le principal syndicat d’artisan durant l’entre-deux-guerres. Très peu de temps après, en 1925, est votée la loi portant sur la création des Chambres de Métiers qui représentent les intérêts généraux des artisans dans leur département.

1 - William Morris - L’art et l’artisanat - Traduit de l’anglais par Thierry Gillyboeuf - Éditions Payot & Rivages - 2011 - p.15
2 - Jean Bauet - De l’outil à la machine - Histoire des techniques jusqu’en 1800 - Éditions Vuibert - 2004 - p.237

4 // L’ARTISANAT EN FRANCE AUJOURD’HUI

À l’heure où les outils numériques fabriqués par des industries semblent dominer, l’activité de l’artisanat est pourtant bien présente. En France aujourd’hui, le secteur de l’artisanat rassemble plus de trois millions d’actifs et ses champs d’activité sont variés : alimentation, bâtiment, production et services. On trouve aussi les métiers d’art, une catégorie qui se différencie de l’artisanat par des savoir-faire complexes, la maîtrise dans sa globalité du métier et surtout un caractère artistique. La liste des métiers qu’il est possible d’exercer comporte plus de 510 activités différentes, et on en compte actuellement 281 concernant les métiers d’art. Les entreprises artisanales se caractérisent par la dimension humaine. L’artisan est considéré comme un petit entrepreneur, producteur de biens ou de services répertoriés sur la liste des Métiers de la Chambre de Métiers et de l’Artisanat, à laquelle il doit être inscrit. Il ne peut pas employer plus de dix salariés.

Il est possible d’être inscrit sur le Répertoire des Métiers et pour autant ne pas posséder la qualification « d’artisan ». Ce titre se gagne grâce à la reconnaissance par le Président de la Chambre de Métiers et de l’Artisanat de ses savoir-faire et la qualité de son travail. Il en va de même pour les titres de « maître artisan » et « maître artisan en métier d’art ». Ces qualifications sont attribuées selon certaines conditions d’études ou de temps. Par exemple, l’artisan pourra devenir maître artisan après dix ans d’immatriculation au Répertoire des Métiers ou s’il est titulaire du brevet de maîtrise dans le métier exercé après deux ans de pratique professionnelle. Tout comme au Moyen-Âge, pour s’élever dans les qualifications de l’artisanat actuel, cela nécessite un apprentissage, de la qualité et du temps.

Bien que les vitrines se ressemblent puissent se ressembler de l’extérieur, l’artisanat a bien évolué depuis le Moyen-Âge jusqu’à maintenant. La majeure différence entre l’artisanat du Moyen-Âge et celui d’aujourd’hui est son influence. Au XII éme siècle, l’artisanat possède le monopole de la production, il est au centre de l’économie. Mais, depuis le XIXème siècle, l’industrie vient concurrencer ce pouvoir par sa vitesse de production et ses prix moins élevés. L’artisanat se retrouve considéré comme un produit élitiste du fait de son prix souvent plus onéreux. On pourra cependant retenir la citation d’un anonyme qui, bien qu’un peu idéaliste, affirme la différence principale entre des produits fabriqués par des automates et ceux conçus par une personne sensible qui prend plaisir dans son travail avec la matière. « Quand vous faites travailler un artisan, vous achetez plus qu’un service. Vous achetez des centaines d’heures d’échecs et d’expérimentations. Vous achetez des jours, des semaines, des mois de frustrations et aussi de purs moments de joie. Vous n’achetez pas quelque chose, vous achetez un morceau de coeur, une parcelle d’âme, une part de la vie de quelqu’un. Plus important encore, vous achetez à l’artisan plus de temps pour lui permettre de vivre sa passion ».

CE QUE SAIT LA MAIN

Fiche de lecture

Richard Sennet - Ce que sait la main - La culture de l’artisanat - Traduction française par Pierre-Emmanuel Dauzat - 2010 - Éditions Albin Michel

« Faire, c’est penser. » Cette affirmation vient conclure la quatrième de couverture du livre Ce que sait la main, La culture de l’artisanat de Richard Sennett. La main de l’homme est ce qui lui permet de pratiquer depuis le commencement. Pourtant, ceux qui pensent sans faire sont souvent hissés au sommet. Le savoir se place au-dessus du savoir-faire, comme si l’ingénieur était supérieur au technicien. Richard Sennett contredit ce point de vue en affirmant que la main ne peut être dissociée de la tête malgré ce que l’industrie tente de nous faire croire.

Romancier, critique littéraire, philosophe, sociologue et violoniste, Richard Sennett est l’un des grands penseurs américains de son temps ; il est surtout un penseur qui s’intéresse aux pratiques manuelles. Dans ce livre, il nous donne une définition de l’artisanat bien plus large que celle habituelle d’un « travail manuel spécialisé ». Il pense l’artisan comme une notion plus vaste, le craftsman, qui est animé par le désir, commun à tout homme, de bien faire quelque chose en soi. En ce qui concerne l’artisanat, il le définit comme étant l’envie de « soigner son travail et [qui] implique une lente acquisition de talents où l’essentiel est de se concentrer sur sa tâche plutôt que sur soi-même » (4ème de couverture). Cette définition amène à considérer l’excellence du travail comme une fin en soi. L’affirmation de C.Wright Mills renforce cette idée : « Les satisfactions du travail accompli sont sa propre récompense ».

Dans la pensée de l’auteur, l’artisanat signifie aussi bien le Moyen-Âge, avec l’organisation de la société par les corporations, telles que les communautés actuelles qui emploient la notion de liberté comme Linux par exemple. Le programmateur informatique, l’artiste, le parent et le citoyen sont artisans. Ils ont tous pour point commun ce désir, que l’on a déjà vu, de bien faire leur travail, mais aussi d’être en dialogue avec la matière. Dans la première partie de son livre, « L’artisan troublé », Richard Sennett aborde trois sujets majeurs : la relation entre tête et main, la routine dans l’apprentissage et le rapport à la matière.

1 // TÊTE / MAIN

L’artisan est troublé. Cette affirmation est le titre de la première sous-partie du chapitre consacré à l’artisan. Richard Sennett y démontre comment le monde moderne ne pousse plus l’artisan à la qualité. À l’inverse de ce qui a été dit précédemment concernant la vision de l’excellence du travail comme une fin en soi, la nouvelle économie cherche à éveiller le désir de bien travailler en développant la concurrence et également par la nécessité morale de travailler dans l’intérêt de la communauté. Le travail bien fait n’est plus une finalité. S’ajoute à cela la reconfiguration des profils recherchés par les entreprises. Le fait de travailler au sein d’une entreprise était vu comme récompense du travail, avec notamment les augmentations découlant de l’ancienneté. Désormais tout est fait dans le seul but de créer du profit. Les entreprises préfèrent le court terme et les jeunes employés qui coûtent moins cher que des employés expérimentés. Enfin, l’effort de l’employé pour réaliser un travail bien fait reste invisible pour la structure des gratifications. C’est donc une démoralisation générale qui s’est installée avec la nouvelle économie.

En plus de la démoralisation de ses employés, la nouvelle économie est marquée par cette idée que la théorie serait supérieure à la pratique, du fait que les idées sont apparemment plus durables que les matériaux : « Le théoricien vaudrait mieux que l’artisan parce que les idées durent » (p.172). Pourtant, Richard Sennett défend que la conception est indissociable de la fabrication. La tête et la main sont nécessaires dans la fabrication. L’artisan fait appel à l’esprit pour réaliser les bons gestes. Il pense le produit en son intégralité (sa forme, sa matière, les gestes, etc.), il est tout autant concepteur qu’exécutant.

La rupture entre main et tête est en grande partie due à la Révolution Industrielle et à la nouvelle manière de travailler qu’elle a apporté : la division des tâches. Avec le Taylorisme, l’ouvrier ne fait partie que d’une courte étape de la fabrication d’un produit et répète les mêmes gestes. Un modèle qui semble aujourd’hui contredit par le développement de nouveaux lieux ouverts de fabrication, comme on peut le voir dans le livret entretien. La seconde conséquence majeure liée à la Révolution Industrielle est l’expansion des machines. Au départ, cette menace paraissait physique puisque la machine pouvait répéter le même geste sans jamais se fatiguer. Elle est peu à peu devenue morale à cause du mauvais usage qui a été fait des automates, notamment des logiciels de CAO (Création Assistée par Ordinateur). L’homme donne un ordre qui est exécuté et compris par un algorithme, mais le résultat obtenu reste souvent un mystère pour l’utilisateur. Par l’utilisation abusive de la CAO, la main souffre puisqu’elle ne pratique plus, et il en est de même pour la tête qui est coupée de la réflexion et de la compréhension du fonctionnement des nouveaux outils.

Richard Sennett perçoit la CAO comme le défit qui est à relever par la société moderne. « Comment penser comme des artisans en faisant un bon usage de la technologie ? » (p.64). Au-delà du savoir-faire qui définit l’artisan, il sous-entend également la dimension sociale qui existe dans la manière de travailler du craftsman. La rupture de la tête avec la main reviendrait à une séparation intellectuelle mais aussi sociale.

2 // LA ROUTINE COMME FORME D’APPRENTISSAGE

« Méfions-nous des prétentions au talent inné, non formé » (p.56). Richard Sennett nous invite à nous méfier de l’inspiration soudaine, qu’il appelle aussi, et sans doute un peu ironiquement, « coup de foudre ». Selon lui, l’inspiration et l’intuition s’inscrivent dans la routine. Il démystifie le mythe du génie en affirmant que le talent va de pair avec une pratique régulière. C’est en exerçant une chose de façon répétitive que l’on apprend. Pour Richard Sennett, plus l’on répète, plus notre capacité à supporter la répétition augmente. La routine est donc à percevoir comme un moyen d’étudier une pratique mais aussi de la moduler au fur et à mesure. « Plus une personne recourt à ces techniques, plus elle les sonde, plus elle y gagne en satisfaction du travail bien fait et en sentiment de compétence » (p.322). Cependant, cette manière d’acquérir des compétences ne semble pas être au goût de l’éducation moderne qui considère la routine comme un apprentissage répétitif, passif et « abrutissant ». Elle ne serait pas assez stimulante pour les enfants. Derrière ce concept de routine, Richard Sennett défend pourtant le travail technique, qui est loin de se réduire à la répétition abrutissante. L’apprentissage, et notamment l’amélioration par la répétition, est appliqué par les machines modernes. Grâce à des boucles rétroactives, ces dernières apprennent de leurs erreurs et se re-programment en fonction. Mais avec cette régulation autonome des machines, l’homme n’intervient plus et il se retrouve extérieur à la routine. C’est par ce mauvais usage que Richard Sennett arrive a ce que l’on a vu précédemment : la dissociation de la tête et de la main.

« L’intuition se travaille » (p.290). Cette phrase vient contredire l’idée que la routine n’est pas assez stimulante dans l’apprentissage. L’artisan en répétant ses gestes et en se confrontant à la matière quotidiennement s’ancre dans une routine où l’innovation ne semble pas avoir sa place. Pourtant, par cette répétition, il s’inscrit d’avantage dans une logique du « et si ? » plutôt que du « donc ». Il se prépare à l’éventualité que quelque chose peut arriver. Richard Sennett appelle cette créativité des « sauts intuitifs ». Il s’agit bien de créativité puisque l’artisan peut à tout moment réagir face à un quelconque problème en adaptant ses outils par exemple. Il part du principe que « ce qui n’est pas encore pourrait être » (p.286). Pourtant, l’artisan ne recherche pas l’innovation, il la produit quand il doit surmonter un nouvel obstacle. La création est une réponse à un nouveau besoin, contrairement à notre époque où l’innovation est constamment recherchée dans le but d’innover et surtout de se démarquer et d’être le meilleur face à la concurrence.

Avec la routine, l’artisan peut anticiper les sensations lors de la prise en main d’un objet et ajuster ses gestes en fonction de la matière et de l’outil grâce à son intuition qu’il a entraînée avec la pratique. L’outil, plutôt que de provoquer la frustration par ses limites, est à voir comme un champ de possibilités inexplorées. La routine n’est donc pas à comprendre comme quelque chose d’ennuyeux, comme peut le penser l’éducation moderne. Au contraire, dans son apprentissage, l’artisan rencontre des échecs, rebondit et s’améliore. « Les routines ne sont pas statiques pour les bons artisans; elles évoluent, et les artisans s’améliorent » (p.357). La matière n’est pas lisse et ne sera jamais la même. La confrontation de l’artisan à la résistance de la matière et à la difficulté technique le pousse à surmonter les obstacles. Il s’inscrit dans une combat avec la matière.

3 // LE RAPPORT À LA MATIÈRE

Aujourd’hui, la machine travaille la matière sans se soucier de sa forme. Elle lui impose ce qui lui a été préalablement ordonné par l’homme. Cependant, dans le rapport entre machine et matière, il semble difficile de réellement parler d’un combat. La machine est améliorée dès qu’elle rencontre une résistance, à l’inverse du corps humain qui est dans un rapport de force avec la matière, un rapport qui se ressent dans l’objet. Les automates ne peuvent pas laisser sur les objets produits les marques d’une quelconque lutte puisqu’il n’y en a pas eu. Ces objets ne sont que les reproductions de produits fabriqués par le corps, des mimes. C’est avec le développement des ordinateurs que le rapport au corps a été complètement modifié. Nous ne sommes plus des acteurs qui produisent et notre corps n’est plus blessé par un effort qu’il aurait pu faire. Maintenant, nous naissons avec le numérique entre les mains et donc la possibilité de créer sans passer par la pratique. Toute relation à la matière est perdue, tout comme le rapport de force. « On peut s’en servir pour refouler la difficulté » (p.63). C’est en ces mots que Richard Sennett parle de la Création Assistée par Ordinateur (CAO), telle une marque de la paresse humaine qui, au lieu d’être stimulée par la difficulté, la refoule en se cachant derrière de nouvelles technologies.

Dans son livre, Richard Sennett met souvent en comparaison le travail de la main du souffleur de verre ou du forgeron avec celui des programmateurs de Linux. Il perçoit la technologie et le code comme une matière nouvelle à travailler avec ses propres contraintes, au même titre que le verre ou le métal. Ces programmateurs remplissent les mêmes qualités que possèdent Héphaïstos dans la mythologie et tout artisan : compétence et communauté. Avec cette comparaison, l’auteur prouve sa vision large de ce qu’est l’artisanat pour lui. Il va bien au-delà du seul « travail manuel spécialisé ». Le travail artisanal est marqué par l’envie, que nous possédons tous, de bien faire notre travail tout en acquérant des compétences par l’expérimentation. «  La valeur de l’expérience considérée comme un art » (p.387). La fierté de son travail est, selon l’auteur, la meilleure récompense que l’on puisse attendre de l’engagement, de l’expérience et du savoir-faire.

MAIN & MACHINE

Rapport de stage

En France, il est vrai que l’on peut facilement rencontrer cette fascination actuelle pour les pratiques manuelles et la transmission des savoir-faire anciens. Le designer-artisan est de plus en plus présent dans le graphisme français actuel. On peut le noter par la multiplication des studios de graphisme qui se servent d’une technique d’impression manuelle, comme la sérigraphie, et de sur-mesure. Le graphiste ne se considère plus seulement comme une tête pensante, il souhaite pratiquer tout en retrouvant un lien entre corps et matière. C’est à dire être présent du début jusqu’à la fin du produit, à la fois concepteur et producteur. Tête et main cherchent à se rattacher pour mettre fin à cette séparation qui est apparue au cours de ces deux derniers siècles entre le travail intellectuel et le travail manuel. Ce désir de créer de A à Z, en marge du protocole standard, dans une structure à échelle humaine et avec un contexte économique personnel se retrouve dans les tiers-lieux. L’exemple type de ces espaces communs est le fablab, un site ouvert de fabrication où l’on peut passer du concept, au prototype, à la production.

Mon envie a été d’aller voir ailleurs si le besoin tête/main se faisait ressentir de la même manière. C’est en Europe de l’Est que j’ai choisi de me rendre. Ces trois mois de stage à Budapest, plongée dans une culture et une langue nouvelles, m’ont permis d’enrichir mes connaissances, mon réseau et mes pratiques. J’ai pu rencontrer des personnes du monde entier aux talents multiples, découvrir que les images sont un moyen de communication parfois plus utile que les mots, et surtout j’ai pu expérimenter et comparer des pratiques manuelles et des pratiques numériques.

Cette expérience hongroise aura été un moyen de me questionner sur le rôle du designer-artisan dans le graphisme actuel, entre conception et fabrication. Aujourd’hui les techniques manuelles sont confrontées aux machines. Comment trouver un équilibre entre ces deux pratiques ?

1 // PRÉSENTATION

1.1 // UN LIEU, PLUSIEURS FINALITÉS

C’est au 8, Vasvari Pal utca à Budapest que se trouve le studio Brody ArtYard. Pour le trouver, il faut oser s’aventurer en dehors de la rue passante Kiraly puis sonner pour que quelqu’un vienne vous accueillir et vous invite à découvrir ce lieu en constante ébullition, où réflexion et production ne font qu’un. C’est d’abord la partie magasin qui vous reçoit avec ses sérigraphies suspendues et ses étagères de risographies. Puis vient l’espace principal d’exposition et de travail en même temps. Derrière, se trouve le joli bazar du studio d’impression. On se perd entre les nombreux cadres pour la sérigraphie, les énormes cartouches de la risographie et les autres instruments. C’est la très dynamique Claudia Martins, originaire du Brésil, qui est à la base de ce lieu créatif. Elle est épaulée par les deux Hongroises, Evelin Pal qui gère la communication, et Mimma Nosek, graphiste et illustratrice. L’imprimeur est lui aussi hongrois, Janosh, un homme au caractère timide mais aux savoir-faire précis.

L’orientation choisie par Brody ArtYard est d’avantage tournée vers l’art. Les travaux dits du « milieu du design » étant déjà présentés dans un studio du même type, Printa, auparavant créé par Claudia Martins. Elle a emmené avec elle cette envie d’exploiter cette technique d’impression manuelle qu’est la sérigraphie, mais cette fois-ci pour l’appliquer au champ de l’art et de l’illustration notamment. Ce désir de communiquer et d’éditer des artistes internationaux et hongrois se retrouve dans la philosophie du groupe dont fait partie le studio, Brody House Group. Il se compose de quatre anciens bâtiments aux murs chargés d’histoire, rénovés et transformés. On trouve Brody Apartment et Brody House, des appartements et des chambres d’hôtel dont les décors changent en fonction des artistes et des demandes; Brody ArtYard, la galerie d’art et studio d’impression. Et enfin, il y a Brody Studios, un lieu où se déroulent les événements, souvent privés, organisés pas le groupe. L’esprit Brody se veut bohème chic par un aspect négligé et ancien apporté au décor (murs, mobilier) et qui pourtant est réalisé au centimètre près, une liberté contrôlée qui a un prix pour ses membres.

1.2 // L’ILLUSTRATION POUR COMMUNIQUER

Pendant mon stage j’ai été accompagnée par deux autres stagiaires. Anna, étudiante allemande en design graphique spécialisée en édition et Jeannet, étudiante norvégienne en photographie. C’est au sein de cette équipe de stagiaires internationales que j’ai trouvé ma place en tant qu’illustratrice pendant un projet de catalogue, qui nous avait été confié, ayant pour but de présenter Brody House Group. On m’a proposé d’illustrer le catalogue pour appuyer les propos, compléter les photos et ajouter du dynamisme. Ce projet de longue haleine a été le moyen de mettre en avant l’image comme un langage à part entière. Lors d’une semaine de workshop avec des Hongrois ce ressenti s’est vraiment accentué. L’échange par les mots pour expliquer une technique n’étant pas le plus simple, ce sont alors les gestes et le dessin qui ont pris le relais. Montrer devient plus approprier que dire. Richard Sennett défend cette réflexion et va plus loin en disant que les capacités d’explications verbales sont peut-être dépassées par le champ de compétences et de savoirs que nécessite le travail artisanal.1 Le langage n’est pas suffisamment adéquat à la transmission des mouvements physiques du corps humain. J’en ai moi-même fait l’expérience dans mon apprentissage de la sérigraphie et de la risographie. Ce n’est pas seulement en écoutant les explications de Janosh que j’ai appris, mais par l’expérimentation et la répétition. L’acquisition de la compétence se fait par la pratique.

Le second aspect qui m’est apparu avec l’illustration est le rapport à la reconnaissance du temps de travail, un point qui n’est pas toujours évident pour celui qui ne pratique pas. Le graphiste actuel doit sans cesse réapprendre les savoirs manuels et numériques constamment remis à jour. Il m’a fallu apprendre à jongler entre le crayon, un savoir déjà acquis, et la tablette graphique, encore peu connue, afin de répondre à des commanditaires pointilleux. Cette alternance de techniques a demandé un apprentissage et surtout une adaptation à un nouvel outil imitant mon instrument ancien. Le choix d’un outil et la maîtrise que l’on en a ont forcément un impact sur le temps de travail. Selon l’emploi qui en est fait, la machine peut se positionner aussi bien comme complément du fait-à-la-main que comme un remplaçant. Mais alors, avec la mise a jour permanente des technologies qui automatisent notre quotidien, qu’en est-il du rapport de l’homme avec le travail ? La reconnaissance du temps passer à travail et l’individuation par le travail semblent remisent en question.

1 - Richard Sennett - Ce que sait la main - La culture de l’artisanat - Traduction française par Pierre-Emmanuel Dauzat - 2010 - Édition Albin Michel - p.133

2 // MACHINE & MAIN

2.1 // L'IMPERFECTION

La machine ainsi que le numérique semblent être les nouveaux milieux de création à approfondir pour l’homme. Numérique ne veut pas dire pour autant que les pratiques manuelles sont à bannir. J’ai pu en faire l’expérience pendant mon stage à Brody ArtYard. Le tracé manuel est complété par le dessin numérique, et la sérigraphie trouve dans la risographie une précision supplémentaire. Mais nous ne sommes pas artisan et ne possédons pas son geste parfait. L’imperfection de notre fait-à-la-main est pourtant ce qui séduit aujourd’hui, comme si ce manque de régularité était la marque de l’authenticité. À tel point qu’aujourd’hui l’inexactitude est travaillée comme l’expression de la personnalité. Il suffit de jeter un oeil du côté des illustrations contemporaines qui travaillent le tremblement du trait et l’aspect enfantin plutôt que la perfection et la réalisme. Lors de mon stage j’ai eu l’occasion de passer une semaine aux côté de l’illustratrice londonienne, Alice Pattullo. Elle s’inscrit dans cette démarche d’un graphisme « imparfait » en tamponnant n’importe quoi pour créer des textures, puis les re-découpe, les re-colle, les gribouille, et ainsi de suite jusqu’au passage à la sérigraphie. Une technique qu’elle utilise dans le but de conserver l’aspect manuel et l’envie de toucher la matière.

Il semble que nous courrons après l’imperfection du fait-à-la-main pour ne pas avoir à affronter un milieu nouveau qui nous effraie. La perfection et la régularité semblent, quant à elles, associées directement à la machine. Une association étrange quand on pense que l’obsession de l’artisan du Moyen Âge était la perfection et le travail bien fait, le défaut était vu comme un échec. Bien sûr, jamais même le plus habile des artisans, ni le plus chevronné des ouvriers ne pourra avoir la régularité et la rapidité d’un robot, mais cela ne veut pas dire pour autant que machine ne rime pas avec imperfection. Prenons comme exemple la technique d’impression en risographie. Cette « photocopieuse » qui imprime couleur par couleur assure de pouvoir sortir plusieurs exemplaires voir une petite série. L’irrégularité s’invite au moment du calage du papier qui bouge toujours un peu avec la vitesse d’impression. Au premier coup d’oeil l’ensemble des impressions semble similaire, mais en s’approchant, on peut distinguer un léger décalage entre les couleurs d’un exemplaire à un autre. Cette machine demande un savoir, mais cette fois-ci non pas un savoir-faire mais un « savoir-maîtriser ». Ce n’est plus nous qui faisons mais qui ordonnons à la machine de faire à notre place. Mais employer le terme de « maîtrise » parait audacieux si l’on est coupé de l’expérience physique. Pour comprendre au mieux les réglages que nous demandons aux machines, il est semble important de passer par une phase d’expérimentation physique des processus de fabrication. Avec les Fablabs cette étape préalable est de plus en plus pratiquée, on vient y tester la réaction des matériaux ou bien la force et la vitesse qui sera appliquée avant le passage sur machines. « Si j’utilise ce matériau, va-t-il réagir mieux que celui-ci ? Quelle profondeur de coupe est suffisante pour créer un tampon qui puisse imprimer correctement ? ». Ce premier questionnement permet d’aborder la machine autrement et de ne plus se retrouver comme un simple exécutant face à elle, mais bien comme un acteur qui l’expérimente.

AUTOMATISATION

Le problème de la vitesse d’adaptation à un nouveau seuil de complexité technique se pose ici face à la vitesse à laquelle ces technologies se multiplient. L’homme n’a pas le temps de comprendre une technique, qu’une autre plus évoluée est déjà sortie. Dès la Révolution Industrielle s’est posé le problème d’une menace par la machine, à la fois physique et morale. L’artisan pense et fait en même temps. L’arrivée de la mécanisation puis de l’informatique a boulversé cette manière de faire. Notre culture s’est softwarisée depuis les années 1960, dans toutes les strates de la société l’on voit apparaitre les logiciels. La création est désormais accompagnée par la CAO (Création Assistée par Ordinateur). Bien sûr on pense toujours mais c’est un algorithme qui fait à notre place. Le résultat est compris par l’ordinateur mais pas forcément par nous. Majoritairement nous nous contentons du résultat qui nous apparaît, sans chercher le pourquoi ni le comment il est donné. Les gens laissent les machines faire l’apprentissage des nouvelles techniques à leur place et restent passifs. C’est une manière de refouler la difficulté en se cachant derrière des logiciels aux menus prédéfinis ainsi que derrière des pratiques manuelles déjà connues. Un enseignant pourrait sans doute écrire sur le bulletin scolaire de l’homme : « Se repose trop sur ses acquis ». À force de ne pas chercher plus loin que ce qui apparait sur l’écran, l’automatisation s’installe dans la pratique. Notre réflexion est enfermée dans des choix donnés, ce qui permet d’évacuer la souffrance du travail et d’instaurer une production sans accident et sans véritable pratique de l’outil. Une image bien éloignée de l’artisan du Moyen-Âge qui, pour s’élever dans la hiérarchie, passait sa vie à travailler et son temps dans l’atelier, en répétant sans cesse les mêmes gestes dans l’optique d’améliorer ses compétences. Les outils numériques, dont les logiciels, ne permettent pas l’apprentissage par la répétition, ni l’accident puisque tout est déjà conditionné et rien n'est fait pour dépasser ce que les concepteurs ont prévu. Anthony Masure définit le créatif contemporain comme un usager qui attend du logiciel qu’il réponde à ses attentes de façon précise.1 La multiplication des logiciels vient renforcer l’uniformisation et la standardisation des productions. Le maître en la matière est Adobe et ses fameux logiciels tel que Photoshop ou InDesign qui font croire au grand public que la création est quelque chose de simple, un processus sans effort et sans résistance puisqu’il suffirait de régler une suite de choix dans des listes prédéfinies. La conséquence de ce mensonge est une « standardisation abusive » de nos productions par des outils censés être l’imitation de nos outils traditionnels.

Dans le graphisme contemporain l’accessibilité massive aux logiciels laisse apparaître la figure du graphiste amateur. Les choix prédéfinis des interfaces ont remplacée la recherche graphique par de l’exécution, jusqu’à normaliser le paysage graphique contemporain. Anthony Masure parle d’une « standardisation abusive »2 de nos productions. La création est rendu accessible à tous et est prétendue facile (c’est à dire sans un passage par un quelconque apprentissage outre que celui du logiciel), ce qui a pour conséquence de vulgariser le métier de graphiste. A-t-on encore vraiment besoin de graphiste professionnel alors que tout le monde peut disposer de leurs outils de travail ?

1 - Anthony Masure - Adobe : le créatif au pouvoir - http://www.anthonymasure.com/articles/adobe-creatif-pouvoir
2 - Anthony Masure - L’imprévu des programmes - http://www.anthonymasure.com/audio/2013-imprevu-programmes-rencontres-lure
MIMÉTISME & NUMÉRISATION

Alan Key conçoit l’ordinateur personnel comme un « métamédium », c’est-à-dire une manière nouvelle de travailler les médias anciens tout en intégrant des médias qui n’existent pas encore. Cette simulation donne une nouvelle approche de nos instruments traditionnels. Avec ce déplacement de nos savoirs, nous nous concentrons trop sur la « remédiation » (=représentation) des anciens médias, alors que, comme le dit Lev Manovich, il serait plus judicieux de s’intéresser aux programmes en eux-mêmes puisque le milieu dans lequel évoluent les médias est différent et permet de les aborder de façons jamais vues auparavant.1

On peut citer le copier/coller, la recherche de mots clef, le choix d’une police de caractère tout en ayant l’aperçu en même temps. Les exemples peuvent être multiples, mais ils sont avant tout, la preuve de la numérisation de nos savoir-faire. Cette extériorisation d’un savoir-faire dans un système technique ne veut pas forcément dire qu’on le perd, ni que les compétences sont réduites mais qu’elles se déplacent. La pratique se fait désormais virtuellement. Alors sans doute pour conserver le lien physique avec l’outil que l’homme a connu, les objets numériques viennent imiter physiquement nos instruments traditionnels. Une manière de combler le manque du lien outil/main. Les machines à écrire ont été remplacées par des ordinateurs qui conservent un clavier tout en fonctionnant avec des logiciels de traitement de texte, le crayon est aujourd’hui un stylet qui vient danser sur des tablette graphique, et la main est prolongée par une souris.

Prenons pour exemple un objet dont les graphistes ont raffolé : la tablette graphique et son stylet qui retranscrit visuellement la pression exercée, elles ont été un premier pas dans l’imitation physique de notre manière de dessiner avec un crayon. Un mimétisme encore un peu loin du compte puisque le trait tracé n’apparait pas directement sous le stylet, comme avec un crayon, mais sur un écran placé à côté. Le regard ne peut plus se porter sur le geste et le tracé en même temps, il est obligé de faire un choix et l’on devine facilement que l’écran qui s’anime captera d’avantage l’attention. Le numérique pousse l’imitation de cette pratique traditionnelle du dessin avec le projet de la Slate par Iskn. Cette ardoise numérique, dont le slogan est « Associez le plaisir du dessin sur papier, crayon à la main, à la puissance du numérique », permet de continuer de dessiner manuellement, tout en numérisant au même instant chaque trait qui est dessiné. Cette technologie s’inscrit dans la catégorie des objets connectés par l’ajout à notre bon vieux carnet de dessin et à notre crayon fétiche d’une tablette et d’une bague numériques permettant l’enregistrement. On conserve le rapport à la matière et le regard à la fois sur le geste et le résultat, tout en alliant numérique. Pari réussi.

Au départ il s’agissait de papier avec l’impression ou le scanner, mais maintenant on parle de plastique, de bois, de verre. L’environnement numérique est de plus en plus capable d’interagir avec la matière physique, comme l’artisan sait le faire, à la différence que les automates numériques permettent d’obtenir des formes impossibles à avoir avec des outils traditionnels. L’homme, qui en créant l’outil souhaitait se débarrasser de ses frustrations, n’a fait que diminuer d’avantage son utilité, peut-être par paresse, face aux cerveaux mécaniques qui viennent imiter et automatiser nos gestes dans tous les domaines.

La notion de geste parait cruciale. Un exemple simple, dans les logiciels de dessin ou de mise en page, le geste de la main n’est plus le même que lorsque la pratique était physique. On passe d’une main qui sait tenir un crayon, qui sait le manipuler, qui sait couper, coller, organiser, qui sait être minutieuse, à une main qui sait tenir une souris et cliquer quand il le faut. Le numérique peut-il s’accorder avec la conservation du geste ? Les nombreux objets connectés qui sont inventés semblent être un début de réponse, tout comme le développement du mouvement « faire » depuis les années 2000. L’envie de « bidouiller » se développe.

1 - Anthony Masure - Adobe : le créatif au pouvoir - http://www.anthonymasure.com/articles/adobe-creatif-pouvoir

ENTRETIEN

avec Camille Bosqué

Propos recueillis par mail le 15 février 2016

Camille Bosqué est designer et professeur agrégée d’arts appliqués à Paris. Elle vient de finir sa thèse (2016) pour devenir docteure en Esthétique et design : La fabrication numérique personnelle, pratiques et discours d’un design diffus. Enquête au coeur des FabLabs, hackerspaces et makerspaces de 2012 à 2015. Cette thèse porte sur les communautés d’amateurs qui bousculent les normes et les habitudes productives en pratiquant un design diffus, comme il nous est proposé de l’appeler. Ils touchent à des nouvelles pratiques d’invention, de conception et de fabrication, dans les marges de l’industrie. En parallèle, elle signe le livre FabLabs, etc. Les nouveaux espaces de fabrication numérique qui donnent suite à ses enquêtes sur le terrain au sein de nombreux hackerspaces et FabLabs où la pratique numérique personnelle est reine.

1 // Aujourd’hui de nombreux designers possèdent, voire créent, leurs propres outils, comment expliquez-vous ce besoin de proximité avec la technique ? Est-il à comprendre comme une recherche d’individuation de la part des designers ?

La réappropriation des objets techniques est une voie vers une forme d’« individuation », concept établi par Gilbert Simondon, selon lequel chacun peut être responsable de lui-même, être critique, en vue d’une reprise en main de ses désirs et de son existence, loin des menaces de plus en plus élaborées d’un marketing intrusif. La question de l’individuation est une grande question qui, si l’on en croit Simondon (et après lui Stiegler) dépasse les pratiques des professionnels de la technique et donc les designers. Je pense que les designers s’emparent des outils numériques de fabrication et d’autoproduction, d’abord parce que ces techniques sont devenues accessibles à faibles coûts. Évidemment cela rejoint aussi la nécessité d’imaginer d’autres scénarios de conception et de fabrication (à la demande, sur mesure, en collaboration) qui découlent des logiques en réseau diffusées plus largement par le numérique.

2 // Comment faut-il considérer cette démarche d’autoproduction ? Est-elle à voir comme une critique de notre mode de production en cherchant à renouer travail et plaisir, comme William Morris le soutenait avec les Arts and Craft ?

Beaucoup de designers ou de makers se revendiquent en effet de l’héritage des Arts and Crafts. À Londres, la boutique-atelier Unto This Last porte même le nom d’un ouvrage de John Ruskin. Son portrait est affiché en grand dans leurs locaux. Les logiques d’autoproduction dans lesquels certains designers ou makers s’engagent peuvent en effet faire écho aux grands discours engagés de William Morris. Ils réinvestissent très concrètement la nécessité de faire pour soi, soi-même, de produire des objets réfléchis et soignés et refuser d’être un maillon invisible dans une production de piètre qualité. Il y a aussi une revalorisation d’un travail « pour soi », sans contrainte, sans poids d’une hiérarchie et sans soumission à des impératifs de rentabilité ou de productivité.

3 // Quelle représentation peut-on désormais avoir du travail du designer ? Quel rôle occupe-t-il ?

C’est une immense question. Dans la plupart des makerspaces sur lesquels j’ai travaillé, on parle finalement peu de « design » en tant que tel. On se noie aujourd’hui dans les différents nouveaux termes qui entourent le rôle du designer : co-design, open design, design participatif, méta-design… Les designers que j’ai rencontrés sur les différents terrains de mes enquêtes ne se présentent pas toujours comme designers mais s’inventent de nouvelles fonctions : médiateurs, traducteurs, inventeurs, hackers, bricoleurs… Dans ma thèse j’ai développé l’hypothèse de ce que je propose d’appeler un « design diffus », en m’appuyant sur les travaux de Pascal Nicolas-Le Strat sur la « créativité diffuse ». Les herbes folles du design diffus forment une configuration qui implique selon moi, à différents niveaux et à des degrés divers de se situer hors du marché de masse, de proposer un changement d’échelle et de taille dans la manière de produire et de faire ensemble, d'agir aux frontières de l’industrie capitaliste, dans une exploration d’autres possibilités d’invention et d’innovation ouverte dont la mise au secret est exclue, d'affirmer et de revendiquer un design sans apparat, qui rend manifeste ce qui le compose, qui tâtonne et qui ouvre des possibilités de manipulation, de chercher à faire mieux avec les technologies de fabrication numérique personnelle et avec les machines, pour les « authentifier ». Cette dernière notion est centrale dans le travail de Pierre-Damien Huyghe. Elle est empruntée à Walter Benjamin qui, dans Petite histoire de la photographie (1931), emploie le terme d’« authentification » pour désigner la nécessité, pour la photographie naissante, de « trouver sa forme » et de prendre ses distances avec les traditions picturales existantes.

4 // Ce souhait de posséder ses propres outils met en avant les machines et le processus de création, peut-être même d’avantage que l’objet final en lui-même, qu’en pensez-vous ?

Oui, il y a effectivement encore beaucoup de projets qui sont le résultat d’expérimentations « pour faire », pour voir, pour admirer la machine. Le travail d’authentification dont je parlais n’est pas encore terminé. L’impression 3D est certainement la machine qui fait le plus l’objet de ce type de production, souvent encore réduites à ce que j’appelle des « objets phatiques », c’est-à-dire des simples objets de démonstration…

5 // Dans votre travail vous vous intéressez principalement aux nouveaux lieux ouverts de fabrication numérique (fablab, hackerspace), comment les décrieriez-vous ?

L’éclosion de la culture maker a entraîné dans son sillage la multiplication de makerspaces, espaces de fabrication numérique équipés de machines mises en commun. « Makerspace » est un terme générique qui peut qualifier et rassembler des espaces aux identités aussi variées que les hackerspaces – dont l’existence précède l’avènement du mouvement maker – et les FabLabs, dont le réseau se déploie dans le monde depuis les années 2000 selon des ambitions et des origines également bien particulières. Si ces espaces collectifs dédiés à la fabrication numérique se fondent sur des pratiques communes ou très proches, qui défendent l’idée d’un travail singulier, libre et créateur, leurs généalogies font apparaître des héritages multiples et tissent les fils de récits bien spécifiques, qui rencontrent aujourd’hui divers écueils et contradictions. Le mouvement maker, dans les discours de ses fondateurs et de ceux qui s’en réclament, représente une « alternative », la promesse d’un changement, d’une mutation ou d’une transition. Cela implique de nouvelles manières d’envisager la production, ce qui induit une conception différente de la valeur économique ou intellectuelle des projets développés qui conduit à penser une forme particulière d’implication individuelle, de travail et d’activité créative.

6 // Pour vos recherches, vous avez voyagé de fab labs en fab labs dans le monde entier, ce qui vous a permis de rencontrer différents acteurs de ces lieux, quels points communs majeurs pouvez-vous faire ressortir des envies qui animent ces personnes ?

Dans son célèbre texte sur les hétérotopies écrit en 1967, Michel Foucault formule plusieurs principes qui pourraient aujourd’hui permettre de décrypter les logiques à l’œuvre dans les FabLabs ou les hackerspaces. Il décrit des lieux qui sont « dessinés dans l’institution même de la société, et qui sont des sortes de contre-emplacements, sortes d’utopies effectivement réalisées ». L’émergence de ces espaces se définit en miroir ou en contraste avec les modes d’organisation les plus traditionnels. En effet, on y rencontre de nombreuses personnes qui, par leurs parcours ou leurs activités, se trouvent dans des phases de transition ou agissent dans les marges de la société, à cheval entre plusieurs rôles : retraités, jeunes en free-lance, étudiants, personnes en recherche d’emploi ou en quête de renouveau... Les hétérotopies, selon la description de Michel Foucault, rassemblent en effet « des activités incompatibles ». Les hackerspaces ou makerspaces sont des espaces très organiques qui évoluent et s’organisent autour de plusieurs activités hétéroclites : fabrication, électronique, cuisine, impression 3D, hacking, couture, atelier pour le bois, programmation, réunions ou cours, gestion de la bibliothèque... Michel Foucault décrit les hétérotopies comme des lieux qui opèrent « une sorte de rupture absolue avec le temps traditionnel ». De nombreux hackerspaces ou FabLabs ne sont ouverts qu’en soirée ou parfois uniquement la nuit ou le week-end. D’une certaine manière, ils abolissent le temps. Noisebridge, un hackerspace mythique à San Francisco où j’ai passé beaucoup de temps, est ouvert sans interruption. Cela permet d’y vivre une expérience relativement similaire à deux heures du matin ou au beau milieu de l’après-midi. Les portes restent ouvertes, chacun peut aller et venir à n’importe quel moment pour y mener tous types d’activités, de la programmation à la fabrication en passant par le tirage de photos argentiques ou la pâtisserie.

Dans ma thèse, je m’arrête aussi spécialement sur l’histoire de deux FabLabs pionniers – le MIT-FabLab Norway et le South End Technology Center de Boston : je montre comment la dissolution du mouvement des FabLabs dans un ensemble protéiforme d’ateliers et de « makerspaces » tous différents révèle la nécessité d’une appropriation et d’un détournement des chartes et des règles du jeu définis pour ces espaces, qui dépassent souvent les simples objectifs technophiles.

7 // Certains pensent les Fablabs comme la Troisième Révolution Industrielle à venir, qu’en pensez-vous ?

Nous sommes à la croisée d’un capitalisme dit « cognitif » et des contours d’une troisième révolution industrielle, dont le socle serait une forme nouvelle de contribution et de collaboration démocratique. C’est la première phase d’une ère davantage coopérative que centralisée. L’époque qui se profile grâce à la fabrication numérique personnelle renvoie à des logiques de création de valeur qui privilégient le social sur le capital et qui s’appuient sur les forces du réseau, de la communauté, du pair à pair. Jeremy Rifkin désigne ainsi l’impression 3D comme la technique emblématique de cette industrie distribuée. La démocratisation de la production et de l’innovation, prônée par les acteurs du mouvement maker, nourrit effectivement le récit scintillant d’une troisième révolution industrielle fondée sur la contribution, le partage et la mise en commun des ressources. Pour décrypter les perspectives ouvertes par les territoires encore mouvants des pratiques buissonières du mouvement maker, les notions de décentralisation, d’autoproduction ou d’émancipation sont centrales, puisqu'elles soutiennent les scénarios sur lesquels ces pratiques s’appuient, et nourrissent les promesses vers lesquels tendent les acteurs du mouvement maker. Il faut discuter ces mots-là et s’interroger sur la manière concrète dont les FabLabs et autres espaces collectifs de fabrication mettent en jeu cette décentralisation, cette autoproduction et cette émancipation. Dans la plupart des cas, ces enjeux font encore l’objet de nombreux tâtonnements.

8 // Quel avenir pour les fablabs ? Comment imaginez-vous leur rôle dans plusieurs décennies, si ce n’est plus tôt ?

Les discours et les pratiques que j'ai observés entre 2012 et 2015 au cours de mon enquête dans les FabLabs, les hackerspaces et les makerspaces recoupent directement certains débats fondamentaux, qui touchent à la manière dont le capitalisme, la « grande industrie » et le design pourraient se redéfinir en une production « sur mesure », locale et « responsable ». Les technologies de fabrication numérique personnelle ne sont, à l’heure actuelle, certainement pas assez mûres pour concurrencer la production industrielle de masse, puisque les objets produits dans les makerspaces que j’ai étudiés sont la plupart du temps des prototypes fragiles et imprécis. Selon Sébastien Broca, « le rêve d’une fabrication personnelle qui romprait avec la centralisation propre à la production de masse ne se réalisera [...] pas demain. » (S. Broca, L’Utopie du logiciel libre. Du bricolage informatique à la réinvention sociale, Paris, Le Passager clandestin, 2013, p. 162.) Dans son étude sur le logiciel libre, ce sociologue relève également un argument important : par delà les enjeux techniques, des arguments économiques et sociaux sont également en jeu puisque le public des hackerspaces et des makerspaces est essentiellement aisé, « branché et urbain ». Cela réduit l’idéal démocratique prôné par certains porte-paroles. L'idéal prôné par les porte-paroles du mouvement maker rencontre peut-être bien là une de ses limites. Pour la suite, je ne peux faire aucun pronostic !

9 // Selon vous, est-il juste de mettre en lien l’artisanat et le mouvement faire ? Peut-on voir ce retour de la pratique manuelle comme un artisanat 2.0 ?

Je me méfie des jolies formules qui font écran, du type « artisanat 2.0 », « néo-industrie », etc. Je ne sais pas ce que cela veut dire et je pense que toutes ces tournures pour décrire ce qui émerge en ce moment peuvent rapidement faire écran. Ce ne sont pas des expressions qui aident à penser.

MACRO-PROJET & RÉFÉRENCES

Dispositifs techniques

MACRO-PROJET

Ce mémoire est à mettre en parallèle avec la réalisation d’un macro-projet. Celui-ci n’est pas encore clairement défini. Pour l’instant il prend la forme d’une boîte à outil, tel un atelier transportable, qui permettrait de réintroduire une pratique manuelle dans le travail du designer graphique. À l’intérieur de cette boîte à outils, on pourrait imaginer trouver divers instruments qui permettent de travailler le graphisme autrement que par le biais de logiciels de CAO. Ces outils de création, comme de communication, seraient open source, au sens où leurs plans, leurs matériaux et la démarche à suivre pour les créer seraient disponibles sur Internet, permettant ainsi l’appropriation par chacun, le partage des connaissances et de possibles améliorations par la communauté. Pour les créer, la main est nécessaire, mais pas seulement. Des machines comme l’imprimante 3D, la découpeuse laser ou la fraiseuse numérique sont tout autant utiles. Leur apprentissage sera donc à faire pour la réalisation de ce projet.

Le concept de boîte à outils va être exploité d’une autre façon, en parallèle du macro-projet. Dans le cadre du projet Noailles Tous Ici, j’interviendrai pour la réalisation d’outils d’impression. Noailles Tous Ici est un projet qui se passe dans le quartier de Noailles, à Marseille, coordonné par quatre associations (Urban Prod, Art’up 13, Destination Familles et Les petits débrouillards). Il a pour vocation de réunir les habitants de ce quartier, de les faire se rencontrer, qu’ils échangent, qu’ils s’informent, qu’ils aient envie de s’investir, etc. Ces échanges autour de l’image de Noailles seront concrétisés par une balade urbaine dans le cœur même du quartier, pour donner à voir ses richesses, ses savoir-faire, sa nature, ses marchandises, ses habitants et sa mémoire. Afin de marquer les parcours de la balade, les associations désirent placer des panneaux aux endroits clés. C’est là que j’interviendrai, en tant que graphiste-artisan. Le projet de Noailles Tous Ici cherchant à se pérenniser, l’idée est de leur apporter un kit d’outils d’impression, leur permettant dans les années à venir de créer d’autres panneaux en fonction de leurs besoins. Ce kit d’outils sera composé de pochoirs représentant les signes forts des savoir-faire, du dynamisme et de la nature que l’on trouve à Noailles. La réalisation de ces pochoirs se fera avec la découpeuse à vinyle sur du polypropylène. Les panneaux, d’environ cinquante centimètres sur cinquante centimètres seront découpés à la main pour réaliser des formes se rapprochant des blasons des corporations de l’artisanat du Moyen-Âge. Ce projet sera également l’occasion de sociabiliser une boîte à outils, et de voir quelle prise en main est faite par les habitants et les associations.

LA PLUS PETITE SOCIÉTÉ D’IMPRESSION

Letter Proef Tuin

Un atelier en boites, voila ce qu’est la plus petite société d’impression. Ce projet audacieux est le fruit de l’imagination du studio de design Letter Proef Tuin, aussi atelier néo-artisanal comme ils aiment à s’appeler. Ce studio, basé à Rotterdam (Pays-Bas), est une invitation à se salir les mains en expérimentant avec des outils physiques. Avec La plus petite société d’impression, ils relèvent le défit de placer un atelier d’impression dans deux caisses en bois, mobiles grâce à un chariot. Cette mobilité permet aux designer d’être toujours accompagnés de leurs outils de travail peu importe leur destination, comme au festival de l’affiche à Chaumont où ils ont présenté leur projet en 2013. L’atelier n’est plus un lieu fixe, il est décloisonné, il devient mobile et ouvert au public. Car au delà de cette nouvelle dimension de l’espace de travail, ce projet a pour dessein d’imprimer les plus petites affiches possible, mais pas seulement par les mains des membres du studio. Ils réalisent des performances en invitant le public à venir se salir les mains, à pratiquer, et à imprimer leur propre affiche miniature. La plus petite société d’impression, notamment par son nom, questionne et redimensionne l’emploi ainsi que les métiers de graphiste et d’imprimeur, intimement liés. Chacun se sent artisan-graphiste pendant un instant et se voit transmettre les savoir-faire de ces métiers. Ce projet s’inscrit dans la philosophie actuelle de la mise en avant aussi bien du produit fini que du processus de fabrication, dans le cas présent d’impression. Mais à l’inverse de la tendance du moment qui expérimente artisanalement les outils numériques, l’atelier mobile propose uniquement des techniques d’impression manuelles. Les deux caisses, qui composent l’atelier, renferment une multitude d’outils (pinces typographiques, rouleaux encreurs, lettres en bois, etc), d’encres, de papiers ainsi que les deux éléments importants : une miniature d’une presse modèle Roco-Ets V50 et une table à sérigraphie elle aussi miniature. Ce joli bazar permet aux utilisateurs d’expérimenter l’impression en relief et la sérigraphie.

L’impression en relief nécessite, dans ce projet, une panoplie de lettres en bois. Elles peuvent être de différents corps ou styles typographiques. Letter Proef Tuin s’inspire des lettres en plomb et des casses d’autrefois pour créer sa collection de lettres. À la manière des typographes, il faut placer les lettres dans l’ordre pour obtenir le résultat escompté. Les lettres sont à l’envers, ce qui permet de lire le message dans le bon sens une fois imprimé. La petite taille des éléments nécessite l’utilisation d’une pince typographique pour pouvoir les placer le plus précisément possible. Une fois positionnées sur la plaque de la presse, un papier, suffisamment épais, est positionné par dessus, puis la protection. Il suffit d’un coup de main assuré pour actionner la roue de la presse et ainsi appliquer une pression sur les lettres et le papier. On découvre l’empreinte en relief dans le papier des lettres 3D. Cette technique se rapproche de l’impression typographie ou en gravure (devenue photogravure). Ces deux techniques utilisent souvent, en plus du relief, de l’encre ce qui donne un relief en couleur.

La sérigraphie est une technique d’impression qui utilise le pochoir (= l’écran) interposé entre l’encre et le support. L’encre se dépose sur le support en reproduisant les formes ouvertes de l’écran. L’écran est constitué d’un tissu en polyamide tendu et fixé sur un cadre. La première étape est la préparation d’un film transparent sur lequel on imprime ou on dessine en noir opaque le motif qui sera sérigraphié. L’insolation est la deuxième étape du procédé. Elle consiste à déposer une émulsion photosensible sur l’écran. Dans le noir, on utilise une lumière intense qui « brûle » l’écran et y projète le motif du film. Après ce passage dans le noir, il faut dégager le pochoir à l’aide d’un jet d’eau puissant pour faire apparaitre les zones non brûlées, celles qui laisseront passer l’encre. Pour débuter l’impression, il faut fixer l’écran sur la table de sérigraphie. L’encre est placée à l’un des côtés de l’écran. Le racloir permet d’uniformiser l’encrage sur tout l’écran. Il faut ensuite glisser la feuille en dessous, puis passer le racloir qui fera passer l’encre à travers les parties ouvertes de l’écran pour venir se déposer sur la feuille.

MURMUR

Cheval Vert / 2roqs / Polygraphik / Splank

Le projet ambitieux Murmur propose une simulation de la matérialisation du mouvement des ondes sonores. L’installation numérique est décrite par ses créateurs comme « une prothèse architecturale permettant la communication entre une personne et un mur », mur sur lequel la prothèse est connectée et où sont projetés les ondes visuelles. Cette installation, qui existe depuis 2013, réunie design graphique, design produit, design sonore et programmation, une réunion qui est due à quatre studios : Cheval Vert, 2roqs, Polygraphik et Splank. L’association de ces quatre domaines est aussi un moyen de questionner la relation qu’il existe entre le monde physique et le monde virtuel, entre son et image. La réponse apportée par Murmur sont des ondes visuelles blanches et abstraites, créées numériquement. Ce rapport a pu être testé par un grand nombre de personnes à travers le monde (Prague, Lyon, Angleterre, Brésil, Paris, Amsterdam, Grèce, USA, etc.). L’installation a été pensée pour pouvoir être transportable facilement. À l’inverse des oeuvres-d’art qui demandent de nombreuses démarches pour pouvoir être déplacées, Murmur pourrait tenir dans une valise sans problème. Sa petite taille est donc un avantage qui facilite énormément sa mobilité. Ces nombreux déplacements et présentations font de Murmur un projet phare et aussi un objet de communication. Cette vitrine mobile des studios peut être considérée comme un chef-d’oeuvre. Ce terme défini l’oeuvre la plus importante ou la plus aboutie d’un auteur. Elle est l’achèvement de la formation de l’artisan et marque son passage du statut de compagnon à maître. Mais au-delà d’être juste une démonstration de savoirs, l’installation numérique propose à chacun de participer et de contribuer. Les gens, en parlant ou émettant des bruits dans le cône, déclenchent la projection des visuels. Cette installation participative est aussi open source. Sur le site dédié au projet, l’accès au code source se fait librement. On le retrouve en entier sur Github (une plateforme de partage de codes, de schémas de montage, etc.). On trouve également les différentes parties qui composent l’installation : un LEDstrip, la chambre d’écho, un RaspberryPi, une projection et les logiciels de programmation qui sont OpenFrameworks et Java Script.

Toute l’installation est contrôlée par un nano-ordinateur de la taille d’une carte de crédit, le RaspberryPi. Seule la carte mère est vendue pour limiter les coûts et laisser la possibilité d’utiliser des matériaux de récupération. Par exemple le disque dur est une carte SD qu’il faut se procurer à part, ce qui permet de la choisir selon nos besoins. Pour débuter, il faut installer un système d’exploitation sur la carte mémoire, comme par exemple ArchLinux, une distribution Linux pour des appareils à processeur ARM comme RaspberryPi. Dans le cadre de l’installation Murmur, le RaspberryPi est utilisé comme ordinateur embarqué, placé dans la chambre d’écho grâce à sa petite taille.

Le projet entier tourne sur OpenFrameworks. Il s’agit d’un logiciel open source de programmation orienté création d’art numérique, qui utilise le langage C++. Le langage C++ est un langage de programmation compilé. Il permet de faire de la programmation procédurale (= une série d’étapes à réaliser), de la programmation orientée objet (= c’est la définition et l’interaction de briques logicielles appelées objet. Un objet est un concept, une idée ou une entité du monde physique qui possède une structure internet et un comportement propre) ou encore de la programmation générique.

Dans le projet, des extensions (= addon) sont utilisées pour lier le langage Java Script à OpenFrameworks et au langage C++. Ils sont reconnaissables grâce l’ajout « ofx » devant leur nom. « of » correspondant à l’abréviation d’OpenFrameworks et « x » voulant surement dire « l’addon s’applique à… ». Ces extensions sont utilisées et appelées de la même manière que l’on utilise des librairies dans Processing. La partie outils graphiques utilise six différentes extensions, chacune avec ses caractéristiques. « ofxBox2D » est un logiciel qui permet de faire des simulations d’éléments physiques 2D, en prenant en compte les collisions et les caractéristiques d’un corps physique. Il est notamment beaucoup utilisé pour des jeux Flash en ligne. « ofxFFT » (= Fast Fourier Transform) permet de capter le son et d’analyser son spectre. « ofxMSAPhysics » est une librairie physique, c’est à dire qu’elle gère les collisions, la gravité et l’attraction des particules. Elle est similaire à la librairie Processing traer.physics. « ofxOsc » est l’addon qui permet de communiquer avec le protocole OSC (= Open Sound Control). Il s’agit d’un format de transmission entre ordinateur, synthétiseur, robot ou autre matériel ou logiciel compatible. Il est conçu pour un contrôle en temps réel. « ofxUI », maintenant « ofxGUI », est une librairie qui permet la conception d’interfaces graphiques utilisateur. Et la dernière extension, sans doute la principale, est « ofxjavascript ». Cet addon permet l’application et l’exécution du langage Java Scipt grâce au moteur Mozilla. Il met en lien OpenFrameworks et Java Script. Pour la chambre d’écho, une extension est utilisée, « ofxLPD8806 » qui connecte OpenFrameworks à la RaspberryPi.

GLOSSAIRE

Amateur

Emprunté au latin amator = « celui qui aime », dérivé de amare = aimer. Un amateur est celui qui exerce une activité en dehors du cadre professionnel, souvent sans rémunération, et dont la motivation est essentiellement due à la passion. Les pratiques amateurs supposent un engagement personnel. Le mot est parfois connoté péjorativement notamment par l’implication d’un manque de compétences. Pourtant, aujourd’hui, le web participatif facilite la collaboration des amateurs à l’élaboration du savoir.

Arduino

C’est une carte électronique composée d’un microcontroleur, qui se programme sur l’ordinateur. Il permet de diriger n’importe quel appareil en planifiant leur fonctionnement. Les schémas électroniques et les codes sources sont distribués librement et téléchargeables gratuitement.

Artisanat

Voir l'article A.T.C., l'évolution de l'artisanat.

Arts and Crafts

Ce mouvement artistique est né en Angleterre dans les années 1860, et se développa jusque dans les années 1910. Le père fondateur du mouvement est William Morris, fabriquant designer textile, imprimeur, écrivain, poète, conférencier, peintre, dessinateur et architecte britannique. L’une des principales préoccupations de ce mouvement d’artistes-artisans est l’inquiétude face au progrès industriel qui révolutionne l’organisation sociale et la manière de travailler (division des tâches et ouvrier spécialisé sur une tâche seulement). Or pour eux, le bonheur et l’épanouissement réside dans l’artisanat et le fait main, et notamment dans la participation du début à la fin de la réalisation d’un objet. Leur deuxième grande idée était que l’art devrait intervenir partout, et notamment dans les objets usuels (vaisselles, reliure, luminaire, etc). Cette vision est l’idée fondatrice du design, c’est pour cela que William Morris est considéré comme l’un des pères du design. Les créations étaient réalisées soit en pièce unique soit en petite série. L’Arts and Crafts a été le premier mouvement à rapprocher les Beaux-Arts et les Arts-Appliqués. Ils prônent la cohésion sociale des communautés dans lesquelles l’artisan éprouve du plaisir dans le travail manuel.

Authentique

Authentique signifie « dont l’origine, la réalité ou l’auteur sont certifiés et ne peuvent être mis en doute ». L’emploi normal en langue classique et moderne, lorsque l’on parle de choses, désigne qu’elles sont véridiques, indiscutables et non affectées. Dans ce cas où l’on parle de produit, l’adjectif authentique désigne également une conformité à certaines règles de fabrication.

Automatisation

Le mot automate vient du grec automates qui signifie « qui se meut de lui-même ». L’automatisation est l’ensemble des opérations techniques conduisant à réduire, voire à supprimer, la part de l’intervention humaine directe dans les processus de production industrielle, d’analyse et de gestion. En mécanique, un automate est une machine imitant les mouvements d’un être vivant. En informatique, un automate est une machine servant à traiter de l’information.

Autonomie

L’autonomie est la capacité de quelqu’un à être autonome, c’est à dire à ne pas être dépendant d’autrui. On parle, par exemple, d’autonomie lorsqu’une personne a la faculté de se déterminer par soi-même, de choisir et d’agir librement. De manière générale, c’est le caractère de quelque chose qui fonctionne ou évolue indépendamment d’autre chose.

Atelier

L’atelier est un espace consacré au travail et à la fabrication, que ce soit dans une usine, chez un artisan ou un artiste.

Collaborer / collaboration

« travailler avec » / « travailler en commun ». C’est l’acte de s’associer pour travailler ou réfléchir ensemble afin d’atteindre des objectifs communs. L’internet est aujourd’hui l’outil principal permettant un travail collaboratif, qu’il se fasse à proximité ou à distance. On peut citer en exemple l’utilisation des réseaux sociaux, des massages instantanées, du partage de fichiers en ligne ou encore des conférences audios.

Collectif

Quelque chose de commun, conjoint, effectué à plusieurs.

Communauté

Au sens étymologique, la communauté est un groupe de personne -cum, qui partage quelque chose -munus. Une communauté désigne donc un ensemble de personnes qui sont unis et partageant les mêmes caractéristiques (mode de vie, culture, langue, intérêts, opinions, vision sociale, …). Il existe des communautés administratives, scientifiques, virtuelles, internationales, religieuses, linguistiques, etc.

Dématérialisation

Voir la définition de Numérisation.

Démocratiser

Démocratiser c'est rendre quelque chose accessible au plus grand nombre.

Design

Le design est terme très large, qu’il est difficile de définir puisqu’il est constamment réinventé en fonction de chaque époque et de chaque culture. Il est né avec la Révolution Industrielle. Le design a permis de retrouver la dimension esthétique des objets industriels et des décorations. Il est aujourd’hui omniprésent, de la voiture à l’appareil ménager, du mobilier à l’emballage de tout chose. Il s’applique à l’art ou à la technique visant à concilier la beauté des formes avec l’usage que l’on fait des objets et les conditions industrielles de leur production. En d’autres termes, il est un processus intellectuel créatif et pluridisciplinaire qui a pour but de traiter et d’apporter des solutions à des problèmes de tous les jours, petits et grands, qu’ils soient sociaux, politiques, scientifiques et environnementaux.

Victor Papanek : « Le design est devenu l’outil le plus puissant avec lequel l’homme forme ses outils et son environnement. »

« Le design a d'innombrables concertations. Il est l'organisation en un équilibre harmonieux de matériaux, de procédés et de tous les éléments tendant à une certaine fonction. Le design n'est ni une façade, ni l'apparence extérieure. Il doit plutôt pénétrer et comprendre l'essence des produits et des institutions. Sa tâche est complexe et minutieuse. Il intègre aussi bien les besoins technologiques, sociaux et économiques, que des nécessités biologiques ou les effets psychologiques des matériaux, la forme, la couleur, le volume, l'espace. Le designer doit voir, au moins d'un point de vue biologique, l'ensemble et le détail, l'immédiat et l'aboutissement. Il doit concevoir la spécificité de sa tâche par rapport à la complexité de l'ensemble. Sa formation doit porter tant sur l'utilisation des matériaux et des technologies que sur la connaissance des fonctions et des systèmes organiques ». [1947, Lazlo Moholy Nagy, enseignant au Bauhaus].

Design graphique

Le design graphique est une discipline qui consiste à traiter des informations par le visuel. C’est une création, un choix et une utilisation d’éléments graphiques visant à élaborer un objet de communication. Ce traitement formel des informations et des savoirs permet de structurer l’inconscient de la lecture et l’organisation du lisible et du visible. « Traiter visuellement les informations, les savoirs et les fictions, c’est donc concevoir graphiquement leur organisation, leur hiérarchie, c’est concevoir une syntaxe scripto-visuelle dont les partis pris graphiques orientent les regards, les lectures. » Annick Lantenois Le vertige du Funambule - Le Design graphique, entre économie et morale - Paris - Éditions B42 - 2013 - p.7

Dispositif

Tout ce qui a, d’une manière d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants. D’après Giorgio Agamben.

Division des tâches

Aussi appelée Taylorisme ou Organisation Scientifique du Travail (OST), et définie par l’ingénieur américain Frederick Winslow Taylor dans les années 1880. C’est une méthode de gestion et d’organisation des ateliers de production. Il ne faut pas confondre Taylorisme et Fordisme, ce dernier prend appuis sur l’OST mais y ajoute la notion de travail à la chaine. En ce qui concerne la vision des tâches, il s’agit d’une organisation du travail permettant d’obtenir un rendement maximum et d’augmenté les profits en réponse à l’essor de l’industrialisation et à la production de masse qui, selon Taylor, mérite un minimum d’organisation et de discipline pour arriver à ses fins. Les tâches sont parcellisées et les ouvrier, appelés ouvriers spécialisés, sont considérés comme des exécutants sur une tâche précise. C’est ainsi que s’introduit une séparation entre réflexion et exécution dans le monde du travail.

Do It Yourself (DIY)

Traduction littérale en français : « Faites-le vous-même » / « Fais-le toi-même ». Le DIY n’est pas l’ère où tout le monde est artisan par obligation, mais l’ère où chacun peut devenir artisan par choix. Au sens propre, le DIY désigne le fait de construire, modifier ou réparer un objet par soi-même, sans l’aide d’experts. Sa philosophie se rapproche du bricolage ou de la bidouille. L’utilisateur n’est plus un simple spectateur ou consommateur. Il participe, il échange sur ses connaisses, il diffuse son travail, il pratique, il invente, il recycle les matières premières, il cherche, il expérimente, il prend son temps. Cette volonté du faire se base sur l’envie d’explorer d’autre processus de création et de manières de faire. L’expérimentation, au centre de la démarche, est stimulée par les conditions de production et la matière disponible. Dans les années 50, l’expression Do It Yourself était utilisée pour définir ceux qui ne voulaient se contenter de consommer, mais également d’améliorer ce qu’ils avaient acheté. C’est dans les années 60-70, avec l’essor de la contre-culture et les mouvements de refus de la société de consommation, que le DIY prend une tournure plus politique. Paradoxalement, le DIY est aujourd’hui devenu un marché, voir même une industrie. Magasins, livres, émissions et magazines lui sont consacrés. Avec la démocratisation d’internet et de l’ordinateur personnel, les ressources de DIY en ligne sont en forte progression. On trouve énormément de blogs personnels où les utilisateurs font part de leur propres expériences sous forme de vidéos tutoriel. Ce succès trouve aussi avec internet des places de marché, comme etsy.com qui permet à ses utilisateurs de vendre les objets qu’ils ont fabriqué. La Fabuleuse Histoire Du DIY - Olivia Lisicki - http://www.qamaqi.com/blog/la-fabuleuse-histoire-du-diy/ (Article issu des travaux de recherche de Matthieu Vergote pour son Master « Innovation by Design » à l’ENSCI - Les Ateliers.)

Do-ocratie

Ou le pouvoir du faire. La do-ocratie reconnait la légitimité des actions à ceux qui en prennent l'initiative (définition de Michel Lallement). C’est une forme d’auto-organisation dans laquelle les individus s’assignent eux-mêmes des tâches et les exécutent, en toute responsabilité. Le moteur de do-ocratie carbure à la confiance et à la passion, selon les principes de la Stigmergie. Il suffit d’avoir des idées et on les réalise en appelant les autres à vous rejoindre, et vous aider. On ne reçoit pas d’ordre, les décisions se prennent en faisant. En do-ocratie, chacun a de l’influence ou du pouvoir à la mesure de ce qu’il fait. C’est un modèle particulièrement efficace pour faciliter la prise d’initiative et l’implication par le plus grand nombre. La Do-ocratie est au cœur du fonctionnement des wikis et des hackerspaces. (définition venant de https://blogs.mediapart.fr/edition/la-revue-du-projet/article/031114/les-mots-clefs-de-l-univers-des-fab-labs).

Ductus

Chemin de la main pour dessiner une lettre. Inscrit culturellement.

Économie circulaire

Cette expression désigne un concept économique qui est lié au développement durable. L’économie circulaire se rapproche d’autres notions économiques comme l’économie verte, l’économie de l’usage ou de l’économie de la fonctionnalité. L’objectif principal de ce type d’économie est de produire des biens et des services tout en limitant la consommation et le gaspillage des matière première et des sources d’énergie non renouvelables.

Économie collaborative

C’est une activité humaine qui vise à produire de la valeur en commun et qui repose sur de nouvelles formes d’organisation du travail. Cette organisation est d’avantage horizontale que verticale : mutualisation des biens, des espace et des outils, organisation des citoyens en réseau ou communauté. Le développement de cette économie est dû aux nouvelles technologies et aux nouveaux moyens de communication, comme internet sans quoi l’économie collaborative n’existerait pas. Elle prend place dans différents domaines comme la consommation (couchsurfing, covoiturage, etc), les modes de vie (coworking, habitat collectif, etc), la finance (crowfundin,etc), ou encore la production contributive (fab labs, hackerspaces, DIY, wiki, etc).

Expérimenter

Essayer, tester, connaître quelque chose par l’expérience.

FabLab

Un FabLab est l’abréviation de FABrication LABoratory, littéralement « laboratoire de fabrication ». C’est une plateforme collaborative de prototype rapide d’objets physiques. Ces lieux sont ouverts et s’adressent à tout le monde, à ceux désireux d’expérimenter, de passer rapidement du concept au prototype, d’enrichir ses connaissances pratiques, etc. Ils s’inscrivent dans un réseau international de Fab Labs qui, grâce à internet et aux plateformes de partage, permet de communiquer, d’échanger et d’améliorer des projet à travers le monde. Un FabLab est donc à la fois une communauté locale et une communauté mondiale. La plupart du temps, on retrouve des machines de niveau professionnel permettant un prototype rapide de toutes sortes d’objets. La liste des machines nécessaires dans un FabLab a été définie par le MIT, dans la charte des FabLabs. Elle est la définition de la philosophie Fab lab, c’est donc le respect de cette charte qui permet de prétendre au label « fab lab ». Ces espaces sont donc à la fois une mise à disposition d’outils d’usinage et aussi des lieux de rencontre ou l’on peut échanger et de partager sur des expériences et des connaissances. La notion d’ouverture est très importante, Fabien Echyenne en donne une définition précise «  Contrairement à des unités de prototypage rapide que l’on peut retrouver dans des entreprises, dans des centres spécialisés dédiés aux professionnels, les fab labs sont ouverts à tous, sans distinction de pratiques, diplômes, projets ou usages. ». Ces espaces ouverts à tous permettent d’abaisser les barrières transdisciplinaires et transgénérationnelles, au profit d’une production collaborative. 1 - Charte des Fablabs : http://fab.cba.mit.edu/about/charter/ (en anglais) - http://www.labfab.fr/charte-fablab/ (en français). 2 - Fab Lab - L’avant-garde de la nouvelle révolution industrielle - Fabien Eychenne - Fyp Éditions - 2012 - p.10

Geste

Le geste est le mouvement, volontaire ou involontaire, visant à accomplir une action.

Hacker

Vient de l’anglais hack qui signifie bidouiller, bricoler. En français il peut se traduire par didouilleur. À l’inverse de l’image répandue du hacker, qui le définit comme un méchant pirate, c’est une personne qui ne souhaite pas subir les technologies et cherche donc à se les approprier et à en prendre le contrôle pour les dépasser et les détourner, mais sans pour autant les détruire. C’est un spécialiste d’informatique qui programme en prenant du plaisir à solutionner des problèmes complexes. L’éthique hacker incarne un rapport au travail fondé sur la passion et le développement personnel. En cela un hacker peut être surnommé l’artisan de la bidouille.

Hackerspace

Les hackerspaces découlent de la culture hacker. Ils sont à voir comme des laboratoire communautaires ouverts à tous. Ce sont donc des lieux cosmopolites, où se rassemblent des personnes très variées, avec l’objectif commun de partager, tout en utilisant les technologies et le numérique. Ces lieux d’apprentissage et de partage sont fondés sur les règles de la do-ocratie (voir définition). La transmission et le partage de connaissances prend souvent la forme d’ateliers, de présentations ou bien de conférences. En plus de fournir des connaissances, ils fournissent de l’espace à leurs membres pour qu’ils puissent mener à bien leurs projets personnels, ou collaborer avec d’autres membres. À l’inverse des FabLabs, ils ne reposent pas sur la charte définie par le MIT. Les hackerspaces trouvent leur racines dans la contre culture des années 60 et les mouvements autonomes. Les premiers hackerspaces se sont, par exemple, développés dans des squats, des cafés alternatifs ou des friches industrielles. Le plus connu est surement Noisebridge à San Francisco.

Hardware

Le hardware qualifie le matériel informatique dans son ensemble, cet équipement matériel peut être manique, magnétique, électrique ou électronique. Il s’oppose au software, qui désigne les programmes, les logiciels ou les CD.

Imprimante 3D

L’impression 3D est la création d’objets en trois dimension, à partir d’un fichier numérique qui contient l’objet dessiné sur écran grâce à un logiciel de CAO. Le fichier 3D est envoyé à une imprimante 3D qui le découpe en tranches et dépose de la matière couche par couche pour obtenir la pièce finale. Il s’agit d’une impression par addition de matière. Cette technique est rentable pour de petites séries et la production décentralisée. Elle utilise différentes matières comme le plastique, le métal, le plâtre, la céramique et bien d’autres encore.

Individu

En latin médiéval, individu correspond à « ce qui est indivisible ». Ce mot est employé au sens large désignant un « être formant une unité distincte ». Il désigne un membre d’une collectivité humaine.

Individuation

C’est un concept établie par Gilbert Simondon, qui indique que chacun peut être responsable de lui-même, être critique face à une reprise en main de ses désirs et de son existence. Il s’agit, pour un individu, de se distinguer des autres de la même espèce ou de la même société dont il fait partie, c’est à dire le fait d’exister en tant qu’individu. L’individuation est à la fois psychique (« je »), collective (« nous ») et techniques (le milieu qui relie le « je » au « nous »). À l’inverse, une désindividuation est la mise à l’écart de la conscience de soi du fait d’être associé à un groupe. 1 - http://arsindustrialis.org/individuation (consulté le 19/02/16).

Industrie

L'industrie est l'ensemble d'activités qui aboutissent à la production de richesses, à partir de la transformation de matières premières. Il s’agit d’une production en série et à grande échelle. L’industrie est la stabilisation des savoir-faire et l’automatisation des savoirs. L’industrie est marquée par de grandes révolutions. La Première Révolution Industrielle début dès la fin du XVIII ème siècle avec le développement du charbon comme source d’énergie, de la vapeur et de la sidérurgie. Une seconde révolution commença vers la fin du XIX ème siècle avec l’exploitation des premiers gisements pétrolifères, le développement de la grande chimie et l’électricité. Le développement massif de l’électronique (informatique, robotique, etc), est-il a voir comme la Troisième Révolution Industrielle ?

Laboratoire

Le laboratoire est un lieu d'explorations, de recherches, d'expériences.

Machine

Il s’agit d’un produit fini mécanique capable d’utiliser une source d’énergie pour effectuer par elle-même, sous la conduite ou non d’un opérateur. Une machine peut être fixe (machine-outil, machine à laver…) ou mobile (locomotive, tondeuse à gazon…). La différence avec l’outil est que ce dernier nécessite d’être supporté par une machine ou maintenu par un utilisateur même si il s’agit d’un dispositif similaire. Les premières machines n’étaient que des simples organes de réorientation ou de démultiplication de l’effort humain. Les machines modernes peuvent être des appareils spécialisés dans l’exécution d’une tâche complexe.

Machine-outil

Une machine-outil est un équipement mécanique destiné à exécuter un usinage avec une précision et une puissance adaptées. C’est un moyen de production servant à maintenir un outil fixe et à lui imprimer un mouvement afin d’usiner ou de déformer une pièce ou un ensemble fixé sur une table fixe ou mobile. Purement mécaniques à l’origine, elles ont bénéficié de tous les progrès de l’électrotechnique et de l’électronique, et ne cessent de se perfectionner. Les machines-outils se distinguent des outils mécanisés qui, comme les outils traditionnels, sont directement actionnés par l’homme, mais comportent en plus une assistance électrique ou pneumatique.

Matière

Toute substance spécifique qu’on peut connaître par ses propriétés, qui constitue les choses et qui peut être perçue par les sens. La matière première est un produit de base non élaboré ayant subi une première transformation et dont on tire des produits manufacturés.

Mécanisation

Il s’agit de la suppression de l’effort physique direct ou du remplacement d’un outil manuel par une machine alimentée par une source d’énergie autonome. Cette transformation de la production se généralise lors du passage de la manufacture à la fabrication industrielle. La mécanisation s’accélère aujourd’hui dans l’industrie grâce à la robotisation.

Maker

En français il peut se traduire par faiseur, c’est à dire « celui qui fait ». Ce terme désigne les personnes passionnées qui aiment créer, détourner ou bricoler pendant leur temps libre, souvent les technologies et en utilisant leurs mains. Le maker est donc au sens large l’artisan-bricoleur de la fabrication numérique.

Makerspace

Les makerspaces sont des lieux ouverts de travail collaboratif. Chaque lieu est unique, sa finalité est déterminée par la communauté d’utilisateurs qui se l’approprie. De ce fait les outils et les machines sont également variés et définit en fonction des besoins de la communauté, mais on note tout de même que l’on retrouve souvent, si ce n’est toujours, des équipements numériques. Ces lieux s’inscrivent dans la culture « maker » (= la culture « faire »), ce qui fait que l’on y retrouve les valeurs du travail collaboratif et ouvert, la force de la communauté et du partage ou encore la remise en cause de l’industrie capitaliste.

MIT

Massachusetts Institute of Technology. Le MIT est un institut de recherche et une célèbre université américaine de l’état du Massachusetts, à proximité de Boston. Elle a été fondée au XIX ème siècle pour répondre à un besoin croissant en ingénieurs. Bien que l’institut soit devenue pluridisciplinaire, elle conserve un enseignement spécialisé en science et en technologie laissant une large place à l’expérimentation et à l’application technologiques et industrielles. En 2002, elle est la première université à mettre l’intégralité de ses cours en ligne, sur Internet.

Mouvement « faire »

C’est une culture contemporain constituant une branche de la culture DIY, tournée vers la technologie. La pratique de ce mouvement aime à mélanger électronique et robotique à des activités plus traditionnelles comme la métallurgie ou la menuiserie. L’envie de cette culture est d’utiliser de manière innovante la technologie et d’encourager l’invention et le prototypage. Pour se faire, l’apprentissage de compétences et leur transmission puis leur application créative sont primordiales. L’apprentissage se fait par la pratique dans un cadre social, il est informel, communautaire, collaboratif et partagé. Dans ce mouvement faire et travail riment avec plaisir et accomplissement personnel.

Numérisation

La numérisation est un processus de transformation qui mène les contenus d’un état vers un autre. C’est la conversion de données analogiques en données numériques, mais pas pour autant la suppression des supports physiques. À l’inverse de la dématérialisation, avec laquelle il ne faut pas la confondre, qui est à percevoir comme une perte. C’est à dire le passage d’un environnement physique à une gestion entièrement numérique. Annick Lantenois compare la dématérialisation des contenus à la décomposition des organismes vivants. Annick Lantenois - Le vertige du Funambule - Le Design graphique, entre économie et morale - Paris - Éditions B42 - 2013 - p.62

Objet connecté

Très simplement, l’objet connecté est un objet électronique connecté sans fil. Il partage des information par le bisais d’internet ou d’un réseau, avec un ordinateur, un smartphone ou autre. Ces objets sont aussi appelés IOT ce qui signifie, selon la traduction de l’anglais, l’Internet des Objets. Cet Internet des Objets représente l’extension d’internet à des choses et des lieux du monde physique.

Open Source

Il s’agit d’un ensemble de conditions nécessaire pour qu’une licence puisse être considérée comme libre par l’Open Source Initiative. Un logiciel libre est un logiciel distribué selon une licence libre. Ce logiciel peut être utilisé, modifié et redistribué sans restriction par la personne à qui il a été distribué. À l’inverse du logiciel propriétaire, le logiciel libre est fourni avec son code source.

Outil / Instrument

D'après Simondon, un outil est utilisé pour sa fonction première. Alors que l'instrument permet de concevoir autrement une situation, composer, aller au-delà de la fonction première. L’outil est un objet fabriqué qu’on tient à la main et qui sert à celle-ci de prolongement pour exécuter certaines opérations comme travailler la matière.

Ouvrier spécialisé

L'ouvrier spécialisé représente une personne qui effectue un travail déterminé ne nécessitant pas de qualification professionnelle. Sa formation se réduit bien souvent à un coup de main appris sur le tas. On attend de lui qu’il suive le rythme de la machine qui est quant à elle spécialisée. Durant les Trente Glorieuses, il a été le symbole d’un système productif qui pour produire de la richesse « sacrifiait » les hommes. Il ne faut pas le confondre avec l’ouvrier qualifié qui lui a reçu une formation professionnelle et a reçu un diplôme justifiant ses qualifications.

Pair à pair

peer-to-peer en anglais. Il s’agit d’un modèle de réseau informatique proche du modèle client-serveur mais où chaque client est aussi un serveur. Ce système permet de rendre des fichiers accessibles, de mettre à disposition des ressources, de faciliter le partage d’informations.

Partager / Échanger

communiquer. Donner une part de ce que l'on possède (objets ou connaissances) à quelqu'un, ouvrir ses connaissances par exemple. Dans le cas de l'échange il s'agit de recevoir quelque chose d'autre contre ce que l'on a donné, une communication réciproque.

Prolétarisation

Prolétaire vient du latin proletarius qui signifie « celui qui n’est considéré utile que par les enfants qu’il engendre ». Le prolétaire a ensuite été longtemps considéré comme celui dont les ressources viennent du travail manuel. C’est notamment avec Marx, qu’une définition moderne est donnée au prolétariat. À partir du XIX ème siècle le prolétaire est opposé au capitaliste et au bourgeois. Marx parle de la classe ouvrière comme étant la première classe a être touchée par la prolétarisation, mais ne la défini pas comme étant le prolétariat. La prolétarisation est la conséquence de l’industrialisation qui transforme en ouvriers les populations rurales. Ce mot est également à définir comme la perte des savoirs, et en étant privé de ses savoirs le prolétaire est privé de son travail. Pourtant travailler s’est s’individuer. Selon Simondon, le prolétaire est désindividué par la machine qui a automatisé son savoir.

Prosommateur

Ce terme a été créé à partir des mots producteur et professionnel et consommateur. Il fait référence au fait que les consommateurs, longtemps restés passifs face à la production des objets, cherchent de plus en plus à se professionnaliser et à acquérir des compétences leur permettant de devenir acteurs. L’individu devient un travailleur avec une consommation active et critique.

Réseau

À partir de la seconde moitié du XIX ème siècle, le réseau désigne un ensemble de personnes en liaison entre elles, directement ou indirectement.

Routine

Répétition. C’est une habitude invétérée qui fait qu’on procède toujours de la même façon. La routine est un moyen d’acquérir une connaissance par une longue pratique, par une longue expérience, davantage que par l’enseignement.

Savoir-faire

Ou aussi savoir-pratiquer. Un savoir-faire est un art ou une technique de mise en oeuvre correcte de toute les actions ou opérations permettant l’exécution d’une production artisanale ou industrielle. Il peut aussi être défini comme une pratique aisée d’un art, d’une discipline ou d’une profession. C’est une habilité qui peut être manuelle et/ou intellectuelle.

Singularité

Caractère original, unique, insolite de quelque chose. Caractéristique.

Taylorisme

Voir la définition de Division des tâches.

Tiers lieux

C’est une notion qui a été introduite en 1989 par le sociologue américain Ray Oldenburg, permettant de désigner des lieux ne relevant ni du domicile ni du travail. Il s’agit donc d’environnements sociaux, se distinguant des deux principaux, à savoir la maison et le travail. Ils se situent entre la sphère privée et la sphère publique. Ces espaces modulaires sont dédiés à la vie sociale de la communauté. Ils permettent aux individus de se rencontrer, de se réunir et d’échanger. Là encore, la démocratisation massive d’internet a permis l’apparition de ces espaces, encore peu existants il y a quelques années. Les Fab labs, les hackerspaces et les makerspaces sont des tiers lieux.

Transmettre

Faire passer quelque chose (des connaissances, des gestes) à ceux qui viennent ensuite.

Usage / Pratique

D'après le philosophe Bernard Stiegler, user une chose revient à utiliser l'objet dans sa fonction première, on parle d’usage et d’usager, alors que la pratique ouvre le champ des possibles, les contraintes sont libres, ce qui permet au praticien d’ouvrir ses savoir-faire.

Wiki

Le wiki est un système informatique de gestion de contenu participatif. Il est basé sur la libre contribution puisqu’il permet la création, la modification et l’illustration collaboratives de pages dans un site web, par les internautes. Ce mot vient de l’hawaïen « wiki » qui signifie « vite », « rapide ».

SOURCES

1 // ARTICLES

Patrice Bollon
Le génie de la main (article sur Ce que sait la main). 21/01/2010 - Philosophie magazine - #36 http://www.philomag.com/les-livres/notre-selection/ce-que-sait-la-main-la-culture-de-lartisanat-2828
Camille Bosqué
Des FabLabs dans les marges : détournements et appropriations 2015 - Journal des anthropologues n°142-143
Fab labs - La démocratie du design 2013 - L’Architecture d’Aujourd’hui n°398
Max Bruinsma
Le graphiste catalyseur Mars 2007 - Étapes n°142 - p.79
Anthony Masure
http://www.anthonymasure.com Le logiciel au pouvoir 12/13 - Revue Interface numériques - #3 - volume 2
Véronique Vienne
Jessica Helfand - La liste de ses envies Mai - Juin 2015 - Étapes n°225 - p.59

2 // ESSAIS

Jean Baudet
De l’outil à la machine - Histoire des techniques jusqu’en 1800 2004 - Éditions Vuibert
Yoann Bertrandy
Tout le monde est graphiste 2008 - Mémoire de fin d’études - examen du Dnsep École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg https://issuu.com/yoannbertrandy/docs/y-bertrandy-memoire-08 https://issuu.com/yoannbertrandy/docs/ttlmonde-est-graphiste
Sous la direction d’Ewen Chardronnet
Artisans numériques Éditions HYX - Collection Script http://www.editions-hyx.com/sites/default/files/artisans_numeriques_hyx-access.pdf
Jean-Yves Chateau
Le vocabulaire de Gilbert Simondon 2008 - Édition Ellipse Marketing
Coordonné par Etienne Delprat
Système DIY - Faire soi-même à l’ère du 2.0 - Boîte à outils & catalogue de projets 2013 - Édition Alternatives
Fabien Eychenne
Fab Lab - L’avant-garde de la nouvelle révolution industrielle 2012 - Fyp Éditions - Collection La fabrique des possibles
Pierrick Faure
Machine à faire 2014 - Mémoire de Master en école de design http://issuu.com/faurepierrick43/docs/memoire_pierrickfaure
Amélie Jury
Le graphiste artisan 2014 - Mémoire DSAA St-Ex
Michel Lallement
L’Âge du faire - hacking, travail, anarchie Janvier 2015 - Éditions du Seuil
Annick Lantenois
Le vertige du funambule - Le design graphique entre économie et morale 2013 - Éditions B42
William Morris
L’art et l’artisanat Traduit de l’anglais par Thierry Gillyboeuf 2011 - Éditions Payot & Rivages Rivage poche - Petite Bibliothèque
Étienne Ozeray
Pour un design graphique libre Juin 2014 - Mémoire de 4ème année - ÉnsAD http://www.etienneozeray.fr/libre-blog/tag/9-echanges/
Richard Sennet
Ce que sait la main - La culture de l’artisanat Traduction française par Pierre-Emmanuel Dauzat 2010 - Éditions Albin Michel

3 // WEB

Chambre de Métiers et de l’Artisanat
http://www.artisanat.fr
Christophe André
Vers un design libre 05/12/11 - Strabic http://strabic.fr/Vers-un-design-libre
Sophie Fétro
Outils numériques artisanalement modifiés 27/11/11 - Strabic http://strabic.fr/Outils-numeriques-artisanalement
Hubert Guillaud
FabLabs : refabriquer le monde 15/07/10 - internet Actu http://www.internetactu.net/2010/07/15/fablabs-refabriquer-le-monde/
Vers un nouvel écosystème artisanal ? 24/10/13 - internet Actu http://www.internetactu.net/2013/10/24/vers-un-nouvel-ecosysteme-artisanal/
Institut National Métiers d’Art
http://www.institut-metiersdart.org/metiers-d-art
Xavier de Jarcy
Avec les « Fab Labs », deviendrons-nous tous designers ? 01/09/12 - Télérama http://www.telerama.fr/scenes/avec-les-fab-labs-deviendrons-nous-tous-designers,85851.php
Letter Proef Tuin
La plus petite société d’impression http://www.letterproeftuin.com
Robert Maggiori
Haut les mains 07/01/10 à 00:00 - Libération http://next.liberation.fr/livres/2010/01/07/haut-les-mains_603000
Jean-Marc Manach
La prochaine révolution ? Faites-la vous même ! 26/10/10 - internet Actu http://www.internetactu.net/2010/10/26/faites-le-vous-meme-mais-quoi-mais-tout/
Anthony Masure
http://www.anthonymasure.com . Makers : Fables Labs ? 01/13 - Strabic . Adobe : le créatif au pouvoir 06/11 - Strabic . L’imprévu des programmes 08/13 - Conférence donnée au 61ème Rencontres de Lure
Fernand Morun
Relations industrielles - volume 6 - numéro 2 - printemps 2011 http://www.erudit.org/revue/ri/2011/v66/n2/1006172ar.html?vue=resume https://www.erudit.org/revue/ri/2011/v66/n2/1006172ar.pdf
Murmur
Cheval vert / 2roqs / Polygraphik / Splank http://m-u-r-m-u-r.me
Michael Shiloh
Teach Me To Make http://www.teachmetomake.com/index.htm
Rémi Sussan
Les enjeux de la fabrication personnelle 24/06/09 - internat Actu http://www.internetactu.net/2009/06/24/les-enjeux-de-la-fabrication-personnelle/
Vincent Truffy
Les Fab Labs, ou le néo-artisanat 29/05/11 - Owni http://owni.fr/2011/05/29/les-fab-labs-ou-le-neo-artisanat/
Weronika Zarachowicz
Je fabrique, tu fabriques, nous révolutionnons 14/06/14 - Télérama http://www.telerama.fr/monde/je-fabrique-tu-fabriques-nous-revolutionnons,113474.php
Wikipédia
L'encyclopédie libre https://www.wikipedia.org

4 // AUTRES

Dictionnaire historique de la langue française
Sous la direction d’Alain Rey Juin 2012 - Édition Le Robert
Encyclopédie Bordas
Direction de l’ouvrage Pierre Hallouin - 1998