• Porteur(s) du projet : Thomas Ricordeau
• Date : 04/11/2017
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Chronique pour La Clique Numérique sur radio grenouille 88.8

Bonjour à tous,

Je vous propose d'aborder une question centrale pour traiter le sujet qui nous occupe aujourd'hui – celle de la mémoire – en effet la blockchain c'est avant tout une base de données - cad un stock d'informations - un registre - écrit - lu - enregistré - écrasé - mis à jour - dupliqué - distribué etc.

C'est d'ailleurs dans ce contexte comptable que le cunéiforme, la première écriture fait son apparition au IVème millénaire avant J.C. Il s'agissait à l'époque de consigner par exemple les stocks de céréales et favoriser leur gestion grâce à cette mémoire que constitue l’écriture!

Donc qu'est ce que la mémoire ?

Il s'agit de discerner plusieurs types de mémoire.

La mémoire génétique, l'adn    la mémoire épigénétique, nos souvenirs    la mémoire épiphylogénétique, une invention de l'indispensable Bernard Stiegler pour désigner la mémoire technique autrement dit artificielle.

En d'autres termes nous héritons comme tous les êtres vivants d'une mémoire génétique. Notre code adn appelé aussi génome, c’est notre programme germinal, cad initial. Il fait de nous un chat angora, une tortue, une paramécie ou un yuca et régit notre fonctionnement général.

La mémoire épigénétique (littéralement autour du génétique) est constituée de nos expériences, nos souvenirs elle est stockée dans notre cerveau et notre système nerveux central.

Enfin la mémoire épiphylogénétique (de phylo avec un « y » signifiant tribu) qui regroupe tous les artefacts qui sont autant de traces mémorielles artificielles sécrétées par l'homme pris dans son milieu technique, sa culture, sa tribu. Par exemple un livre, une photographie, un film, un programme mais aussi un silex taillé, une cuillère en argent, un kebab ou un pneu!

Mais me direz-vous quel lien entre un livre, un sandwich turco-berlinois et un “peneu” comme on dit à Marseille?

Et bien tous ces objets constituent des traces hypomnésiques - ce sont des supports mémoriels cad qu’ils contiennent des traces d’actions humaines on peut donc les regrouper sous la grande catégorie des artefacts, les produits de l’ars (art en latin).

Mais me direz-vous il y a tout de même une différence de taille entre ces objets - bien vu - ils ne sont clairement pas tous destinés à recevoir de la mémoire!

En effet certains ont pour fonction d’enregistrer cette mémoire, comme le livre, une plaque de marbre, un disque dur, un téléphone portable et d’autres sont les témoignages de gestes humains y compris standardisés dans la machine mais constituent malgré tout autant de traces mémorielles que les archéologues de demain étudieront. Il y a de l’homo habilis dans le grattoir en silex!

À ce stade de ma démonstration on peut dire que la mémoire se structure de manière concentrique:

au ♥, l’adn autour l’expérience accumulée, les souvenirs enfin le milieu technique, les artefacts

Pour faire une analogie cybernétique on peut dire qu’il y a d’un côté la mémoire vive et de l’autre celle contenue dans les objets, la mémoire morte.

Platon dans le Phèdre déplore justement cette situation et craint que nous ne soyons plus en mesure de nous re-souvenir sans l’aide de l’écriture qui à l’époque est une innovation. Pourtant la réactivation d’un livre ne peut s’effectuer sans le vivant, c’est le lecteur qui ravive l’écriture par sa lecture, on appelle ca l’anamnèse du grec ána (remontée) et mnémè (souvenir).

Donc il s’agit plutôt d’analyser le rapport dynamique qui s’instaure entre le vivant et le mort - les humains et leur mémoire.

Ce rapport peut-être éminemment destructeur on l’a vu durant la crise des subprimes.

En octobre 2008 devant le Congrès Américain, Alan Greenspan (Président de la Réserve fédérale et de la Banque Centrale des États-Unis) déclare avoir été dépassé par les technologies d'automatisation des marchés financiers. Autrement dit les plus hautes instances politiques de régulation du gigantesque livre de compte automatisé qu’est le marché monétaire ont été rendues obsolètes par des robots de calcul! C’est donc dans ce contexte de Big Data, d’algorithmes, de GAFAM, de Block Chain qu’il s’agit de fonder de nouvelles politiques de la mémoire - une cyberpolitique.

Pour finir je ne pourrai pas répondre radiophoniquement à la question de mon ami Ben MCFly sur la différence entre mémoire analogique & mémoire numérique mais je lui dédie tout de même cet extrait très à propos du Quart Livre de François Rabelais nommé, Les paroles gelées - qui décrit le premier lecteur mp3 sous forme de sons enregistrés dans la glace et lus au dégel.

« Ici est le confin de la mer Glaciale, sur laquelle fut, au commencement de l’hiver dernier passé, grosse et félonne bataille entre les Arismapiens et les Nephelibares. Lors gelèrent en l’air les paroles et cris des hommes et femmes, les chaplis des masses, les hurrys des harnais, des bardes, des hennissements des chevaux et tout autre effroi de combat. À cette heure, la rigueur de l’hiver passée, advenant la sérénité et temperie du bon temps, elles fondent et sont ouïes. »

Francois Rabelais, Le Quart Livre, Les paroles gelées (extrait), chap. XV et XVI, 1552.