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01 Introduction

Pour une version avec image, plus complète (avec glossaire et bibliographie) et plus lisible, vous pouvez retrouver l'ensemble du mémoire en format PDF sur ma page wiki à cette adresse

Je crois que j’avais 7 ans lorsque la maîtresse m’a demandée d’expliquer à l’ensemble de la classe comment j’avais réussi à résoudre mentalement une opération d’addition. Je ne me rappelle pas avoir eu de difficultés à exposer mon schéma cognitif. Additionner « 9 + 8 » revenait à additionner « 5 + 4 » et « 5 + 3 », spatialisé mentalement par « 5 + 5 = 10 » et « 4 + 3 = 7 » donc « 10 + 7 = 17 » . À ce stade j’avais acquis l’étape de décomposition en prenant cinq et dix comme unités de repères tel qu’on me l’avait appris. En revanche, le plus difficile a été de l’expliquer aux élèves qui ne comprenaient pas comment je comprenais. Je n’avais d’ailleurs pas conscience qu’il puisse y avoir une autre manière de penser. C’est bien plus tard, en prenant du recul sur cette situation que j’ai compris qu’il existait différents processus cognitifs et qu’il était important d’en prendre conscience pour ajuster ses méthodes d’apprentissages dans n’importe quels enseignements.

Il me semble qu’on trouve là l’un des enjeux majeurs de l’école. Elle doit en effet permettre à chaque élève de comprendre et d’élaborer leur propre savoir. Il s’agit là d’apprendre à apprendre. Un enfant en grandissant doit pouvoir s’émanciper et faire face aux situations rencontrées de manières appropriées. Puisque comme le dit si bien Britt-Mari Barth, professeur à l’Institut supérieur de pédagogie : « Est-ce que la finalité de l’école n’est pas justement de former des jeunes adultes autonomes, capables de s’adapter et d’utiliser leurs connaissances dans une société démocratique en constante évolution ? »

C’est avec cette question que l’auteure clôture son ouvrage L’apprentissage de l’abstraction. C’est d’après cette même question que je commencerai mon propre raisonnement autour des enjeux de l’école contemporaine et de ses stratégies pédagogiques.

Il existe en réalité de nombreuses questions que j’aimerais aborder dans mes réflexions autour du rôle de l’école d’aujourd’hui. Mais je ne peux les aborder sans considérer mon propre rôle en tant qu’étudiante en design graphique. Enseigner est un acte social et culturel qui m’a toujours intéressée tout en m’intriguant. Si aujourd’hui je souhaite en aborder ses fondements, c’est avec la conscience de pouvoir y contribuer en tant que médiatrice au seins de l’environnement scolaire. C’est pourquoi j’ai centré mes propos sur l’école au travers de stratégies d’apprentissage qui permettent le dialogue entre design et pédagogie.

Le lien entre design et pédagogie est facilité au travers de systèmes dits de pédagogie active, qui prônent l’apprentissage par le faire qu’on retrouve chez des pédagogues tels que Maria Montessori, Friedrich Frobel, Célestin Freinet, ou encore Comelius considéré comme le père de l’éducation moderne. Tous se sont penchés sur une école centrée sur l’enfant qui intègre l’enseignement par le processus de la pensée, c’est-à dire comment penser plutôt que quoi penser. Ces méthodes pédagogiques rencontrent d’emblée trois caractéristiques entraînant différents enjeux qui sont les principales lignes des enseignants. En effet, l’apprentissage se fait par le processus d’assimilation de l’abstraction, de la recherche par l’expérimentation, et enfin par l’influence importante de l’affect. Ma recherche autour de la problématique de l’école s’oriente vers une prise de conscience de ces éléments majeurs. Cette prise de conscience me permettra alors de comprendre comment le designer graphique peut mettre en lumière ces trois aspects pédagogiques : l’abstraction, l’expérimentation, et l’affect? Et quelles en sont les conséquences?

Le designer graphique, par l’intermédiaire de dispositifs pédagogiques adaptés, doit pouvoir stimuler l’ensemble des enjeux mis en place et remplir son rôle de médiateur. Il est donc important de connaître les outils à fournir pour permettre à l’enfant d’accéder à ce processus d’apprentissage. C’est pourquoi, à l’ère du numérique, considérer le numérique comme un environnement à part entière et non comme un support exclusif d’informations est une réponse plausible.

Pédagogie active, design graphique, numérique peuvent-ils donner de nouvelles solutions à une pratique d’éducation scolaire?

C’est à travers ces différents environnements, de leurs outils et leurs techniques, que j’énoncerai la suite de mes propos. Chacun d’eux prennent en compte les problématiques posées. Ma réflexion sera guidée par les caractéristiques propre à la pédagogie active évoquée précédemment. Il ne s’agit pas là pour moi de trouver de nouveaux processus d’apprentissage, mais de comprendre comment ceux déjà mis en place peuvent profiter d’une pratique graphique et numérique afin de les mettre en valeur et d’en favoriser l’accès.

Par soucis de répétitions j’utilise tout au long du mémoire les termes élève et apprenant en parallèle du mot enfant. Bien qu’il s’agit le plus souvent de situations précises où est ciblé l’enfant de 3 à 6 ans, concernant une certaine période de la vie relevant majoritairement des enjeux pédagogiques dont il est question dans ma réflexion, il est possible de considérer comme apprenant ou élève toute personne étant en situation d’apprentissage, sans âge précis.

02 L'abstraction

_ Introduction

Comprendre l’abstraction c’est comme essayer de comprendre comment nous comprenons. C’est un processus complexe puisqu’il relève d’une stratégie d’apprentissage cognitive, qui requiert des connaissances sur la manière dont le cerveau humain réceptionne les informations, les exploite et les transforme. Bien souvent nous effectuons des opérations mentales, dîtes abstraites, de manière spontanée, nous pourrions même dire automatisée. C’est une démarche intellectuelle qui échappe à notre conscience. Pourtant ces cheminements cognitifs sont présents, dans toutes actions effectuées, qu’elles soient motrices ou mentales. Dans le système pédagogique, la conscience de ces cheminements est primordiale. Comme l’a dit Piaget : « Ce ne sont pas les matières qu’on leur enseigne que les élèves ne comprennent pas, mais les leçons qu’on leur donne » 1. Comprendre ce que l’on fait et pourquoi on le fait est un enjeux majeur, puisqu’il impliquera et investira pleinement l’enfant dans son action qui y verra un but. Cette démarche pédagogique a pour fin en soit de permettre à l’enfant d’assimiler des concepts abstraits qu’il sera capable de généraliser dans sa réalité et ses actions quotidiennes.

Les stratégies de conceptualisation et les actions mentales pour y arriver sont au centre de l’ouvrage de Britt-Mari Barth L’apprentissage de l’abstraction. Vous pouvez retrouver en annexe ma fiche de lecture rédigée à son propos que je vous conseille fortement de consulter en parallèle de votre lecture sur ce chapitre. Elle permet de préciser et d’illustrer certains propos importants à assimiler.

_ La question

Stratégie d’apprentissage « constructiviste », la question de l’abstraction est intimement liée à notre faculté d’apprendre, de comprendre et retenir. « L’attention des enfants est retenue par des objets lorsque commence le phénomène délicat de l’abstraction » 1, cette phrase de Maria Montessori expose combien l’abstraction joue un rôle central dans l’intérêt que porte un enfant, ou bien même un adulte, à son apprentissage. C’est par elle que l’apprenant prendra conscience du but de sa réflexion. Il est donc primordial que ce processus soit connu et reconnu, afin que l’élève puisse le reproduire en toutes circonstances. On parle alors de la capacité de transfert défini par les propos de Britt-Mari Barth : « De cette façon, l’élève devient conscient avec le temps de ses stratégies mentales et apprend à mobiliser volontairement ses outils intellectuels » 2. Pour ce faire, l’étape de conceptualisation puis de généralisation sont essentielles.

Difficile de parler de concept à un enfant. Il est important d’adapter son discours et son vocabulaire en fonction de l’apprenant. Parler d’un concept abstrait avec des mots abstraits est comme définir le terme carré par « le carré est un polygone ». Il est difficile d’expliquer l’abstraction par l’abstraction elle-même. C’est pourquoi le concept est une manière de catégoriser des éléments qu’on nommera attributs qui le définissent. De manière illustrée le concept « carré » dont le terme « carré » est l’étiquette, est une figure formée de 4 segments de droite, de longueur égale formant 4 angles droits. Ce qu’on appelle définition n’est autre que les attributs du concept. Ils correspondent aux caractéristiques essentielles qui forment de manière condensée ce qu’on nomme le signifiant, soit l’étiquette.

Lorsque l’apprenant a atteint le plus haut degrés d’abstraction d’un concept, celui-ci est alors capable de généraliser. Cette étape est importante. Elle permet pour l’apprenant d’établir des connections entre ses expériences et ses connaissances acquises. Généraliser lui apporte en vitesse d’apprentissage et en souplesse. Ainsi, une fois le concept carré assimilé, avec la connaissance de ces attributs essentielles, l’apprenant est capable d’identifier un carré de ce qui n’en est pas un. Mais mieux encore, il sait comprendre et dire pourquoi c’est ou ce n’est pas un carré, et définir alors quels sont les attributs nouveaux qui différencient la nouvelle forme avec celle d’un carré. Ce cheminement mental qui n’est autre que la stratégie de conceptualisation avec laquelle l’élève s’est familiarisé grâce à l’expérience du carré peut s’exporter pour l’expérience du rectangle, du cercle, du triangle. Il adopte alors une stratégie de conceptualisation qu’il adapte ensuite à de nouvelles expériences. Pour l’apprenant, c’est le début de son émancipation.

Afin de garantir mais aussi contrôler l’assimilation de ces différentes étapes d’apprentissage, il est primordial de permettre à l’apprenant l’expérience de l’abstraction par des exemples pertinents illustrant les concepts. En effet, étant un processus cognitif, il est difficile pour un enseignant de connaître le niveau d’assimilation de l’abstraction de ses élèves. Le choix de ses exemples doit être représentatif de ce que l’enseignant souhaite renseigner à son élève. En s’appuyant sur un exemple concret raconté par Britt-Mari Barth 3, on comprend combien l’usage d’exemples clairs sans ajout d’attributs superficiels est préférable. Elle raconte comment, après avoir donné différents exemples pour illustrer le concept de rectangle, une enfant l’a interpellée en affirmant « Je sais maîtresse, un rectangle c’est bleu ! ». En effet tout les exemples donnés de rectangles étaient bleus. L’enfant à cette étape de son apprentissage n’a été sensible qu’à la couleur, chose dont elle a pu préalablement faire l’expérience à l’inverse des propriétés géométriques. On comprend alors que les exemples sont des guides primordiaux sur lesquels s’appuie l’enseignant et s’accompagne l’apprenant.

L’abstraction s’articule donc sur des stratégies de conceptualisation qui tendent vers une généralisation afin que l’apprenant devienne autonome et adopte son propre cheminement intellectuel. Ce parcours ne s’effectue pas sans embûche. On a alors vu combien était grande l’importance des exemples donnés. Il m’a semblé qu’on trouve ici une première réponse au rôle du graphiste au sein du processus de l’abstraction. En ayant conscience que designer graphique ne signifie nullement pédagogue, il peut cependant, en tant que manipulateur de signes, de formes, de couleurs, offrir des combinaisons graphiques permettant ce que j’appellerai la représentation de l’abstraction.

_ La représentation

Lors de mes différentes lectures sur le sujet, j’ai pris conscience de ma propre expérience de l’abstraction. Très vite il m’est apparu indispensable de dessiner. C’était comme si j’avais besoin de voir ce que je comprenais pour comprendre.

Si le processus d’apprentissage de l’abstraction est si difficile à assimiler c’est qu’il est difficile de se le représenter. En effet les activités mentales ne sont pas directement observables. Elle relève de combinaisons cognitives telles que la perception et la comparaison. C’est ce qu’appelle le pédagogue , Jerome Bruner, la représentation de la connaissance 4. Il la hiérarchise ainsi :
_ observation/exploration = le mode « enactif »

_ représentation mentale = le mode «iconique»

_ abstraction = le mode «symbolique»

Le premier stade qu’il nomme « enactif » est ce que prône les pédagogies dîtes actives : l’apprentissage par le faire. Il s’agit de la manipulation par les sens. C’est un processus qui engage le corps, agissant par automatisme, et en fait l’expérience. La question du corps et de l’apprentissage par l’action est un point que j’aborderai plus tard. Il est important de noter à ce stade que l’engagement du corps et des sens sont les étapes primitifs pour l’apprenant.

Les deux autres stades rencontrent davantage la représentation visuelle de l’abstraction. Pour le mode iconique, il s’agit d’images mentales qui ne permettent pas à l’enfant de les comprendre pour autant. C’est-à-dire qu’à cette étape l’enfant reconnaît un carré d’un rectangle, mais ne sait dire pourquoi. Le mode symbolique quant à lui concerne l’apprenant qui arrive à extraire ces images et en parler. Jerome Bruner décrit ce stade ainsi « Le système symbolique représente des choses par des symboles qui sont déconnectés et arbitraires. Un mot ni ne désigne son signifié du doigt, ni ne lui ressemble comme une image » 1. C’est l’intermédiaire entre ces deux stades qui m’intéresse et permet de tresser le lien entre pédagogie et design graphique. Comment passer du mode iconique au symbolique? Comment identifier un carré non pas parce qu’on le voit mais parce qu’on le reconnaît? Quelles stratégies visuelles sont à mettre en œuvre pour que se produise stratégie cognitive?

Il est clairement énoncé, dans le livre de Britt-Mari Barth, que l’assimilation de l’abstraction par sa représentation s’effectue par perception et comparaison. Si la perception est associée à nos sens et notre expérience personnelle, liée au mode enactif, la comparaison quant à elle s’effectue par un système de ressemblances et de différences, à condition que cette dernière ait du sens. Ce processus inclue d’emblée l’apprentissage par l’expérience des exemples. Pour se faire il faut que chaque exemple comprenne des attributs issues de la même catégorie du même niveau. En effet comparer le concept carré avec le concept polygone est stupide puisqu’ils ne correspondent pas au même niveau d’abstraction et l’apprenant risquerait de se perdre dans la conceptualisation de ces deux concepts. Il est nécessaire alors de mettre en place des systèmes comparatifs permettant l’assimilation un à un d’attributs du concept. En sommes, il s’agit de proposer une stratégie visuelle de comparaison afin de permettre la conceptualisation.

En terme de graphisme, la représentation de l’abstraction par l’usage comparatif d’exemple me parait évidente. Il faut cependant garder en tête que la comparaison vise la catégorisation pour donner sens au concept. Le rôle du graphiste consiste alors à comprendre ce qu’il doit donner à voir pour l’abstraction. Et pourquoi il le donne à voir. Il doit pouvoir avec l’aide de l’enseignant accompagner l’enfant vers le stade de symbolisation. Ainsi à titre d’exemple, l’enfant qui en observant trois carrés ne voit pas trois carrés mais un, puis un autre et un autre, indépendants les uns des autres, ne peux assimiler la notion de quantité si il n’a pas fait l’expérience de la comparaison l’amenant à la symbolisation du chiffre trois. Anne Berthier avec sa série de livre J’additionne, Je soustrais 2 offre l’expérience de la quantité en utilisant des formes géométriques en guise de donnés numériques ... Certes si l’apprenant doit maîtriser les signes graphiques d’arithmétique élémentaire pour effectuer la lecture mathématique, il fait l’expérience du calcul au travers de comparaison. Puisqu’à l’inverse des chiffres arabes littéraires qui requièrent l’apprentissage du langage et de l’écriture, les formes géométriques symbolisent en elles-même l’unité. En effet, si l’on pose « 2 + 5 = 7 », l’abstraction, générée par une identification de signe, est telle que même un système comparatif ne peut approcher l’enfant de la conceptualisation du calcul. En revanche, si l’on illustre deux carrés plus cinq autres carrés égalent sept carrés, l’apprenant effectue la comparaison par la quantité de carrés du départ avec celle obtenue à la fin. Il assimile alors l’égalité par l’intermédiaire de formes visuelles représentatives d’unité. Mais là encore le choix d’exemple d’unité est primordial, puisque additionner des carrés avec des rectangles met en jeu un second degrés de comparaison, à la fois de quantité et de formes.

Dans un soucis d’assimilation maximale de l’abstraction, le designer graphique doit veiller à offrir des stratégies visuelles à l’enseignant et l’apprenant en parfaite adéquation avec la notion d’apprentissage abordée. En prenant conscience du processus cognitif dont va faire preuve l’enfant pour arriver à son but, il doit l’accompagner intelligemment avec des outils adaptés. Si j’aborde la question d’outil, c’est qu’outre l’importance du dispositif visuel mis en place il convient de ne pas négliger le dispositif technique profitant à l’abstraction.

_ Nouvelles dimensions

Nous l’avons vu, l’abstraction passe également par les sens. Nous faisons l’expérience par le corps, par le sensible. L’environnement numérique semble favorable à une représentation sensorielle de l’abstraction. Celui-ci, par l’intermédiaire de dispositifs techniques, mais à la fois graphiques, donne une nouvelle dimension au processus d’abstraction. Il met en relation direct le passage de l’abstrait au concret par l’intermédiaire d’une interaction. En effet l’environnement numérique implique l’action, pour comprendre il faut agir. Cette caractéristique est en parfaite adéquation avec ce que la pédagogie active revendique. L’élève rentre en total interaction avec son environnement par la découverte de l’influence de ses manipulations. Le numérique prend place comme un nouvel accompagnateur dès lors que l’apprenant l’utilise de manière dynamique comme un outil de création. Le numérique peut également être utilisé de manière à renseigner instantanément l’enfant de sa faculté à comprendre ce qu’on lui demande par l’intermédiaire de dispositifs réagissant qu’en cas de «bonne réponse».

Le projet Knock Knock de Khalil Klouche 1, étudiant à la HEAD de Genève, expose ce que l’environnement numérique propose en terme d’abstraction. Cet objet en bois, fonctionnant grâce à une carte Arduino, un microphone et des solénoïdes, permet à l’apprenant d’être accompagné dans sa procédure de calcul. En effet, cette boite propose une interaction entre le tangible et l’abstraction. Notre corps fait l’expérience du toucher qui symbolise l’unité. Je toc trois fois le bois, la boite interprète trois comme la quantité, elle la multiplie, la divise, l’additionne ou la soustrait en fonction de l’emplacement et la multiplicité de notre toucher suivant. On comprend qu’il s’agit ici d’une expérience dans laquelle le corps s’implique directement. Notre action, ici celle du toucher, est quantifiée et représente la matière à abstraire. La représentation de l’abstraction est quant à elle exprimée par le son. Si je frappe trois fois sur le symbole arithmétique « plus » puis je frappe de nouveau trois fois j’entendrais six intonations. Dans ce cas, le numérique permet de matérialiser nos actions au service de l’abstraction.

Le plus important à souligner dans le lien qui relie le numérique à l’abstraction est ce que nous avons déjà pu observer : l’importance de l’expérience et de l’engagement du corps dans son action. On ne peut comprendre et assimiler l’abstraction si nous devenons pas nous même explorateur de ce milieu cognitif. C’est pourquoi expérimenter pour apprendre est l’un des enjeux majeurs dans l’enseignement.

FICHE DE LECTURE


L'apprentissage de l'abstration


_Présentation

Britt-Mari Barth est professeur à l’Institut supérieur de pédagogie de l’institut catholique de Paris. Native de Suède, elle a fait ses débuts aux États-Unis en donnant des conférences et exerçant en tant que professeur dans des universités de prestige telle que Harvard. Son intérêt s’est porté sur l’éducation française dès que son premier enfant y est devenu élève.

Britt-Mari Barth s’est très vite attachée au rôle de l’enseignant en tant que médiateur entre l’élève et le savoir. Elle s’appuie notamment beaucoup sur des travaux de sciences cognitives effectués par le psychologue américain Jérôme Bruner et Lev Vygotski psychologue biélorusse. Ses réflexions s’orientent vers l’assimilation de l’abstraction par des processus de conceptualisation et de généralisation. Elle porte un regard nouveau sur l’importance d’offrir à l’apprenant de nouvelles méthodes d’acquisition de savoir par l’intermédiaire d’assimilation de concepts. Elle met alors en pratique des stratégies stimulant l’aspect cognitif, expérimental et affectif de la pédagogie. En partant de ses propres expériences d’enseignement, elle est l’auteure de trois ouvrages traduits en 8 langues : L’apprentissage de l’abstraction, Le Savoir en construction et Élève chercheur, Enseignant médiateur – donner du sens aux savoirs (éditions Retz, Paris, et éditions Chenelière, Montréal).

Cet ouvrage a été composé et achevé d’imprimer en France en novembre 1999 par l’Imprimerie France Quercy à Cahors. Il a été publié par la maison d’édition Retz destinée aux manuels scolaires ou pédagogiques. Comme son nom l’indique il porte sur l’abstraction et l’ensemble des processus cognitifs pour y parvenir. Il s’adresse au milieu pédagogique, principalement l’enseignement, mais aussi à toute personne désirant en savoir davantage à propos des stratégies d’apprentissage, toujours au centre des propos. Comment l’élève apprend-il? Comment se saisit-il de ce qu’on lui enseigne? Pourquoi rencontre-t-il des difficultés? Quelles méthodes utiliser?
Il est question dans ce livre de mécanismes cognitifs dont il est important de prendre conscience et connaissance. Outre la mise en question des processus d’apprentissage peu adaptés aux élèves selon l’auteure, il s’agit là de comprendre comment notre cerveau réceptionne et assimile les informations qu’il reçoit. Ces combinaisons d’actions mentales bien que complexes sont clairement énoncées dans l’ouvrage. Pour ce faire, l’auteure s’est appuyée sur des expériences et théories du psychologue américain Jerome Bruner dans lesquelles elle puise la majeure partie de ses influences pédagogiques. Elle effectue également un état des lieux de ses propres travaux en tant qu’enseignante. Ainsi nous rencontrons dans notre lecture des exemples concrets de situations vécues appuyant ces propos. Cette manière de faire permet d’alterner théories et pratiques pour mieux comprendre ce qu’est l’abstraction et quels sont ses enjeux.

_ Analyse

L’abstraction est une stratégie d’apprentissage que l’auteure désigne comme cognitive. C’est-à-dire qu’elle s’appuie sur des processus de conceptualisation. Or conceptualiser est une action mentale à laquelle s’est exercé l’enfant bien avant de commencer son cursus scolaire sans en avoir conscience. Il s’agit alors pour l’enseignant d’offrir à l’apprenant des cheminements intellectuels qui lui procureront des stratégies maîtrisées. L’enfant doit être capable de comprendre comment comprendre et ainsi il observera mieux le but de son action dans laquelle il trouvera intérêt et satisfaction. C’est bien là un des problèmes que rencontrent les enseignants. Les élèves ont beaucoup de difficulté à relever la véritable demande et le but de la leçon. Ils restent simplement dans un automatisme qui ne donne aucun accès à la structure du savoir. On en déduit alors que l’élève est incapable de faire des connexions entre ses différents apprentissages, ni avec ses expériences personnelles. Or l’apprentissage tend à une émancipation permettant à l’élève d’effectuer des transferts de connaissances selon les stratégies de conceptualisation assimilées.
Selon L’auteure la structure de la connaissance et la démarche intellectuelle sont essentielles : « La représentation initiale qu’on se fait d’un problème à résoudre est primordiale pour sa résolution ».

Conceptualiser est défini comme le « processus » porté vers le « produit » qui désigne le concept. Le concept via la conceptualisation va permettre à chaque individu d’organiser le monde qui l’entoure. Cette démarche va ainsi mettre en place des modèles opératoires pour représenter le savoir et son élaboration. Afin de mieux assimiler les stratégies et d’étudier des situations d’apprentissage, il est primordial de comprendre la structure du concept et en quoi il consiste.

Le concept est donc un ensemble d’attributs essentiels catégorisés par un signifiant, soit l’étiquette. Les exemples du concept ont en commun les attributs essentiels bien qu’ils peuvent posséder des caractéristiques différents. Par exemple, pour le concept carré, l’orientation n’est pas catégorisée comme un attribut essentiel. Deux carrés illustrés peuvent être inclinés de manière différente ils restent tous deux exemples du concept carré.
Les attributs possèdent une place primordiale dans l’assimilation de la notion du concept. Comprendre un concept et pouvoir le conceptualiser c’est connaître et reconnaître les attributs essentiels aux attributs non essentiels.

Il existe également une relation entre les attributs qui permettent d’identifier différents types de concept. L’auteure s’appuie sur Bruner pour définir trois interprétations :
_ conjonctif

_ disjonctif

_ relationnel

Cette distinction va permettre d’assimiler les liens entre les exemples donnés pour un même concept.

Ces distinctions sont importantes pour l’apprentissage. La manière d’aborder chaque concept en prenant compte de la relation entre les attributs influence la compréhension de ce concept par l’élève. On distingue également trois aspects du concept :
_ Le niveau de complexité

_ Le niveau d’abstraction

_ Le niveau de validité

Le niveau de complexité reflète le nombre d’attributs possédé par un concept. Plus nous trouvons d’attributs dans un concept, plus celui-ci est complexe. D’ailleurs, des concepts peuvent posséder des attributs étant eux-même des concepts complexes.
Le niveau d’abstraction traite de l’accessibilité des concepts. Il s’agit d’un critère de classification. Selon Eleanor Rosh spécialisée dans la psychologie cognitive, le «niveau de base» est défini comme le niveau qui permet à l’apprenant d’obtenir le maximum d’informations avec le minimum d’efforts cognitifs. Il s’agit là de catégoriser pour s’assurer une abstraction le plus optimale possible avec un nombre suffisant d’attributs concrets. C’est un niveau qui peut évoluer avec l’expérience de l’élève se familiarisant avec l’abstraction.

Le niveau de validité d’un concept concerne l’aspect objectif ou subjectif des concepts. On parle de concepts aux attributs indiscutables lorsqu’il s’agit de concepts «scientifiques» tel que le concept carré pour lequel les attributs sont officiellement reconnus. On distingue de ces concepts des concepts «flous» dont les attributs varient selon l’expérience de chacun, telle que la beauté, la perfection ... On les appelle des concepts empiriques ou subjectifs.

Par la connaissance de l’ensemble des structures d’un concept, il s’agit maintenant de savoir comment, par des processus cognitifs, on reconnaît un concept d’un autre, c’est-à-dire comment nous conceptualisons.

Comprendre ce que représente un concept ne veut pas forcément dire conceptualiser. En effet, connaître la structure d’un concept ne nous renseigne pas sur comment établir ce concept, comment catégoriser ses attributs et établir des exemples. Bruner indique que la conceptualisation requiert des stratégies mentales où l’individu forme des hypothèses à vérifier. C’est une manière d’expliquer comment «nous savons ce que nous savons».

Dans l’étape de la conceptualisation, se trouvent deux distinctions :
_ La formation de concept

_ L’acquisition de concept

La formation de concept consiste à regrouper des éléments jugés être des attributs essentiels. Il s’agit de les classer selon leurs similarités. Cette conceptualisation dépend alors essentiellement de l’expérience personnelle de l’apprenant, de ses connaissances et ses références. Cette manière de raisonner, dit «structure cognitive» selon Bruner suppose que l’individu conceptualise en fonction de ce qu’il connaît déjà à l’état actuel du moment. À l’inverse de la formation de concept qui compose le concept à partir d’attributs regroupés, l’acquisition de concept considère le concept comme déjà établi à partir duquel l’apprenant identifie ses attributs. Cette procédure inclut alors la nécessité d’une interaction verbale entre l’enseignant et élève puisqu’il s’agit de vérifier le concept déjà défini.

Si on trouve deux manières d’assimiler un concept, il existe cependant différentes stratégies de conceptualisation. En s’appuyant sur les expérimentations de Bruner, on observe deux cheminements principaux dans la construction d’un concept : l’un appelé stratégie globale, l’autre appelé stratégie analytique.

La stratégie globale est nommée «focalisation systématique» par Bruner. Il s’agit de construire le concept à partir d’un exemple de départ. Celui-ci est considéré comme exemple du concept initial puis est comparé aux autres exemples donnés. Au fur et à mesure de la comparaison, l’apprenant confirme ou non ses hypothèses. Il effectue tour à tour ce schéma cognitif pour finalement trouver la combinaison correcte des attributs.
La stratégie analytique consiste à choisir seulement un attribut à partir du premier exemple donné, puis est confirmé ou non selon l’exemple suivant. S’il s’avère vérifié, l’apprenant continue son cheminement. Si ce n’est pas le cas, celui-ci doit effectuer un effort de mémorisation pour pouvoir comparer une nouvelle hypothèse et ainsi de suite en fonction des confirmations et des exemples. Bruner nomme cette méthode «l’exploration successive». Visualisation du cheminement de ces méthodes annexe 1 (à dessiner)

Selon Bruner, la stratégie globale est davantage astucieuse car elle permet un résultat plus rapide et demande moins d’effort de mémorisation que la stratégie analytique. Il souligne cependant combien il est important de savoir jouer entre ces deux stratégies. Il est également possible d’influencer le choix de stratégie de l’apprenant en l’accompagnant vers l’une d’entre elles. Ce choix s’avère spontané selon chaque individu.

Le travail pour l’enseignant est d’accompagner ses élèves vers l’un et l’autre de ces cheminements cognitifs pour lui donner les meilleures conditions d’apprentissage. Cette pratique pédagogique permet de mettre en œuvre les connaissances acquises sur le concept et la conceptualisation. Pratique pédagogie reflétant une situation d’apprentissage expérimentée par l’auteure annexe 2 (idem)

Il existe différentes phases pour accompagner les élèves dans leur processus cognitif. Il est primordial que l’enseignant en ait conscience afin de faciliter l’assimilation des concepts et la structure du savoir mais également comprendre et résoudre les difficultés propres à chaque élève. Schéma de la construction stratégique de l’enseignement annexe 3 (idem)

L’auteur exprime d’autres facteurs primordiaux pour un bon accompagnement pédagogique tels que le droit à l’erreur, le temps de réflexion et perception personnelles, et l’interaction entre l’enseignant et l’apprenant qui entraînent un bon climat affectif. Elle souligne également le grand rôle des exemples dans le processus de conceptualisation. Leur choix est important ainsi que leur spatialisation dans le cheminement cognitif de l’apprenant. Les exemples doivent guider ce dernier afin de reconnaître un attribut essentiel d’un attribut non-essentiel. Leurs variétés doivent donc exprimer explicitement l’hypothèse qui sera validée ou non. L’élève conduit son processus d’apprentissage à partir d’exemples sur lesquels il s’appuie. Démonstration d’assimilation d’attributs à partir de contre-exemples pertinents annexe 4 (idem)

L’évaluation direct rentre aussi en jeu puisque l’élève a besoin de savoir où il en est dans son apprentissage. Pour ce faire, il ne s’agit pas de pénaliser en cas d’erreur mais de souligner le problème et surtout la raison du problème. Cette vérification permet également à l’enseignant de requestionner ses propres méthodes pédagogiques au fur et à mesure de ses explorations. L’auteure indique qu’une évaluation portée sur la compréhension du concept s’effectue sur trois niveaux d’acquisition :
_ Les exemples permettant une extension et une distinction formelles des acquis.

_ Les attributs traduisant la compréhension et justifiant la distinction.

_ L’étiquette donnant une idée générale et qui suppose l’association étiquette-attribut illustrant le degrés d’abstraction atteint.

Cette évaluation permet de vérifier à la fois la structure de la connaissance (par les exemples), le contenu inséré dans cette structure (par les attributs) et le niveau cognitif (par l’étiquette) qui n’est autre que l’abstraction.

En s’appuyant sur des situations réelles effectuées en classe, l’auteure expose un enchaînement d’opérations mentales influant sur l’aspect pédagogique de l’apprentissage. Elle précise que chaque élève doit passer par ce chemin pour acquérir le concept. Celui-ci se spatialise selon différentes étapes :
_ La perception

_ La comparaison

_ L’inférence

_ La vérification de l’inférence

_ La répétition d’une autre inférence et de sa vérification

La perception est basée sur l’état de connaissances et d’expériences actuelles de l’apprenant. Celui-ci perçoit ce qu’il reçoit selon ce qu’il sait et connaît déjà. Il fait utilisation de ses sens et de son vécu antérieur. C’est un stade primitif mettant en place une première étape dans la construction de son savoir. La perception permet alors à l’apprenant d’établir une image mentale par l’intermédiaire de ses sens.
La comparaison est la capacité à discriminer certaines caractéristiques et de savoir précisément en quoi elles sont différentes. Il faut cependant veiller à mettre en relation des attributs de même nature et de même niveau d’abstraction. Il est alors primordiale de comprendre le rapport de différences et ressemblances de deux objets.

L’inférence est une hypothèse qui vise à être confirmée par des preuves. Inférer comprend la capacité de reconnaître la relation cause-effet et de pouvoir déduire un résultat. Il existe deux types d’inférences : l’inférence inductive et l’inférence déductive.

L’inférence inductive inclue plusieurs hypothèses possibles à partir du même exemple donné. Au fur et à mesure que les inférences se confirment ou pas, le concept s’assimile.

L’inférence déductive quant à elle est une conclusion d’une vérité donnée. Il s’agit d’établir et déduire des relations dans la structure d’un concept.

Ce schéma ainsi répété permet à l’apprenant d’arriver à l’abstraction et d’assimiler le concept. À des fins pédagogiques, l’apprenant doit arriver non seulement à abstraire mais aussi généraliser la capacité de transfert de situation.
Ce transfert traduit comment l’élève a acquis la capacité à dégager des exemples, les attributs essentiels qu’il reconnaîtra en toutes circonstances même hors contexte scolaire. La généralisation consiste à affirmer des inférences formant donc les attributs essentiels du concept.

Pour mener à bien tout ce processus d’apprentissage qui est celui de l’abstraction au travers de concepts et conceptualisations, il est important de mettre en place consciemment un raisonnement. On parle alors de métacognition qui consiste à analyser et réfléchir sur la démarche cognitive. Cela est primordial dans le cas où l’enseignant doit amener ses élèves à un haut niveau d’abstraction. Ce cheminement n’est pas simple et croise différentes méthodologies comme on a pu déjà le constater. Il s’agit de permettre à l’élève de prendre conscience de ses stratégies d’apprentissage afin que celui-ci puisse les mettre en relation et adopter la bonne démarche selon chaque situation rencontrée. C’est une manière de devenir souple et flexible dans ses activités mentales. La métacognition prend forme seulement si l’enseignant et l’élève font preuve d’interaction afin que chacun puisse prendre connaissance des attentes et besoins de l’autre pour arriver au même but.

Conclusion

Dans l’ensemble de son ouvrage Britt-Mari Barth expose des stratégies d’apprentissage et d’enseignement fondées sur des faits réels observés en salle de classe. Les principales étapes de ces processus cognitifs résident dans l’acquisition de ce qu’est un concept, comment un élève l’assimile en conceptualisant et enfin comment il peut procéder à l’étape de transfert appelé la généralisation. Elle rend compte combien il est important à la fois pour l’enseignant et l’apprenant d’avoir conscience de ces cheminements mentaux afin d’utiliser simultanément les différentes méthodes adaptées pour chaque situation. L’ensemble de ces procédures pédagogiques a pour but d’amener l’enfant à un haut niveau d’abstraction menant à l’émancipation.

03 L'expérimentation

_ Introduction

Pour Emmanuel Kant « La pratique sans la théorie est aveugle. La théorie sans la pratique est impuissante ». Selon les propos du philosophe allemand, l’assimilation de connaissances ne peut se passer d’expériences. Ce que préconise Bacon l’un des premiers philosophes modernes lorsqu’il souhaite que le savant parte des faits avant de s’élever à la loi 2. Bien que Bacon ne se soit nullement penché sur la question de l’éducation, les initiateurs de l’Éducation Moderne tel que Comenius ont emprunté le principe fondamental de son système donnant naissance à une pédagogie expérimentale.
L’expérimentation permet la vérification d’hypothèses et engage l’investissement personnel de l’apprenant dans sa démarche intellectuelle. Elle stimule alors le corps et les sens qui tendent à une automatisation. Expérimenter suppose également l’initiation au jeu, véritable outil pédagogique. Rien de mieux que d’apprendre en s’amusant où la difficulté stimule plutôt qu’elle ne décourage l’apprenant.

L’expérimentation est directement liée à l’utilisation d’outils. Afin de prendre conscience et comprendre comment les outils pédagogiques jouent un rôle primordial dans le processus d’apprentissage de l’enfant, et ce depuis le temps de l’imprimé à aujourd’hui, je vous invite à feuilleter mon annexe d’ATC pour compléter votre lecture.

_ Le corps et les sens

Comme nous l’avons déjà souligné avec Jerome Bruner et son mode « enactif » dans le processus d’apprentissage, l’interaction du corps et des sens avec l’environnement est l’une des premières expériences que fait l’enfant, et ce bien avant qu’il entre dans une salle de classe. Jean Piaget appelle la période entre 0 et 24 mois le stade sensorimoteur, qu’on peut comparer au stade « enactif » de Bruner. Le corps agit dans une logique d’actions basées sur des réflexes innés. L’enfant interprète le monde qui l’entoure par ses mouvements et ses ressentis. Par ses sens, l’enfant trouve un premier moyen d’émancipation. Le deuxième stade que Jean Piaget situe entre 2 ans et 7 ans, période à laquelle l’enfant est sujet aux expérimentations orientées, se nomme préopératoire. À ce moment, l’enfant est capable de formuler des représentations mentales qui résultent de l’intériorisation des schèmes d’actions. Ce stade est primordial. L’élève est capable d’acquérir par l’intermédiaire d’exercices pratiques des connaissances et de structurer ses actions en prenant conscience d’un but recherché. L’apprenant établi des causes-effets entre son corps et son esprit. Maria Montessori a dit à ce propos : « L’intellect de l’enfant ne travaille pas seul, mais, partout et toujours, en liaison intime avec son corps, et plus particulièrement avec son système nerveux et musculaire. » 1. Pour ce faire, le corps doit être invité à l’action au travers d’activités simples telles que ranger un chaise, plier un tapis, laver la vaisselle... Dans un premier temps, la pédagogue souligne combien le fait de proposer à l’apprenant des activités qui impliquent des actes extraits de la vie quotidienne l’incite à l’imitation pour ne pas le plonger trop vite dans l’abstraction. Elle propose ensuite des expériences qui ont comme particularité d’informer spontanément l’enfant de sa réussite ou de son échec. Le mouvement et le développement du corps tiennent une place centrale dans le travail de Maria Montessori. En effet, elle dit à ce propos : « ... le développement mental doit être relié au mouvement et dépendre de lui. Il faut que cette idée nouvelle entre dans la théorie et dans la pratique de l’éducation » 2.

La jeune enseignante, Céline Alvarez, inspirée du mouvement Montessori, présente lors d’une conférence TED 3 les résultats obtenus suite à ses pratiques expérimentales avec des élèves de 3 à 6 ans. Élaboré autour des mécanismes d’apprentissages, le matériel qu’elle propose à ses élèves les incite à la manipulation par le corps et les sens. Ce matériel qui se veut attrayant retient l’attention de l’apprenant et l’engage activement. L’objet lui procure un retour d’informations immédiates qui lui permet de corriger ses éventuelles erreurs. La jeune femme précise comment l’enfant doit intégrer sensoriellement le matériel afin de s’en imprégner intellectuellement. Elle met donc à profit l’apprentissage par l’expérience du sensible.
Cette démarche est proche de ce qu’on retrouve dans la pédagogie Freinet. Pédagogue du XXème siècle, Célestin Freinet considère alors l’enfant comme un être curieux de nature, désireux d’apprendre. L’expérience tâtonnée permet aux enfants d’émettre et de modifier leurs propres hypothèses. Cette démarche les amène à construire un savoir autonome autour de la vérification et la répétition, schéma cognitif qu’on retrouve également chez Bruner.

C’est autour de l’expérience des sens par le corps que l’artiste plasticien italien Bruno Munari a construit son travail. Selon lui : « Les enfants connaissent leur environnement à travers tous les récepteurs sensoriels et pas seulement à travers la vue ou l’ouïe, mais aussi par des perceptions tactiles, thermiques, matérielles, sonores, olfactives... » 3. Pour lui, l’expérience est partout. Avec sa série Les Prélivres, le designer graphique offre aux enfants la possibilité de lire par le sensible et par l’intermédiaire du toucher. L’enfant est amené à manipuler et explorer ces livres tactiles grâce à leur diversité de matières et de couleurs. Giorgio Maffei, dans son ouvrage Les livres de Bruno Munari décrit les Prélivres comme des œuvres ayant renoncé définitivement au langage textuel au profit de la seule fonction esthétique et sensible 4.

La place du designer graphique dans l’expérience du corps et des sens réside dans sa capacité à stimuler l’échange entre l’apprenant et son environnement. Le graphiste doit accompagner l’élève dans l’expérimentation avec les outils qu’il laisse à sa disposition. De la même manière que travaille un designer, l’enfant doit faire pour apprendre. Cependant, il reste à inviter l’enfant à expérimenter. Ce dernier peut parfois se montrer réticent face à des objets qu’il ne connaît pas mais surtout qu’il ne comprend pas. C’est pourquoi l’intermédiaire du jeu comme outil de séduction est une situation expérimentale recherchée en pédagogie.

_ Le jeu

Le jeu est un outil pédagogique, un véritable moyen d’expression naturelle bien qu’il ait longtemps été considéré comme une activité gratuite utilisant uniquement les capacités superflues des enfants. Lorsqu’on observe un enfant jouer, sa capacité d’interaction avec l’environnement interpelle. Le jeu l’appelle à agir. Il en fait l’expérience de manière spontanée et s’abstrait de la réalité. On observe alors une meilleure capacité de concentration et une action volontaire. Britt-Mari Barth expose qu’une telle prise d’initiatives dans l’expérience du jeu d’un enfant est induite par sa motivation intrinsèque. Le jeu est attractif auprès de l’enfant tant par l’action elle-même que le résultat de l’action. Il guide son expérience avec la conscience du but à atteindre. La professeure relate les conclusions d’un groupe d’enseignants expérimentant le jeu comme une manière plaisante de résoudre un problème qu’ils décrivent ainsi : « Démarche qui suscite le plaisir d’appréhender la connaissance grâce à la rigueur, la richesse des situations, la mise en situation par les activités, le jeu et la verbalisation. » 1. Cette expérience pédagogique du jeu engage l’enfant dans une activité qui lui procure satisfaction par le désir et le plaisir de faire.

Le désir et le plaisir sont les facteurs que la pédagogie stimule avec l’expérience du jeu. Ces deux aspects interpellent simultanément le cognitif et l’affect de l’apprenant. Par le désir et le plaisir de jouer, l’apprenant met en place des stratégies d’apprentissage guidées par ses émotions et développe son imagination. Cet imaginaire est sollicité dans les réalisations de Katsumi Komagata, graphiste japonais, ayant produit et expérimenté ses jouets éducatifs auprès de sa petite fille. Son jeu Block’n Block est constitué de pièces en bois invitant à moduler et reconstruire les visages de créatures fantastiques. Par comparaisons et combinaisons, l’enfant interroge son imaginaire et sa créativité. Il s’éveille aux lignes, aux formes, aux couleurs grâce à la manipulation. Le graphiste guide l’enfant dans sa quête de construction. Il lui permet l’expérience par les jeux au travers d’objets et symboles pédagogiques.

L’une des méthodes pédagogiques les plus représentatives de l’expérimentation dans l’apprentissage par le jeu est la pédagogie Fröbel. Pédagogue allemand, Friedrich Fröbel établi en effet ses méthodes d’apprentissages autour de l’éveil par le jeu pour les jeunes enfants, pour lesquels, il a conçu un matériel simple regroupé sous la notion de dons, Gabe. À l’initiative des jardins d’enfants, Kindergarten, il crée des lieux où l’enfant développe son adresse, sa précision, son sentiment du rythme, et éveille son esprit d’observation par des comparaisons. L’ensemble de ces capacités est sollicité par l’intermédiaire de jeux corporels et de manipulations. Pour le pédagogue, non seulement l’enfant obtiendra une meilleure connaissance de son corps, mais il sera également en mesure d’améliorer ses interactions sociales dans son milieu. Bormann, directeur de l’école normale d’institutrices de Berlin écrit à propos de Fröbel : « Il veut, par ses jeux, exercer une influence sur les enfants pendant les premières années de leur existence, car les impressions de cet âge sont les plus vives, les plus indestructibles, celles qui se représentent à la mémoire durant toute la vie » 2 .

Le jeu est donc un moyen d’accompagner l’élève dans son processus d’apprentissage tout en le stimulant émotionnellement. De plus, en abordant son activité d’une manière sensible l’apprenant s’engage personnellement. Lors de l’expérience du jeu, il expérimente par convictions personnelles et cherche à atteindre son but. La pédagogie par le jeu permet donc à l’élève une liberté dans son cheminement intellectuel tout en s’accompagnant d’acteurs externes tels que l’enseignant ou le matériel même.

_ L’automatisation

Lorsque j’évoque l’automatisation, je me réfère au geste automatique, avec lequel j’ai fait ma propre expérience grâce à ma pratique sportive du volley-ball. L’expérience du corps et du mouvement m’a permis au cours d’entraînements répétés d’acquérir des gestes précis, automatiques et techniques. Si au départ, j’avais besoin d’un temps de réflexion avant de me lancer et comprendre de quelle manière mes gestes devaient s’enchaîner un à un, j’ai peu à peu assimilé ce processus mécanique. Désormais, mon corps n’a plus besoin de réfléchir, son mouvement est devenu automatique.

En m’appuyant sur ma propre expérience, il me semble important de souligner la capacité du cerveau humain à automatiser une action dès lors qu’il en a répété l’expérience suffisamment de fois pour en perdre conscience lors de son exécution. Nous en faisons en réalité l’expérience tous les jours lorsque nous écrivons, nous mangeons, ou même quand nous parlons ...
En pédagogie, il s’agit d’intégrer, au travers de la répétition d’activités motrices, des connaissances et des concepts afin d’atteindre l’abstraction. C’est ce qu’on appelle l’éducation psychomotrice. Définie comme l’association d’actions motrices aux perceptions qu’elles génèrent, l’éducation psychomotrice est une forme d’apprentissage par le mouvement. La répétition de ces expériences permet à l’enfant d’intégrer les différentes sensations et perceptions des concepts engendrées par ses actions. Le but de l’automatisation de ses mouvements est de permettre à l’enfant l’application de sa motricité à de nouvelles situations.

Robert Rigal, professeur en kinanthropologie à Montréal, décrit la psychomotricité comme les interactions émises entre l’apprenant, son milieu et les autres. Le sujet doit prendre conscience et connaissance du contexte dans lequel il compte agir. Rigal appelle cette étape la perception. Elle permet à l’élève de transformer son action en fonction de ce qu’il observe : « La perception est à l’origine de la connaissance permettant l’élaboration de la réponse » 3. L’automatisation de la perception permet à l’élève d’attribuer des causes et conséquences concernant des situations qu’il expérimente. Par exemple, lors d’une activité physique consistant à envoyer une balle le plus loin possible, l’élève fait l’expérience de sa force physique et du poids de l’objet. Par l’automatisation de la perception, il acquiert petit à petit la connaissance et les propriétés de ces deux concepts. Ainsi, il assimile le fait que plus l’objet est lourd, plus il devra donner de la force afin de l’envoyer plus loin. Il ne faut pas confondre cette forme d’automatisation avec la méthode stimulus-réponse propre au béhaviorisme. Le stimulus-réponse est davantage un conditionnement qu’un automatisme. C’est un mécanisme d’apprentissage consistant à associer un stimulus conditionné à un autre non-conditionné pour obtenir une réponse propre au premier stimulus. Cette méthode se confronte au principe de la boîte noire consistant à dire que le fonctionnement cognitif interne de l’être humain ne peut pas être étudié. Elle implique également l’intervention d’un acteur externe qui soumet le sujet à l’expérience conditionnée.

Le mouvement béhaviorisme, aussi appelé comportementalisme, suppose alors que l’automatisme cognitif est l’influence de l’environnement sur le comportement humain sans que celui-ci en ait conscience et puisse s’y opposer. Il se dissocie de l’automatisme considéré dans la psychomotricité comme la répétition d’expériences conscientes par l’apprenant. Il s’agit, lors d’expérimentations psychomotrices, de désautomatiser les connaissances et les perceptions afin que l’apprenant ait accès à son processus d’apprentissage par l’intermédiaire de ses actions.

Il me semble que c’est dans ce dernier aspect d’automatisation que le designer graphique trouve sa place. En incitant l’apprenant à agir par des actions guidées temporellement et spatialement, par l’intermédiaire de dispositifs graphiques et techniques, le graphiste met en place une décomposition de l’action et de la réflexion. Ce processus est observable si l’apprenant en fait l’expérience. Or l’expérience est l’interaction même entre l’élève et son milieu impliquant son environnement social. Ces acteurs externes qui agissent sur l’affect de l’enfant sont des éléments importants pour son bon développement cognitif.

ATC


Dispositifs pédagogiques


_ Introduction

Un cartable connait toutes sortes de locataires durant ses années de scolarités. Cependant, ce qu’on trouvait autres fois dans le cartable de nos grands-parents est bien différents de ce qu’on trouve aujourd’hui dans celui de nos enfants. Les révolutions, qu’elles soient industrielles, économiques ou sociales ont influencé à la fois le design et l’utilisation du matériel pédagogique. En effet , du temps de l’imprimerie à l’arrivé du numérique dans les salles de classes, l’accès au savoir et notre manière d’apprendre se sont vus bouleversés. Les pratiques pédagogiques par l’intermédiaire de dispositifs techniques ont évolué selon les demandes de l’enseignant ou les attentes de l’élève, mais en gardant un but commun : permettre à l’apprenant d’accéder et d’assimiler le processus d’apprentissage adapté. En considérant l’ensemble des pratiques pédagogiques et leurs liens avec le design graphique, il s’agit d’observer comment les dispositifs pédagogiques participent au processus d’apprentissage ? On soulignera dans un premier temps la mise en place de dispositifs permettant d’exprimer une singularité, et dans un deuxième temps un dispositif cherchant à démocratiser l’apprentissage. Je n’oublierai pas de souligner comment une pratique graphique peut venir soutenir une pratique pédagogique, puisqu’outre leurs dimensions symboliques et fonctionnelles, les objets éducatifs possèdent des caractéristiques visuelles liant design graphique et pédagogie.

_Exprimer sa singularité

Lorsque je parle de singularité, je parle de celle de l’apprenant et sa capacité à s’exprimer au travers de son apprentissage de manière personnelle. Cela passe par la verbalisation, mais également par l’ensemble de ses connaissances s’exprimant « hors de lui » par une pratique corporelle, artistique ou celle d’un savoir-faire. Ces pratiques sont favorisées par différents dispositifs stimulant les sens et les émotions propre à l’expérience de chaque élève. Il s’agit de questionner comment les outils techniques permettent une appropriation personnelle d’un savoir-faire d’un point de vue général et ce qu’implique l’apprentissage du geste de l’écriture pour la singularité. Enfin j’orienterai mes propos vers le rôle que joue l’expression artistique par l’utilisation de nouveaux outils pour l’enfant.

Souvent associé à une pratique artisanale, le savoir-faire requiert la maîtrise quasi parfaite d’outils ou de dispositifs dans un but précis. C’est à l’apprenant d’adopter l’outil par son observation, sa manipulation et sa répétition. Dans sa manière de s’en adopter il va pouvoir développer une pratique personnelle. Le même savoir-faire n’est jamais pratiqué de manière identique chez chaque individu. Si vous transmettez le savoir-faire propre à la calligraphie à dix individus différents vous obtiendrez dix écritures différentes bien que le savoir-faire soit acquis chez chacun d’eux. C’est cette pratique personnelle qui permet de différencier l’homme de la machine et qui développe chez lui son expression individuelle. Bien que la machine partage avec l’homme la pratique de gestes automatisés, ce dernier est influencé par différents facteurs, qu’ils soient émotionnels ou accidentels. En effet, même si il ne faut pas omettre la possibilité d’un éventuel bug technique ou informatique chez une machine, l’homme est davantage exposé aux accidents de parcours qui donnent de suite une authenticité à sa production.
C’est pourquoi, l’apprentissage d’un savoir-faire aux travers d’outils permet non pas de prolétariser l’individu en lui autant tout authenticité dans sa pratique manuelle ou intellectuelle, mais de lui offrir des possibilités de faire et surtout de faire autrement, contrairement à une machine obéissant à des tâches programmées. S’approprier un outil permet non seulement d’exercer un savoir-faire, mais aussi de le détourner de sa fonction première. On peut alors parler de hacking, «bidouillage», une pratique souvent utilisée en informatique.

Concernant la pédagogie, l’apprentissage d’un savoir-faire par l’intermédiaire d’outils techniques est une pratique beaucoup sollicitée dans les pédagogies dites actives. On observe facilement dans la pédagogie Montessori par exemple, combien le matériel est au service de savoir-faire particuliers directement transmis aux enfants par des codes graphiques, texturés ou volumiques. La capacité de communiquer de l’outil ou l’objet est primordiale pour que l’enfant s’en saisisse sans difficultés et appréhensions. On retrouve beaucoup de code couleurs, de matières, de graduations dans ce type de matériel. L’enfant apprend à compter au travers de barres numériques ou de jetons symboles d’unité. Les dispositifs mis en place incitent à la manipulation. L’apprenant acquiert le savoir par les sens et le corps, tout comme on acquiert un savoir-faire. Ici l’enfant s’exprime au travers de sa capacité à s’approprier l’objet de manière spontanée et autonome. Il progresse à son rythme avec le dispositif mis à sa disposition. Il a de singulier le pouvoir de choisir et de se rendre actif dans son apprentissage.
Nos professeurs de DSAA ont eux-mêmes mis en place des routines hebdomadaires consistant chaque semaine à partager un savoir-faire d’un élève à l’ensemble du groupe. Cette pratique collaborative met en place des ateliers où chacun peut exprimer une spécialité propre à ses pratiques techniques et créatives. Outre de souligner sa singularité, ces routines permettent de transmettre des savoir-faire qui une fois partagés, trouvent parfois d’autres domaines d’applications ou des détournements issus d’une créativité collaborative.

Au XIXème siècle François Guizot membre de l’Académie Française considère l’écriture comme primordiale et doit être l’apprentissage premier que l’enseignant transmet à son élève. Jules Ferry confirme ces paroles par un arrêté stipulant que le temps d’écriture dans une journée doit au moins s’établir sur une heure.
On trouve en effet dans l’écriture un moyen pour l’enfant d’exprimer une singularité au travers de la maîtrise d’un geste. Une écriture maladroite est d’ailleurs bien souvent signe d’éventuelles difficultés d’apprentissages du langage et de la lecture chez l’apprenant ou témoigne d’une dyspraxie. L’écriture est une part de notre personnalité dès lors qu’on admet que certaines émotions agissent sur notre corps et ses mouvements.

Il existe différents moyens mis en place pour l’enfant afin qu’il accède à l’écriture. Bien souvent nous lui apprenons à écrire par répétitions d’un modèle. La lettre est recopiée à partir de points de repères issus de lignes d’un cahier ou bien de l’exemple inscrit au tableau. Bien que la spatialisation de la ligne de la lettre est importante, il ne faut pas négliger l’impact de l’outil sur l’apprentissage de l’écriture. En effet, en pratique, l’outil devient le prolongement de la main qui produit le geste. Celui-ci doit être adapté aux étapes d’acquisitions. C’est pourquoi on ne donne pas directement une plume à un débutant. Il a besoin d’un outil qui accompagne de façon souple son geste encore peu maîtrisé. Les premiers pas peuvent se faire à la craie sur ardoise ou au feutre. Ces outils rassurent l’apprenant qui camoufle son manque de maîtrise à travers ses tracés épais. L’utilisation de crayon à papier quant à elle suggère la possibilité d’effacer et de recommencer, stimulant l’apprenant vers le perfectionnement de son geste. L’écriture à la plume est la dernière étape. L’élève y développe une écriture propre et la module en anglaise, en cursive, en ronde ou bâtarde. Il s’agit là d’un réel savoir-faire de l’écriture. La main ne fait plus qu’un avec l’outil. Le résultat produit témoigne de la capacité de l’élève à maîtriser une technique et de s’exprimer avec. C’est l’expression graphique.
Cette pratique manuscrite, initiée depuis le XIXème siècle avec la plume d’oie connaît un franc succès dans le milieu scolaire avec l’arrivée de la plume inusable en acier de Jean-Benoît Mallat1 en 1850. Davantage flexible et maniable, elle permet aux élèves une totale emprise sur l’outil et une souplesse dans leur geste.

Proche de la calligraphie considérée comme une pratique artistique, l’utilisation de la plume garde sa place encore aujourd’hui dans les cahiers d’écritures. Cependant, elle s’est vu concurrencée avec l’arrivé des stylos à bille dû au développement de l’industrie du plastique. Le célèbre stylo BIC inventé en 1950 arrive dans les trousses des écoliers en 1965 avec une autorisation par décret. L’arrivé du produit sur le marché bien que déjà existant depuis le début du siècle est qualifié par le sémiologue Umberto Eco comme : « L’unique exemple du socialisme réalisé. Il annule tout droit à la propriété et toute distinction sociale » 2. Si pour lui le stylo à bille annule tout ségrégation sociale qui stipulait qu’une écriture à la plume, de par son prix, était réservé aux familles aisées, on approche cependant d’une écriture dépourvue de singularité avec le stylo à bille. Descendre, monter, être rapide et souple, appuyer lourdement ou légèrement, les actions de notre corps sur l’outil n’ont plus grands effets sur le résultat. Seule la forme de nos traits traduit le passage et la direction du mouvement.

Dans le matériel Montessori il existe d’autre dispositif permettant à l’enfant d’accéder à la connaissance des lettres. Par l’expérience du sensible au travers du toucher, l’enfant suit du doigt le tracer de la lettre à la matière rugueuse. Le dispositif, tout en engageant son corps stimule la temporalité et la spatialisation du geste de l’enfant puisque le tracé d’une lettre à un début et une fin et qu’il prend place sur une surface ou un espace. Cette pratique permet à l’apprenant de comprendre le processus de construction de la lettre et stimule sa motricité.

« Les psychologues trop souvent retranchés du chantier bruyant où évoluent les milliers d’enfants sur lesquels ils ont contrôle, ne soupçonnent pas combien la création artistique est riche de personnalité vraie, quelle puissance de libération permanente elle suscite, quelle discipline formative elle instaure au cœur d’une individualité trop souvent troublée. » 3, en tenant ces mots, Célestin Freinet souligne combien il est bénéfique pour l’enfant de développer sa propre personnalité au travers d’une éducation artistique où il peut s’exprimer librement. Influencé par sa femme Élise Freinet, le pédagogue instaure dans ses classes des activités expérimentales basées sur l’expression libre des enfants. Ces derniers ont la possibilité de rédiger des textes dont ils choisissent le sujet et peuvent ensuite les imprimer de leurs propres mains.
Basées sous forme de projet collaboratif, ces activités pratiques permettent aux enfants de réaliser d’eux-même leur objet dont ils sont entièrement les auteurs. Il s’exprime alors au travers du texte, mais aussi de leur choix typographique, d’illustration, et de leur diffusion. L’ensemble de cette méthode stimule chez l’enfant l’expression de son moi social et son moi affectif.

On observe combien dans la pédagogie Freinet, l’expression artistique est primordial. L’enfant manipule les outils tout en l’explorant et l’apprenant en même temps. Il y fait sa propre découverte, et encore neutre de tous préjugés, il n’a pas peur de s’en saisir. Cette exploration d’outils techniques et artistiques à pour but de stimuler l’imaginaire et la créativité de l’enfant. Il y développe ainsi sa singularité et s’affirme au travers non pas de ce qu’il sait, mais de ce qu’il fait. Pour se faire il est important de mettre à disposition des élèves des dispositifs et outils qui les poussent à s’en saisir, à agir et s’exprimer avec. À la manière des arts mécaniques du moyen-âge, il s’agit d’enseigner aux enfants des technicités.

Valoriser la singularité des élèves à travers des activités artistiques permet de développer un esprit critique chez les élèves. Ceux-ci ne deviennent pas seulement des « consommateurs » à qui on transmet une info sans qu’il puisse s’en saisir personnellement. Julien Gautier et Guillaume Vergne créateur du site skhole.fr reconnaissent une certaine légitimité dans les courants de la « pédagogie nouvelle » visant à valoriser l’expression singulière des élèves : « ... le mérite incontestable des courants pédagogiques a été d’insister sur l’activité et la personnalité des élèves, de repenser l’enfant comme sujet de l’école, face à une institution qui tendait à négliger, voir à nier, ces aspects et à privilégier à outrance un certain formalisme scolaire, largement indifférent à la question des conditions individuelles de l’apprentissage. » 1.

Il est alors important d’assimiler le pouvoir d’outils et dispositifs pédagogiques dans le processus de l’enfant. Leur utilisation rendant l’élève actif leur permet de ne pas rester de simple récepteur. Cependant, il faut veiller à ce que de tels outils soient accessibles auprès de chaque apprenant, sans quoi il pourrait passer à côté sans jamais y revenir et créer de grave lacune. C’est pourquoi il est important de démocratiser l’apprentissage de manière à le rendre accessible pour tous et dans toutes ses dimensions.

_ Démocratiser l’apprentissage

Les outils qui tendent à la standardisation des savoirs et savoir-faire des élèves et donc à la démocratisation de l’apprentissage restent d’efficaces moyens pour exprimer une créativité et développer une personnalité. Cette démarche vise à mettre sur le même pied d’égalité chaque apprenant en leur permettant de se saisir d’outils sans avoir recours à un quelconque savoir-faire. On retrouve cette pratique dans l’utilisation de l’image comme outil pédagogique, mais également d’outils propre au design graphique standardisant l’écriture. L’arrivé du numérique a également chamboulé nos manières d’apprendre mais surtout la manière de transmettre nos savoirs et savoir-faire.

Bien que Platon a exprimé sa méfiance à l’égard de l’image considérée comme barrière au savoir représentant une réalité adressée aux sens et non à l’esprit 1, l’image est un réel outil dans la transmission du savoir. Elle est considérée comme support de mémoire tant par son aspect symbolique qu’éducatif. Ainsi pour les éducateurs de la petite enfance, l’image contribue à l’éducation précoce des sens, préconisée par Jean-Jacques Rousseau.

Le premier ouvrage remarquable dans l’histoire de la pédagogie par l’image est l’Orbis sensualium pictus de Comenius. Livre à usage scolaire, il accompagne l’élève dans son apprentissage de la langue et la lecture aux travers de ses images. En suivant l’adage aristotélicien « il n’y a rien dans l’intellect qui n’ait d’abord été dans les sens », Comenius considère l’enseignement comme un passage du sensible et du concret aux notions de l’abstraction. Il place l’image comme fondement de ce processus.
Un des exemples utilisant l’image comme support de transmissions et aide à la mémoire n’est autre que l’abécédaire. Dès le XVIIIème siècle l’abécédaire mélange plaisir des yeux et plaisir d’appendre en intégrant le jeu. L’abbé Claude-Louis Berthaud publia en 1744 l’abécédaire Quadrille des enfants qui propose un mode de lecture associant un son à une image. Il utilise dans son ouvrage l’image comme manière de dégager les sons élémentaires de la langue, phonèmes , prenant ainsi le contre-pied de la méthode traditionnelle de l’épellation.

Autant utilisée pour illustrer un procédé mathématique, un schéma scientifique ou une carte géographique, l’image a un impact important pour les élèves. Devenue moyen mnémotechnique, elle est aussi une manière de spatialiser notre mémoire comme en témoigne les palais de la mémoire. Technique qui consiste à associer un mot à un lieu, l’image mentale induite par un souvenir sensible est utilisée comme outil de mémoire. L’apprenant adopte alors l’image comme accompagnateur physique ou mental dans son apprentissage. Il doit cependant veiller à une bonne interprétation qui se jugera par une interaction verbale avec l’enseignant.

L’image a été souvent utilisée dans les manuels d’histoires. D’abord gravure, puis illustration, la photographie est l’image contemporaine troublante de réalité. L’élève doit alors faire face à des photographies relevant des faits d’actualités. L’enseignant prend le rôle d’éducateur à l’image en informant l’apprenant de son contexte et de sa nature précise.
Si l’image prend le rôle de support de mémoire et transmission de cette mémoire il est cependant important d’éduquer les élèves à sa culture pour que celui-ci ne soit pas simple consommateur. C’est l’enjeu majeur du projet du jeune graphiste Julien Lannone 1. Invitant l’enfant à s’approprier les signes et discours graphiques au travers d’outils mis à sa disposition il souhaite l’interroger sur les stratégies marketing mis en place au travers de logos et symboles publicitaires. Il développe ainsi son esprit critique sur les images dont il est habituellement consommateur au travers de ses propres détournements.

Les tampons ont fait leur apparition dès le XIXème siècle à l’école. Devenus moyens pour se raconter des histoires, ils permettent alors à l’élève de manipuler et de construire lui-même son savoir par l’intermédiaire de son action sans demander une maîtrise du geste. À contrario de l’utilisation de la plume, l’apprenant n’est plus en quête de style et de technicité. Il dépend d’une dimension pédagogique déjà programmée dans la conception de l’objet. Pratiquée de manière répétitive l’activité de tamponner ne rend pas plus performant l’action de l’apprenant sur l’outil et le résultat n’en est pas mieux réussi. Il ne s’agit là non plus de s’emparer d’un outil pour qu’il devienne continuité du geste, mais bien d’utiliser un outil pour ses fins en soi.
Le tampon ou bien même les gommettes et les stickers arrivés dès 1970 offrent de nouvelles possibilités créatives pour l’enfant qui le poussent à explorer des outils sans lui demander un savoir-faire particulier 2.

Dans cette approche il est possible d’y voir une manière limitée de possibilités techniques offertes à l’apprenant. Cela dépend de l’utilisation de l’objet dans sa forme imposée. Bien qu’il est toujours possible de le détourner, le détournement s’opéra davantage dans l’usage qui en est fait que de l’utilisation même du dispositif. Cette démarche est cependant toute autant bénéfique pour l’enfant lui permettant de se perfectionner sur des pratiques ciblées tout en développant également sa créativité. Le projet d’Éloïse Pérez expose parfaitement le concept d’objet à l’utilisation bien définit tout en offrant une multitude de possibilités. Proposant différents types d’ateliers pour l’apprentissage de l’écriture avec les enfants, elle met au point suite à ses observations des répertoires de formes, des planchettes en plastique dans lesquelles replacer des formes prévues et des pochoirs pour s’exercer au tracé. Son but ici est non pas d’instaurer une seule et unique manière d’écrire à l’élève mais bien de le guider dans sa quête du geste graphique et son aisance à manier un outil. Elle dit à ce propos : « Ce système d’objets manipulables permet de générer un environnement cohérent et propice à l’acquisition du geste graphique avant que les automatismes ne s’installent. Ils deviennent ainsi les supports d’une pédagogie dédramatisée où l’acquisition de l’écriture tient plus de l’entraînement, du jeu, que de la performance. » 1.

Qu’il s’agisse d’écritures ou d’expérimentations graphiques en tous genres, les outils mis à disposition des enfants, que ce soit par la compréhension même de l’objet ou dans son utilisation finale, doivent pouvoir les accompagner dans leur processus d’apprentissage.

Bien que l’arrivé des premiers outils analogiques telles que les machines à écrire s’établit vers les années 60, c’est bien 20 ans après que le numérique s’installe dans le paysage scolaire. Rétroprojecteurs, imprimantes automatisées, photocopieurs prennent place dans les salles de cours. En 1985 les premiers écrans apparaissent. On assiste depuis les années 2000 à une mise en place dans le cursus scolaire des pratiques numériques par l’intermédiaire des technologies de l’information et de la communication (TIC) 2. Il est bien rare aujourd’hui de trouver une salle de classe sans aucun ordinateur ou autre outils informatiques telles que les tablettes tactiles.

Seulement la pratique de ces nouvelles technologies fait débat. L’américain Mitchel Resnick, professeur de recherches sur l’apprentissage, expose dans son ouvrage Rethinking learning in the digital age 3 le problème de l’utilisation qui est faite des outils informatiques à l’heure d’aujourd’hui. Il critique leur pratique pédagogique qui ne dépasse pas le stade de supports d’informations et de réceptions, puisque qu’on ne cherche pas forcement à comprendre leur fonctionnement tant que cela fonctionne. Il explique combien il est primordial d’utiliser ses nouveaux outils comme outils de création afin de ne pas en dépendre.

Le rapport de l’Académie des sciences de Mai 2013 sur L’enseignement de l’informatique en France 4 propose trois approches de l’apprentissage des outils informatiques : la découverte, l’acquisition d’autonomie et la maîtrise des concepts. En outre, il indique que si l’apprenant doit utiliser le numérique pas seulement comme support de réception mais outil de création il doit pouvoir le comprendre par l’intermédiaire du langage informatique, soit le code. Pour se faire il est important que chaque enseignant reçoit une formation complète sur l’utilisation de ces outils mais aussi sur comment et dans quels buts les utiliser. C’est pourquoi on trouve des applications à but pédagogique telle que Scratch JR1 qui initie les enfants au code en les familiarisant avec les algorithmiques et la programmation. Le gouvernement anglais a d’ailleurs mis en place depuis la rentrée 2014 des cours de programmation dès la maternelle. Ces différentes pratiques considèrent que le numérique est devenu un langage à part entière et un réel outil de création. Il est important que l’apprenant prenne connaissance des possibilités infinies, en terme de création, de cet outil lorsqu’il est non seulement capable de l’écouter mais aussi de le comprendre et lui répondre.

Enfin le numérique soulève un nouvel enjeux, celui de la place de l’enseignant dans le processus d’apprentissage de l’enfant. On s’accorde au fait qu’on ne peut se passer des professeurs, bien que l’arrivé d’internet nous a permis l’accès à de nombreuses sources de savoir. André Tricot, professeur d’université en psychologie, s’attache à dire qu’il faut faire là une différence entre apprentissage et enseignement 2. Le professeur est là pour permette à l’élève d’accéder à une ressource d’apprentissage, et d’y prendre un certain recul. Comme le dit si bien Laura Cottin dans son mémoire Déshabiller l’ordinateur 3, l’information n’est pas essentiellement transformée en connaissance dès lors qu’elle est accessible. Bien que ces propos reste à nuancer lorsqu’on considère le cas des MOOCs qui rassemblent un ensemble de cours universitaires mis en ligne et accessibles au monde entier rédigés par des enseignants de grandes universités américaines (Stanford ou Harvard par exemple). On peut alors souligner le rôle de l’enseignant davantage comme celui de médiateur entre l’élève et l’outil d’apprentissage.

L’enjeu aujourd’hui est de rendre accessible ces connaissances en terme de numérique à fin de garantir une totale emprise des outils informatiques chez l’apprenant. Utiliser un outil ne veut pas forcement dire le connaître et le maîtriser. Il faut veiller à l’apprivoiser pour l’exploiter de manière appropriée dans son apprentissage.

_ Conclusion

En prenant connaissance de l’évolution du matériel scolaire et son adaptation en terme de pédagogie, il est important de souligner que l’élève doit pouvoir s’approprier chacun des outils qu’on lui propose afin de s’exprimer librement et accéder à son savoir. Cette démarche lui permet alors de s’engager activement et pleinement dans son apprentissage et ainsi devenir autonome. Il apprend à la fois la maîtrise des savoir-faire par l’intermédiaire de sa pratique gestuelle et l’utilisation des dispositifs et moyens à des fins créatives. C’est pourquoi il est primordial de proposer un matériel pédagogique qui questionne à la fois l’aspect cognitif et sensoriel chez l’apprenant. Une telle mise en place lui permet d’être accompagné lors de la structure de son apprentissage et développe sa démarche intellectuelle passant de l’abstrait au concret. De plus le numérique est une éventuelle dimension qui peut intervenir en terme d’outil de création afin d’offrir à l’enfant un nouvel environnement dans lequel s’épanouir.

04 L'affect

_ Introduction

« Nous sommes des êtres d’émotions avant d’être des êtres de raison. Les tonalités émotionnelles jouent un rôle fondamental et organisateur, tandis que les structures cognitives sont plus passives. En conséquences, la transmission idéale des connaissances devrait se faire à partir d’une nuance émotionnelle. » 1. Avec ces mots, le psychiatre W. Gray explique combien l’affect joue un rôle majeur dans le processus d’apprentissage. Pour lui, les émotions sont la clé de toutes nos idées, pensées, souvenirs. Elles sont une partie prenante de la mémoire. En réalité, si l’affect est si important pour l’apprenant, c’est parce qu’il agit comme stimulateur d’émotions certes, mais également de motivations et de sensations. De plus en plus nous admettons que les dimensions affectives et émotionnelles influent sur les capacités cognitives. Dans le domaine de la pédagogie, il en découle une prise de confiance, d’autonomie et d’ouverture sociale pour l’apprenant Au même titre que l’expérimentation et l’abstraction, l’affect opère comme principe fondamental de la pédagogie. Il est mis à profit grâce au rôle tenu par l’enseignant, mais également au travers d’interactions sociales. Il semblerait que cette contribution participe à l’émancipation de l’enfant.

L’enfant évolue dans un milieu d’interrelations influençant son propre processus d’apprentissage et ses interactions sociales. L’environnement périphérique dans lequel il se développe doit lui offrir une sécurité et répondre à ses attentes ainsi que celles de l’enseignant. J’ai rédigé une ouverture à propos de l’environnement de travail reposant sur ma propre expérience de stages effectués de juin à septembre 2015. Vous pouvez la retrouver dans mon annexe Rapport de stage.

We will now discuss in a little more detail the struggle for existence. In my future work this subject will be treated, as it well deserves, at greater length. The elder De Candolle and Lyell have largely and philosophically shown that all organic beings are exposed to severe competition. In regard to plants, no one has treated this subject with more spirit and ability than W. Herbert, Dean of Manchester, evidently the result of his great horticultural knowledge. Nothing is easier than to admit in words the truth of the universal struggle for life, or more difficult--at least I found it so--than constantly to bear this conclusion in mind. Yet unless it be thoroughly engrained in the mind, the whole economy of nature, with every fact on distribution, rarity, abundance, extinction, and variation, will be dimly seen or quite misunderstood. We behold the face of nature bright with gladness, we often see superabundance of food; we do not see or we forget that the birds which are idly singing round us mostly live on insects or seeds, and are thus constantly destroying life; or we forget how largely these songsters, or their eggs, or their nestlings, are destroyed by birds and beasts of prey; we do not always bear in mind, that, though food may be now superabundant, it is not so at all seasons of each recurring year...

L'enseignant

La relation entre l’enseignant et un élève est un ensemble d’interactions cognitives mais aussi émotionnelles. L’enseignant devient une figure sur laquelle l’enfant transfère des affects. Il n’est alors pas rare d’entendre ce lapsus lorsqu’un élève interpelle sa maîtresse « maman », ou bien même lorsque celui-ci dit être amoureux d’elle. L’enseignant tient un rôle autant éducatif que social. On nomme alors « d’effet-maître » l’influence des pratiques pédagogiques mises en jeu par l’enseignant afin de rendre accessible et compréhensible l’apprentissage et considérer les perspectives de réussites égales pour chaque élève.

Selon Carl Rogers, psychologue humaniste, l’attitude de l’enseignant influence fortement les situations d’apprentissage auprès des enfants. Il indique combien il est primordial de la part de l’enseignant d’énoncer clairement à ses élèves le but des expériences proposées avec un vocabulaire adapté. Il instaure alors un climat de confiance qui rend l’interaction possible et accessible notamment auprès des enfants plus en difficulté qui bien souvent n’osent manifester leur incompréhension face à la leçon donnée. Rogers explique que le respect porté par l’enseignant vis-à-vis des apprenants est également un facteur à prendre en compte. Il doit être capable de considérer l’enfant comme un être singulier avec sa propre personnalité. Cette prise en compte lui permettra d’adapter des stratégies d’apprentissage en fonction des difficultés rencontrées par chaque enfant. Le psychologue rapporte enfin que l’authenticité et la sincérité de l’enseignant affectera de manière positive et constructive la relation à ses élèves 1.
Ces procédés auxquels l’enseignant doit être sensible sont des aides parfois inconscientes mais considérables offertes à l’apprenant. Elles rejoignent ce que Rogers a défini comme les attitudes de relations d’aide, appelées aussi les attitudes rogériennes. Il s’agit de la congruence qui implique cohérence et authenticité en la personne de l’enseignant, du sentiment positif qui reconnaît la singularité de l’élève et enfin de la capacité d’empathie impliquant un discours adapté aux sujets. Ces attitudes doivent alors accompagner la volonté d’apprendre des enfants.

C’est d’ailleurs ce que préconise Maria Montessori dans sa pédagogie où l’enseignant est considéré comme guide et accompagnateur dans le processus d’apprentissage. Céline Alvarez, adepte de cette pédagogie, explique comment l’enseignant doit d’abord montrer comment faire en répétant précisément chaque geste, puis comment il doit peu à peu prendre le rôle d’observateur. Cela renforce l’autonomie de l’élève et sa capacité à devenir responsable. Il enrichit sa confiance en soi, facteur primordial pour sa motivation et sa prise d’initiative future. Léon Tolstoï, écrivain mais aussi pédagogue libertaire russe, s’est lui aussi aperçu au cours de ses années en tant qu’enseignant, combien l’influence du maître sur ses élèves était grande. Bien qu’au départ, il comparait cet enjeu à une « influence obligatoire, forcée, d’une personne sur une autre (...), c’est la tendance chez un homme à faire d’un autre ce qu’il est lui-même. » 2. Il observa au travers de sa pédagogie expérimentale, que l’amour de l’enseignant pour son métier et ses élèves est une donnée essentielle dans la transmission des connaissances. L’un de ses anciens élèves, V.S. Moroz, témoigne : « Toute sa bonne volonté si fervente nous encourageait et notre enthousiasme grandissait de jour en jour. » 3.
Dans l’une et l’autre de ces pédagogies l’enseignant opère comme guide bienveillant auprès des enfants. La confiance réciproque échangée entre eux leur permet de construire ensemble un bon climat de travail. Déjà, dans le courant maïeutique de la Grèce antique, Socrate pratiquait des méthodes pédagogiques cherchant, par le dialogue et des questions ciblées, à accompagner l’élève dans son raisonnement, pour sortir de lui et « l’accoucher » de son savoir. Le maître était un guide, un « accoucheur d’esprit ».

Le rôle de l’enseignant est difficile, d’autant plus lorsque l’on considère ses obligations et contraintes institutionnelles. De plus, il fait face à de nouvelles difficultés depuis l’arrivé du numérique à l’école. Le rapport de l’Académie des sciences 4 au sujet de l’informatique à l’école indique comme primordiale la formation de chaque enseignant, quel que soit son niveau, à la connaissance et la pratique des outils numériques, afin d’éliminer leur usage passif auprès des enfants. Ces nouvelles compétences leur permettraient d’offrir aux élèves de nouveaux outils d’interactions avec leur milieu et développeraient de nouvelles dimensions affectives.

Le designer graphique doit alors veiller à conserver ce lien social liant l’enseignant et l’élève, tout en permettant à ce dernier de développer ses capacités émotionnelles et sociales. Il ne doit en aucun cas mettre l’enseignant de côté au profit d’un dispositif laissant l’élève en totale autonomie, comme est pensée à tort l’utilisation des outils informatiques à l’école.

_ Les interaction sociales

L’aspect social tient une grande place dans ma perception de l’école. Peut-être pourrais-je l’expliquer par le phénomène de « chocs sociaux ». Avec le recul, mes propres « chocs sociaux » durant ma scolarité me soulignent l’un des aspects majeurs des interactions sociales : l’ouverture sociale, à l’autre, à sa culture. Ce qui est encore plus remarquable est l’influence qu’ont pu avoir certaines de ces rencontres sur mon apprentissage ou ma manière de ressentir et d’observer les choses. J’ai compris, notamment à mon arrivée en arts appliqués, qu’il était possible d’apprendre autant des professeurs que des élèves à partir du moment où chacun s’exprime avec liberté. Ces interactions sociales ont produit une réelle créativité collective tant dans les processus d’apprentissage que dans les liens affectifs.

L’école est l’un des premiers lieux fréquentés par l’enfant sortant du cadre familial. Il est confronté à un milieu social dans lequel il est mis en relation avec des individus inconnus. Il prend connaissance de la vie en communauté dans laquelle il n’est pas l’unique centre d’attention de l’enseignant. C’est au travers de ce contexte social qu’il va développer sa propre identité.
Dans les classes Montessori, les enfants ont entre 3 et 6 ans. Tous évoluent ensemble dans le même espace. Ce procédé a pour avantage de faire bénéficier les plus jeunes de l’expérience des aînés. Ces derniers se voient attribuer une plus grande responsabilité. Un enfant capable d’expliquer et d’exprimer correctement le processus à suivre à un autre enfant peut prendre du recul sur sa propre expérience et valider ses acquis. On comprend comment ces interactions sont primordiales. Le plus jeune se projette plus facilement sur un camarade que sur l’enseignant et prend conscience qu’il peut aussi y arriver. Tandis que le plus grand est fier de transmettre à son tour ce qu’il a appris. Maria Montessori explique qu’il existe entre eux une osmose mentale naturelle due à leur proximité d’âge.

La pédagogue italienne souligne également que l’enfant, en évoluant au sein d’un groupe, acquiert petit à petit une conscience sociale qu’elle nomme cohésion sociale 2. Il s’agit pour lui de s’identifier à un groupe auquel il a conscience d’appartenir. Cette identification permet de développer un esprit collectif chez l’élève qui pense davantage au bien être de la classe que de sa propre personne. En œuvrant pour l’intérêt collectif, les enfants apprennent à travailler ensemble, être patients et empathiques. Ils créent ainsi une dynamique et une créativité collectives développant des valeurs communes. Puisque, comme l’indique Britt-Mari Barth il ne faut pas oublier que l’enfant construit sa personne en même temps qu’il construit son savoir.

La designer graphique Christelle Duhil 4 a mis en place une application numérique ayant pour but de développer les interactions sociales entre élèves d’écoles primaires à échelle internationale. Elle met à profit la construction et le partage d’échanges culturels, linguistiques et géographiques par le biais d’un dispositif ludique et graphique. En utilisant le milieu numérique comme moyen de transmission et d’interaction, elle crée un véritable univers où les enfants peuvent faire évoluer leur avatar au fil de leurs rencontres et échanges contributifs avec les élèves du monde entier avec qui ils sont connectés.
Le designer graphique peut alors s’illustrer comme médiateur de liens sociaux au sein de l’environnement scolaire en mettant à contribution un partage et une créativité collective via un environnement numérique brisant les frontières géographiques, linguistiques et temporelles.

_ L’émancipation

Entretenir et développer l’optimisme est primordial pour amener les enfants à se construire avec une volonté d’apprendre et de comprendre le monde qui l’entoure. L’école doit le porter vers cette quête tout en lui laissant son indépendance. L’élève indépendant part à la conquête du savoir de manière spontanée en absorbant le monde par les sens comme l’analyse Maria Montessori. Elle explique l’indépendance comme un état qui n’est pas statique : « c’est la conquête d’un travail continu qui porte en soi, non seulement la liberté, mais la force et l’auto-perfection. » 5. Ces propos supposent que les assimilations de l’élève au cours de sa scolarité ne peuvent être considérées comme fixées en lui de manière irrémédiable. L’être humain évolue au sein d’un environnement social influant qui ne cesse de changer. Ce qui reste, en revanche, c’est sa manière d’approcher et d’absorber le monde par sa capacité d’abstraction, ses expériences et ses émotions.

Dans le processus d’émancipation, il est important de bien dissocier l’absorption et l’adaptation. Dans un débat mené sur le rôle de l’école d’aujourd’hui entre Denis Kambouchner, Philippe Meirieu et Bernard Stiegler6, ce dernier indique qu’il est primordial de ne pas enseigner à l’élève l’adaptation non conforme à une société démocratique. Un élève autonome doit faire preuve de discernement, d’esprit critique et de créativité. Bernard Stiegler renonce à une école qui enseigne à ses élèves à être ce que la société attend d’eux. Il rejoint le souhait de Gaston Bachelard qui voulait que « l’École ne soit pas faite pour la société, mais que la société soit faite pour l’École. » 7. Il s’agirait alors pour Britt-Mari Barth, en reprenant ses mots énoncés en introduction, de former des jeunes capables non pas de s’adapter mais d’absorber et de projeter leurs connaissances dans une société démocratique.
Dans une conférence TED8, Claire Blondel , maman et entrepreneur, relate les résultats effectués par le GEM (Global Entrepreneurship Monitor) sur le nombre de personnes en France ayant créé leur entreprise. Ce chiffre très bas de 6% est expliqué par une peur de l’échec qu’éprouvent les citoyens français. La narratrice explique alors combien le rôle de l’école est primordial sur ce qu’il transfère dans l’esprit des enfants. Elle indique comme indispensable de permettre à l’enfant de développer son autonomie pour qu’il puisse de lui même repérer et corriger ses erreurs sans intervention d’une tierce personne, néfaste pour son estime de soi. On comprend alors combien les répercussions d’un enseignement peuvent engendrer une dévalorisation de l’image de soi chez l’apprenant. Or, comme le dit si bien Britt-Mari Barth : « ce n’est pas avec une jeunesse démoralisée et frustrée qu’on construit une société. ».

C’est dans la devise de Montessori « Apprends-moi à faire tout seul » que semble résulter l’indépendance et la quête de personnalité recherchées par l’enfant. Il a certes besoin d’un guide, d’un modèle à suivre, mais il doit être capable de transférer ses expériences et connaissances pour « faire tout seul » et construire ce qui lui reste à construire. Une fois cette démarche établie, l’enfant développe son esprit critique et peut porter un regard extérieur à ce qu’il sait. Ce n’est pas son savoir qui fait ce qu’il est, c’est lui qui fait son savoir. L’enfant devient libre et prend alors plaisir et désir d’apprendre tout au long de sa vie.

L’émancipation repose en majeure partie dans le rôle de l’enseignant et des parents sur le développement de l’enfant. Ce dernier projette sur eux un moyen de réussir. Installer une relation de confiance et de respect dans les interactions avec l’apprenant transfère en lui un caractère autonome et responsable qui influence ses capacités à entreprendre et agir, valeurs importantes dans la pédagogie. Un climat de confiance doit être installé entre l’élève, son enseignant et ses parents. Ces derniers doivent limiter leurs interventions, perçues pour l’enfant comme un manque de confiance de leur part en ses capacités. Le designer graphique doit alors accompagner cette émancipation en permettant à l’élève de faire les choses par lui-même. Il lui laisser la possibilité de repérer ses éventuelles erreurs pour les corriger. Toutefois la présence d’une tierce personne n’est pas à exclure.

RAPPORT DE STAGE


L'environnement de travail


_ Introduction

J’ai découvert le domaine du graphisme textile lors d’un premier stage en 2013. J’ai tout de suite été séduite par son environnement sensible, ses contraintes culturelles, éthiques, parfois marketing, et sa mise en pratique du travail d’illustrations. J’ai souhaité renouveler cette expérience auprès de nouvelles entreprises de prêt-à-porter. J’ai donc passé 2 mois au sein de l’entreprise IKKS, travaillant aux côtés des graphistes junior fille, puis 1 mois chez un auto-entrepreneur, Hubert de Heaulme, qui a crée sa marque multi-générationnelle et multi-sexe il y a 4 ans, Tee of life. Ce choix de stages ne trouve au premier abord aucun lien direct avec mon projet design. Il y a cependant un point qui m’est apparu comme central lors de ces 3 mois. Ces 2 stages ont tous deux en commun leur domaine de prédilection : l’univers textile. Bien que leur but s’avère le même à différentes échelles, je n’ai cependant pas eu le même fonctionnement ainsi que la même mise en place au travail chez chacun d’eux. Le facteur de cette différence, parfois inconscient, m’est devenu évident avec le recul. Il concerne l’environnement du travail, l’ensemble des éléments matériels et humains susceptibles d’influencer les tâches quotidiennes. Cette différence primordiale engage alors différents enjeux, qu’ils soient dus à la manière de travailler, à l’aspect social, à l’utilisation de l’espace, à la prise d’initiatives ou de l’investissement personnel.

Mon but n’est pas de comparer idiotement l’un et l’autre de mes stages. Ainsi je pense qu’étudier l’environnement de chacun, en les alignant parfois l’un à l’autre me semble un point déterminant concernant la suite de mon étude de projet design. En effet, la mise en place du corps et de l’esprit dans un cadre professionnel, éducatif ou pédagogique, relève aussi de l’appropriation de l’environnement, de son contexte sensible et social. Différents points sont alors à soulever : l’organisation de l’espace, l’accessibilité matérielle et technique, et la connexion sociale.

Chacun des points à étudier me permettra alors de comprendre comment le corps et l’esprit prennent place dans l’espace afin de se préparer à différentes activités et comment s’engage-t-on personnellement et collectivement au travail. Cela peut également me permettre de comprendre de quelle manière et à quel niveau le cadre environnemental influence les comportements et notre façon de travailler. Car l’environnement est un ensemble, qu’il soit matériel, naturel ou humain.

_ Organisation de l'espace

IKKS GROUP, émancipé il y a peu du groupe Zannier, est une entreprise de taille intermédiaire spécialisée dans les métiers de l’habillement. Arrivée au pôle Junior fille, j’ai constaté de fait que les graphistes et stylistes pour juniors filles-garçons étaient séparés d’un étage des graphistes et stylistes homme et femme. Cela entraîne d’emblée une communication difficile entre ces secteurs d’âges. D’ailleurs la marque, elle-même, ne crée pas de liens directs en termes de produits entre les adultes et les enfants. Tandis qu’à l’inverse, l’équipe junior garçon et l’équipe junior fille sont installées dans le même espace en différents pôles. Ces derniers sont organisés hiérarchiquement en raison de la particularité de chacun : les stylistes avec les stylistes et leur assistant, de même pour les graphistes. Cet espace est dédié au créa. La constatation à l’entrée est souvent la même : le bruit y est joyeux, l’espace parfois encombré, mais l’atmosphère vivant. Ça et là s’organisent d’immenses planches tendances. Les stylistes y planifient l’ambiance de leur prochaine collection. On trouve des échantillons de matières ou bien de sérigraphies pour un prototype en attente d’être validé, sans oublier une importante garde-robe d’anciens modèles, témoignant de tops ou de flops des saisons précédentes.

Cette organisation de l’espace permet une étroite communication entre graphistes et stylistes pour qui la collaboration est primordiale. Même si cela peut par ailleurs entraîner du bruit, une atmosphère plus intime est créée qui limite certains déplacements, et donc permet de gagner du temps. Jugé parfois trop étroit par ses occupants, l’espace créa n’est cloisonné que de portes-vêtements et d’étagères. On peut alors parler de lieu ouvert, lumineux par ses grandes ouvertures. Ni austère, ni nécessairement chaleureux par ses couleurs grises brutes, l’espace bureautique ne ressemble en rien à un bureau administratif classique. Chacun y apporte une touche personnelle donnant toute la singularité du lieu. Rien n’est plus étonnant, ni même la guirlande dansant au plafond sur laquelle nous pouvons lire: «nous sommes à la plage». Lorsque nous entrons dans ce lieu, nous savons que nous nous y plairons, dès lors que nous acceptons que les livres ne soient pas alignés et les crayons rangés dans les trousses.

Lors de mon arrivée chez Tee of life, j’ai constaté que l’organisation de l’espace était toute aussi différente par comparaison avec les deux lieux. Cependant, force est de constater certains points communs non anodins.
La particularité de mon stage chez Tee of life est qu’il s’est déroulé chez mon maître de stage, à son propre domicile. Hubert ainsi que son épouse ont installé à l’arrière de leur jardin un lieu destiné à leur temps de travail (tous deux étant auto-entrepreneurs avec leur propre entreprise respective). Chaque matin, j’accédais donc à mon lieu de travail en traversant la maison, puis le jardin. Dès lors, ce parcours quotidien m’installait dans un rapport de vie privée / vie professionnelle différent de celui partagé chez IKKS.

Bien que le bureau soit restreint nous y évoluions à 4 (Hubert et moi, son épouse et son associée). L’espace était organisé pour que nous nous y sentions bien. Le sol, moquette d’herbe, procurait une sensation de bien-être, et permettait une déambulation nu-pieds nous rappelant un lieu familier et rassurant : la maison familiale. Canapés et fauteuils à l’entrée, bien que peu utilisés, renvoient aux open space, où il est toujours agréable et convivial de prendre une pause-café bien installé. Là où l’environnement semble plus difficile pour un bon confort de travail concerne l’espace bureautique. Hubert et moi-même, nos deux ordinateurs respectifs et une imprimante partagions le même bureau. Même si cette collocation fut dense, elle n’a pas entravé notre travail. Une organisation fut toutefois nécessaire a fin que chacun respecte l’espace de l’autre, et j’ai ainsi dû contenir mon invasion habituelle sur la surface de travail du bureau.

Cet environnement a également eu d’autres conséquences, notamment dans la manière d’organiser le temps de travail et sa propre prise de responsabilités et d’initiatives. Chez IKKS, le temps du midi découlait des horaires du self de l’entreprise. Bien qu’il fût possible de manger à l’extérieur, travailler «à la maison», implique une organisation personnelle et rend plus responsable et autonome.

Le point commun essentiel dans chacune de ces organisations de l’espace est évident : le corps est installé de la même manière, j’ai passé l’essentiel de mes journées assise. Cette posture, typique de travail en bureau, doit être cependant confortable et agréable pour la journée. Siège moelleux chez IKKS, chaise et bureau en hauteur chez Tee of life. Là encore, il semble que la posture du corps ait été réfléchie. Cependant, compte tenu de l’organisation de l’espace, des zones de circulation et des pôles organisés, l’environnement de travail fut davantage mouvementé chez IKKS. Force est de constater en raison du nombre de salariés, le flux y est plus conséquent. Où que je prenais place, je tournais le dos à plusieurs personnes et le passage s’effectuait derrière moi. Comme dans n’importe quelle situation, il est parfois désagréable de ne pas savoir ce qui passe derrière son dos et d’imaginer alors quelqu’un «surveiller» ce que nous faisons. De suite, notre attention peut alors être partagée et mouvementée.

Dans ces deux cas retenons : l’organisation de l’espace peut avoir des conséquences sur notre concentration et sur notre condition physique. Il est alors important de prendre en compte la manière dont le corps évolue dans l’espace, les postures, les déplacements. L’accessibilité à cet espace est également à prendre en compte, car un circuit quotidien est la première étape menant aux conditions de travail. Dès lors que ma voiture rentrait dans le parking privé d’IKKS, j’étais stagiaire graphiste textile. Ce circuit fut comme déjà évoqué précédemment bien différent chez Tee Of Life. Cela a beaucoup joué dans mon échange relationnel. C’est un point que j’aborderai plus tard. Ce temps préliminaire n’est donc pas à négliger et est la première étape vers un environnement de travail convenable. Tout ceci passe bien évidemment par un espace réfléchi et logique.

L’accessibilité des outils et des matériaux

Dans mes deux stages, mon travail était principalement effectué sur ordinateur. Chez IKKS, j’avais à ma disposition un ordinateur et une tablette graphique. Chez Tee Of Life, j’ai travaillé avec mon propre matériel. L’enjeu majeur chez IKKS, est la connexion entre chaque ordinateur via un réseau qui permet aux stylistes, acheteurs, directeurs artistiques ou chefs produits d’avoir accès à chaque dossier et document traités lors de la collection. Comme une sorte de plate-forme d’échanges et de partages virtuels, cette mise en place sert à gagner du temps et permet une meilleure organisation. Les échanges avec Hubert furent différents : clef USB, mails. Ce ne fut pas là la plus grande perte de temps. En effet, utilisant mon propre ordinateur personnel, celui-ci s’est parfois montré capricieux. Ces désagréments peuvent devenir frustrants. C’est pourquoi il est important d’avoir accès à de bons outils de travail, personnels ou non, qui permettent d’évoluer avec sérénité. Cependant, travailler avec mon propre matériel m’a assuré une totale possession de mon travail. Là encore, l’appropriation de chaque outil est primordiale. Si on s’y familiarise, on devient plus à l’aise à manipuler, et par là on gagne en rapidité. Ce qui a pu alors me perturber quelques fois lorsque chez IKKS il m’arrivait de changer de poste de temps à autre, puisque sans poste fixe, je m’installais là où l’utilisateur du poste n’était pas présent durant la journée. Il est important de noter qu’un outil informatique personnel est lui-même personnalisé dans son utilisation par son propriétaire. Les informations internes ne se trouvent pas toujours là où sur un autre poste nous les trouvions. Ce procédé m’a permis quelque sorte de me familiariser avec la manière de travailler propre à chacun.

Il existe un autre facteur d’accessibilité au sein de l’environnement du travail, primordial pour un travail plus efficace et de meilleures appréhensions et compréhensions. En effet, IKKS possède une grande tissu-thèque permettant à chaque styliste et graphiste de réaliser des échantillons en vue d’une prévisualisation du produit. Destiné à la grande production, chaque produit doit être prototypé puis validé auprès de la chef produit et de la chef de marque. Ensuite, il pourra partir en production. Cependant, bien que l’échantillon du textile ainsi que la couleur puissent être trouvés en interne, le passage de l’impression pour les prototypes graphiques s’effectue en externe chez un sérigraphe. Là encore, il est question de familiarisation. En effet, en acquérant des connaissances sur la sérigraphie, il est alors possible de préparer intelligemment ses fichiers d’infographies en amont. En accédant à certains savoir-faire des outils et techniques, cela permet de mieux préparer son travail. Pour la sérigraphie, il est déterminant de séparer chaque couleur sur des calques différents. Bien que ceci m’ait été expliqué, des connaissances en terme de sérigraphie ont été utiles afin que je me rappelle que chaque calque correspond bien à un cadre de sérigraphie.

Chez Tee Of Life, j’ai alors eu la chance de participer à l’impression de certains modèles. En effet comprendre et voir le travail effectué lors de la production permet de mieux appréhender certains problèmes. Il est primordiale de faire bien attention à l’épaisseur de ses traits par rapport à la trame des cadres possibles. Si un seul gabarit est possible il faut prendre en compte les dimensions de chaque modèle correspondant à différentes tailles. Notre travail ne commence pas seulement lorsque nous allumons notre ordinateur et il ne s’arrête pas lorsqu’on l’éteint. Cela va bien plus loin et concerne bien d’autres lieux et personnes. Nous devons mettre en place des stratégies d’informations et d’accessibilités afin que chacun puisse mieux travailler ensemble, et avec différents outils. Ainsi, IKKS possède des dizaines de catalogues de boutons, de chaque fournisseur, afin d’obtenir les meilleurs produits qu’ils souhaitent face à leurs demandes. Ces procédures éliminent d’emblée quelques mauvaises surprises lorsque certains prototypes, non produits en France, arrivent à destination.

Ce qui est alors indispensable à retenir, c’est que pour un meilleur confort de travail et une meilleure compréhension, il est nécessaire de rendre accessible certains outils, mais également certaines connaissances qui viennent comme une notice d’utilisation, comme une notice de création. Comprendre ce que l’on fait et pourquoi on le fait, pourquoi ces contraintes nous sont-elles imposées et pourquoi utiliser cet outil plutôt qu’un autre, c’est apprendre et retenir, pour mieux avancer.

_ Connexions sociales

La principale différence entre mes deux stages concerne l’effectif de salariés. IKKS compte un effectif moyen de salariés en son siège, Hubert est quant à lui tout seul. L’environnement ne peut qu’être différent. En effet, les rapports et les échanges ne sont pas du tout les mêmes dans une grande et une petite structure, et cela entraîne beaucoup sur son propre rôle au sein de l’entreprise.

Chez IKKS, Morgane était mon maître stage, bien que j’ai aussi travaillé avec 3 autres graphistes, et parfois des stylistes. Toutes ont su très bien m’accompagner lors de ces 2 mois de stages et j’ai appris de chacune d’elles, tant dans leur manière de travailler, que leur façon d’interpréter la marque. Ce que j’y ai le plus appris en termes de relation professionnelle reste l’importance de la collaboration et du dialogue. Chaque graphiste travaille avec une styliste pour l’un de ses thèmes. Il est important que toutes deux soient en accord dans l’esprit du thème pour que bon travail se fasse. Si la styliste ne valide pas, le visuel ne peut être retenu. Cependant le dialogue est ouvert et chaque idée est entendue. Le fin mot est réservé à la directrice artistique, Christine pour l’équipe junior fille. Tout ce processus fait parti de l’environnement social qui doit permette à chacun de trouver sa place et se faire respecter. Il est alors important de savoir faire des concessions, mais tout autant de défendre ses idées lorsqu’on est convaincu de leurs qualités.

L’environnement social est peut-être d’une certaine manière l’un des plus importants enjeux concernant le domaine du travail. En effet, une bonne entente entre équipes et supérieurs assure des dialogues de confiances, respectueux et porteurs d’avenir. Un projet ne peut avancer si les bouches se ferment ainsi que les oreilles. De plus, un mauvais partage ou une mauvaise entente peuvent entraîner la réorganisation de tout autre environnement, comme celui de l’espace de travail, ou bien la manière de travailler de chacun. Puisque dès lors que nous travaillons avec autrui, il est forcer d’accepter son environnement mais aussi celui construit ensemble.

Bien évidemment, tout est différent lorsque nous travaillons de chez soi, sans autre collègue que nous-mêmes. Force est de constater que le seul environnement qui nous est imposé est celui que nous nous créons. Chez Tee of life, à défaut de m’adapter à l’environnement de plusieurs personnes, il a fallut que je me familiarise avec celui d’Hubert. Du fait que nous travaillons chez lui, c’est également celui de sa famille que j’ai ainsi pu partager. Ce fut alors le point le plus marquant de ce stage, l’aspect humain. Puisqu’au delà de l’histoire d’une marque, j’ai aussi découvert l’histoire de Hubert, de sa famille et son quotidien. Ce fut alors des échanges professionnels évidemment mais parfois aussi privés, sur différents aspects culturels ou humains qui émergèrent entre différentes discussions. Là où chez IKKS, le tout est guidé par des enjeux propres à une société, où l’esprit de la marque guide en quelque sorte la créativité, Hubert écrit à chaque produit une nouvelle histoire qu’il tire de ses différents échanges professionnels ou personnels. Mais là encore, les enjeux ne sont pas les mêmes, il est simplement question de mentionner comment des échanges sociaux peuvent influencer sur la manière de travailler.

Ce qu’on doit retenir des connexions sociales au sein d’un environnement de travail relève de la capacité de chacun à vivre en communauté pour un objectif commun. Apprendre et produire ensemble. Il est important également que chacun considère son rôle, comprend où est sa place et avec qui il doit travailler. Dans un cadre professionnel, s’il est important de créer des liens respectueux avec les gens qui nous entourent. Il est tout aussi primordial de savoir faire la distinction entre privé et public pour que l’un n’empiète pas sur le bien-être de l’autre. Il ne faut cependant nier le fait que les métiers de créations puisent source d’inspiration là où nos pensées vagabondent, aussi intimes soient-elles. De plus, de bonnes relations assurent une meilleure confiance en soi et en son travail. Cela ouvre le dialogue et enrichi toutes productions. L’environnement social au travail révèle aussi notre place en société et sous-entend notre estime de soi. Il faut alors que tout soit mis à disposition pour que les liens se créent et que respect se garde. Tout cela tient d’une organisation humaine et hiérarchique établie, pour que chacun, que ce soit employés ou employeurs y trouvent bien-être et plaisir.

_ Conclusion

L’enjeu majeur de ces environnements est leur appropriation, et par là, l’appropriation du lieu et de tout ce qu’il engendre. Puisque dans chacun de ces stages, il m’a fallut m’adapter, apprendre et travailler en conséquent, que ce soit dû à l’espace, à l’accessibilité des outils, ou bien même les personnes qui m’entouraient. Pour chacun d’eux, et dans quel lieu que ce soit, il est évident que plus le temps passe, plus on y évolue, mieux on s’y adapte. L’habitude commence à se former, et par là la confiance et les initiatives se renforcent. C’est alors que le corps apprend à mieux se positionner. Les circulations sont plus souples, plus sures dès lors où nous savons où chercher et trouver l’information.

L’environnement a alors des conséquences importantes sur la prise d’initiatives. En effet s’adapter à un lieu, c’est s’adapter à son mode de vie. Il convient de savoir le rôle qu’on y joue, et ce qu’on doit y apporter. Chez IKKS, une fois connue où aller chercher telle ou telle information, auprès de qui, je suis devenue plus sûre dans mon travail et plus régulière. Par la connaissance de l’espace, je suis aussi devenue davantage autonome. Ce qui a été quelque peu différent chez Tee Of Life puisque tout ce processus s’est déroulé plus vite. Dû à la petite structure, les informations ont été moins nombreuses à retenir.

Soulevons alors qu’il est important d’amener un cadre de confiance dans un environnement de travail pour que chacun puisse y évoluer avec sûreté. La prise d’initiative s’effectue mieux une fois que le cadre est devenu plus familier, et cela s’accompagne humainement et matériellement. Les habitudes deviennent des certitudes, et l’investissement grandi tant d’un point de vue professionnel que social. Les gestes deviennent plus sûres et rapides. Cependant, tout cela ne peut se faire que dans un cadre adapté. Si l’un des aspects environnementaux ne répond pas à une des demandes, tout l’environnement global du travail peut être entravé.

Pour qu’un bon apprentissage se fasse, retenons ces aspects là : une bonne organisation de l’espace favorise une meilleure communication, de meilleures conditions physiques, et de meilleures conditions de concentration. L’accessibilité des outils et des matériaux offre de meilleures connaissances ce qui permet une meilleure productivité et rapidité dans le processus de création. Un bon environnement social est primordial pour que collaboration soit faites, y instaurer le respect et la confiance. Ces enjeux permettent une bonne appropriation du lieu de travail qui entraîne des prises d’initiatives considérables en vue d’améliorer sa qualité de travail et de vie.

05 Conclusion

_ La Pédagogie et le graphisme

L’École est un sujet qui fait débat. C’est pourquoi j’ai voulu mettre en lumière certains enjeux qu’elle doit prendre en compte, en mettant sur le même plan ces trois aspects pédagogiques : l’apprentissage de l’abstraction, l’expérimentation et l’affect. En prenant cette orientation il m’a semblée important de souligner qu’aujourd’hui il ne s’agit plus seulement d’apprendre aux élèves, mais de leur apprendre à apprendre. Toutefois, réfléchir sur son propre cheminement cognitif est chose complexe surtout à un âge où l’on découvre son corps et l’on continue de développer ses images mentales. L’accompagnement dans les activités à la fois cognitive et sensorielle est primordial pour aider l’enfant à construire un équilibre. Ses expériences, croisées selon les différents enjeux évoqués, le conduisent au même objectif : l’amener à grandir en développant ses outils intellectuels, son esprit critique et son autonomie. Les méthodes sont différentes pour y arriver. L’erreur est de s’en tenir uniquement à la même. Or, le fait est que nous ne réfléchissons pas tous en utilisant les même procédés cognitifs et n’avons pas la même sensibilité et ce, dès notre naissance. Chaque individu expérimente à sa manière et retire un jugement personnel. Nous ne somme pas naturellement conditionné puisque notre cognition influence nos émotions et vice-versa.
Ces interrelations agissent sur les processus d’apprentissage. Elles sont à prendre en compte pour pouvoir proposer un enseignement adapté au développement personnel de l’enfant. C’est pourquoi certains pédagogues s’accordent à dire que l’École doit s’adapter aux élèves et non plus l’inverse. Mais prendre en compte les élèves dans leur individualité tout en proposant un apprentissage commun n’est pas chose simple. L’enseignant doit alors opérer comme médiateur entre le savoir et l’élève. Il accompagne l’enfant dans ses activités en cherchant à lui rendre compte de ses approches cognitives par la verbalisation. Il prend alors lui-même conscience des capacités ou difficultés de l’apprenant et agit en fonction. Toutefois, l’enseignant ne peut remplir seul ce rôle qui demande du temps et une attention particulière à chaque élève.

Vers le macroprojet

_ Intentions

Il y a de nombreux principes que j’aimerais mettre en œuvre dans ce projet afin d’amener l’enfant à construire ou renforcer ses images mentales pour apprendre et comprendre l’abstraction des mathématiques. Mais il faut veiller à ne pas proposer des outils trop complexes ne permettant pas à l’élève de comprendre ce qu’il est précisément en train de travailler. L’enjeu majeur de mon projet est donc d’utiliser le design graphique pour rendre compte de sa métacognition.
Le design graphique auquel je souhaite ajouter le numérique, lui apportant une valeur ajoutée, permet d’offrir de nouvelles dimensions à l’apprentissage. Lors de mes différents entretiens, les enseignantes m’ont affirmée l’importance de l’image, quelle que soit sa forme, dans l’enseignement, à la fois comme soutien et support attractifs. Le bulletin officiel du programme de l’école maternelle de 2015 le dit lui-même « Les plus jeunes s’appuient fortement sur ce qu’ils perçoivent visuellement pour maintenir les informations en mémoire ... » 1. Les maîtresses m’ont aussi confirmée combien les enfants sont attirés par le numérique et apprécient la sensation d’autonomie qu’il leur procure. L’autonomie est renforcée par le retour d’information directe produite par l’intermédiaire du numérique. L’enjeu qui s’impose ensuite est l’utilisation faite du numérique. Celui-ci doit contribuer à rendre actif l’enfant dans son apprentissage et ne pas diminuer ses réceptions sensorielles. Comme me l’a soulignée la psychologue pour enfant, ce dernier a besoin de toucher et sentir par tous les membres de son corps et ses sens pour assimiler des sensations, créatrices et contributives d’images mentales.

En prenant compte de ces différents aspects cognitifs et cliniques, je dois penser un objet manipulable et stimulant par, et pour, le corps et l’esprit. Pensé comme un objet connecté, j’aimerais proposer un dispositif accompagnant l’enfant à produire et comprendre son propre savoir.

Souhaitant travailler le domaine des mathématiques, il s’agit ensuite d’appréhender la manière dont l’enfant se familiarise avec les nombres et comment un objet peut l’aider à former des concepts et images mentales. Comme le programme de l’école maternelle le stipule, apprendre à l’école c’est « remobiliser en permanence les acquis antérieurs pour aller plus loin. » 2. Mon souhait, à proprement dit, est d’utiliser le design graphique et le numérique pour amener les enfants à aller plus loin dans leur apprentissage avec de nouveaux outils.

Conceptualisation

Jean-Pierre Kahane le dit « La mathématique est une langue universelle. » 3. Elle permet de passer d’une appréhension de la réalité à une représentation organisée. Cela passe par une anticipation, une organisation et une rationalisation.

En fin de maternelle un enfant doit avoir acquis un certain nombre d’objectif comme l’usage cardinal ou ordinal des nombres. L’usage cardinal exprime une quantité, l’ordinal exprime une position. Cette capacité aide les enfants à se construire des premiers outils pour structurer leur pensée. Par dénombrement, par comparaison, l’enfant acquiert petit à petit le concept nombre dans ses deux dimensions. Les enseignantes ont indiqué comme primordial de commencer par rendre compte à l’enfant des notions beaucoup ou peu, du plus et du moins, ou du égal. Ils doivent ensuite assimiler que toute quantité s’obtient en ajoutant un à la quantité précédente, ou en enlevant à la quantité supérieure. Il faut aussi qu’ils comprennent que montrer trois doigts n’est pas la même chose que montrer le troisième doigt de la main. L’autre difficulté est la reconnaissance de l’écriture des nombres qui doit être toujours associée à la quantité qu’elle symbolise.
En prenant compte des difficultés rencontrées par les enfants, je dois penser un dispositif répondant aux objectifs visés par les enseignants. Pour ce faire, il est nécessaire de créer des situations de problèmes qui poussent l’élève à la recherche d’une solution. Cette forme de pratique engage des cheminements cognitifs de l’enfant que le design graphique et le numérique peuvent rendre visible et lisible. Ils composent des moyens pour aider l’enfant à rentrer en interaction avec son milieu et obtenir des résultats, perçus sensoriellement, de leurs réflexions et leurs actions.

Le graphisme et le numérique ne doivent pas être utilisés d’un point de vue purement esthétique et attractif. Car comme me l’a dit une des enseignantes « ce n’est pas parce que c’est plus joli que ça marche mieux ». Ils doivent être tous deux fonctionnels par la forme et l’utilisation de l’objet. Ils doivent également pousser l’enfant à l’autonomie lors de sa pratique et l’orienter vers une meilleure prise de recul.

Dispositifs techniques

Pour illustrer mes premières intentions sur l’assimilation du concept du nombre et mettre en évidence les cheminements cognitifs attendus de la part de l’élève, j’ai réalisé une première étape expérimentale par la mise en place d’un dispositif technique. J’ai tout d’abord découpé 3 cubes en bois, utilisés comme pièce à manipuler et représentation d’unité. J’ai ensuite réfléchi à la mise en œuvre d’une interaction entre l’enfant et l’objet qui permettrait de lui rendre compte à la fois de l’unité cardinale et ordinale du nombre par un retour direct d’informations. J’ai donc réalisé un circuit en cuivre relié par un makey-makey1 à un ordinateur. Un makey-makey est un circuit imprimé sur une carte connectée à un ordinateur modifiant ses entrés et ses sorties. Par l’intermédiaire de la carte, il est possible de substituer les touches du clavier à n’importe quel objet conducteur. C’est une plateforme idéale pour créer de l’interactivité à une activité pratique.

En construisant mon circuit à l’aide de scotch en cuivre, j’ai réfléchi à la manière dont je pouvais procéder pour traiter le nombre à la fois dans son ensemble, une quantité, et dans sa position, donnant un sens de lecture. Je me suis intéressée à la manière dont je pouvais utiliser les cubes en bois dans ce circuit et comment leur créer une fonctionnalité interactive. J’ai imaginé les cubes comme les pièces manquantes du circuit auxquelles j’ai collé une bande de scotch de cuivre permettant la conductibilité. Le circuit se décompose donc en 3 temps. Le premier consiste à fermer le circuit par l’intermédiaire d’un des cubes pour que le courant circule dans cette première partie du circuit. Le cube permet en effet de relier la bande de cuivre « terre » à celle correspondant à la touche substituée du clavier. La terre est ce qui permet de connecter et de fermer le circuit avec toutes substitutions. Le circuit se poursuit par connectivité linéaire. Il se ferme progressivement dans un sens de lecture de droite à gauche. Si l’on enlève le cube placé le plus à gauche, il est ouvert et ne conduit plus car plus rien n’est connecté à la terre.
Pour permettre à l’enfant de comprendre et d’identifier l’impact de son action lorsqu’il place l’un des cubes, dans l’emplacement préconisé par des découpes sur un support recouvrant le circuit, j’ai introduit du son. Le circuit fermé enclenche un son. Par l’intermédiaire du logiciel Soundplant, j’ai attribué à trois touches, connectées au circuit par le makey-makey, trois sons. Ces derniers transcrivent respectivement la phonétique des nombres 1, 2 et 3. Par logique, l’emplacement le plus à gauche correspond à la phonétique du chiffre 1, le deuxième emplacement à celle du 2. L’emplacement le plus à droite est celle du 3. Par la structure logique du circuit, on ne peut entendre le deuxième ou troisième son que si le cube permettant l’enclenchement du premier est à son emplacement.
Dans cette mise en place, l’enfant est amené à travailler sur trois dimensions. D’abord le nombre dans son unité ordinale. Pour pouvoir rendre compte de l’interactivité de son activité aidant sa compréhension, il doit placer chaque cube dans un ordre précis : le premier, le deuxième, le troisième, de gauche à droite. Il prend ensuite conscience des quantités. En répétant la même action trois fois, qui intéragit trois fois avec du son, l’élève construit progressivement la «l’itération de l’unité». Il s’agit de rendre compte que trois c’est un, et un et encore un, ou bien deux et encore un. Le son ajoute enfin une troisième dimension interactive. En premier lieu, elle permet à l’enfant de se rendre compte de l’impact de son action, puis d’associer la phonétique à la fois à une quantité, mais aussi une position.

Le projet Smart numbers du collectif Marbotic2 s’inscrit bien, selon moi, dans l’idée d’un objet connecté à but pédagogique. L’enfant est invité à utiliser l’écran d’une autre manière par l’intermédiaire de tampon. Par la technique du multi-touch et d’une application, l’écran interprète chacun des tampons représentant l’écriture des chiffres, ou l’unité de doigt. Cette expérience permet un calcul interactif à la fois sonore et visuel au travers d’une interface graphique et ludique pour les enfants. Par exemple, l’écran va afficher un ensemble d’illustrations représentant des lapins. L’enfant doit venir placer sur sa surface le tampon correspondant à la quantité de lapins présents. Si il se trompe, un effet sonore l’indique. Si il a raison, l’écran s’anime.
Cette manière d’utiliser l’écran permet à l’enfant la manipulation d’objet tangible. Il cherche également la réponse en dehors de l’écran ce qui lui permet de rester dans le réel, dans le concret, tout en pratiquant des activités abstraites.

Je vais pouvoir m’appuyer sur mes premières expérimentations et l’utilisation qui est faite des d’objets connectés et du numérique en pédagogie, comme le propose Marbotic, pour développer davantage ma réflexion. Celle-ci doit s’orienter vers un dispositif technique et interactif adapté au dénombrement et à l’itération. Il faut également que je réfléchisse à un dispositif rendant plus évidente l’action et offrant un meilleur retour d’information. J’aimerais dépasser le stade uniquement sonore concernant l’interactivité en réfléchissant, par exemple, à un générateur d’images. L’enfant doit pouvoir rentrer en interaction avec un dispositif utile pour sa structure cognitive et sa compréhension.

ENTRETIENS



Emmanuelle Griffon

Le Mercredi 17 Février 2016 je me suis entretenue avec Emmanuelle Griffon. Emmanuelle est professeure des écoles et directrice de l’école publique Le petit prince à Beaurepaire en Vendée. Elle enseigne en classe de toute petite section (avant 3 ans), en petite section et moyenne section à des enfants qui ont entre 2 et 4 ans. Elle exerce ce métier depuis 7 ans. J’ai orienté mes questions sur ses avis et pratiques en terme de pédagogie, j’en ai ciblé davantage vers les mathématiques chez les jeunes enfants. Enfin j’ai souhaité avoir son point de vue sur l’apport du numérique et du design graphique en pédagogie.

Tout d’abord, que penses-tu des pédagogies dîtes «actives» ?
C’est primordiale de passer par une pédagogie active puisqu’elle préconise la manipulation et à cet âge un enfant a besoin d’expérimenter par ses sens et de faire plusieurs fois les choses pour les comprendre. Les pratiques induisent également le jeu. En jouant un enfant apprend sans vraiment se rendre compte qu’il est en train d’apprendre et d’assimiler des choses. C’est en verbalisant avec lui ce qu’il est en train de faire qu’il prend conscience du but de ses actions. Il n’y a d’ailleurs pas que les pédagogies actives comme Montessori qui incitent à ce type d’activités. L’Éducation Nationale a rédigé un programme en mars 20151 incitant au jeu pour apprendre. Moi-même je pratique beaucoup d’activités avec les enfants issus de ce type de pédagogie. Je cherche constamment à rendre actif l’enfant que ce soit lors d’activités ou dans l’installation de l’espace pour la mise au travail. À cet âge un enfant a besoin de bouger et faire les choses. C’est pourquoi j’ai mis en place différents moments de rituels où les enfants contribuent collectivement à l’organisation de la classe. Tous les matins on effectue un travail sur le repérage dans le temps tout en passant par le jeu. Par exemple, j’ai attribué une couleur à chaque jour de la semaine. Le lundi correspond à la couleur verte. Un enfant est donc invité à venir vêtir notre peluche mascotte d’une cap verte. On compte également le nombre d’enfants présents et absents. Les plus grands viennent accrocher une pince à linge sur une bande numérique au nombre correspondant aux élèves présents. Les plus jeunes montrent avec leurs doigts le nombre d’absents.

Dans quels types d’activités trouves-tu les enfants plus attentifs ?
Même si la capacité de concentration est relative à chaque enfant, en général ils sont plus attentifs dans les activités les poussant à la manipulation. En moyenne les activités ont une durée de 15 à 20 minutes, le temps moyen où l’enfant va rester attentif à ce qu’il fait. On remarque cependant que plus un enfant grandi, plus sa capacité d’attention augmente.

Comment considères-tu ton rôle auprès des enfants ? Comment lui-même te considère ?
Mon rôle est tout d’abord de préparer et mettre en place les activités. Je dois également trouver des processus pour organiser les différentes étapes progressives pour atteindre l’objectif visé. Durant l’activité mon rôle est d’accompagner l’enfant en l’incitant à la manipulation et la répétition tout en verbalisant ce que nous somme en train de faire. En maternelle, l’enseignant est modélisant pour l’enfant. Il se repose beaucoup sur lui, c’est aussi un soutien pour eux. Nous devons adapter notre langage et attitude à eux. Un bon échange avec les parents est aussi très important. Si l’enfant observe des rapports tendus entre ses parents et son enseignant, la confiance s’installe difficilement et peut être entravée avec ce dernier. Cela influence négativement son apprentissage.

Que penses-tu de l’auto-correction ?
L’auto-correction est importante surtout dans les activités en autonomie. Ça permet pour l’enfant de savoir par lui-même si il a réussi ou non et lui évite de m’interrompre lorsque je suis en activité avec un autre groupe. L’enfant développe davantage son autonomie et est poussé à recommencer instinctivement l’activité en cas d’échec au lieu d’attendre mon intervention. Il y a deux sortes d’activités en autonomie. D’abord il y a celle où l’on réinvesti quelque chose déjà vue ensemble, qu’il a déjà appris avec moi. Cela permet à l’enfant de mettre en place de manière autonome l’activité de A à Z, puisque certaines activités nécessitent quand même une explication préalable pour que l’enfant comprenne comment ça marche. L’autre type d’activité est l’expérimentation par soi-même, où l’enfant apprend par tâtonnement. Par exemple, je propose à l’enfant d’ouvrir un tiroir de manipulation et s’emparer des objets qu’il y trouve pour leur chercher une utilité. C’est le genre d’activité qu’on retrouve chez Montessori. Cependant on garde toujours un œil sur l’enfant et si on le voit trop en difficulté on va l’aider et l’orienter vers l’objectif à atteindre

Penses-tu qu’un enfant qui a davantage confiance en lui est un enfant qui apprend mieux ?
Oui bien sur. Un enfant qui a confiance en lui va plus oser. À l’inverse, un enfant en manque de confiance va être dans l’attente d’une consigne, il ne va pas oser faire de lui-même, surement par peur de se tromper, par peur de ne pas bien faire. En conséquent, il peut être plus à l’aise avec des activités autonomes de réinvestissement.

Quelles relations observes-tu entre les enfants ? Comment évoluent-elles avec le temps ?
À cet âge les enfants sont plutôt égocentriques. Il ne font pas très attention aux autres. Les relations solidaires apparaissent plus en fin de maternelle. Du tutorat peut quand même être mis en place, mais il faut l’induire. Il est rare de voir un élève plus âgé prendre l’initiative d’aller aider un plus jeune en difficulté. Ils ne se jugent pas pour autant entre eux lorsqu’un camarade est en difficulté. Aucune sorte de compétition ne s’installe entre eux.

Quelles sont les premières étapes de familiarisation aux nombres pour les enfants ?
Je commence par travailler avec eux la perception globale de quantité, dire si il y en a beaucoup, pas beaucoup, un peu. Pour se faire j’utilise différents objets, ça peut être des perles par exemple. Ensuite je travaille sur des quantités à trier, de la plus grosse quantité à la plus petite ou vice versa, puis à les comparer. Ensuite il y a l’étape de la décomposition. Pour comprendre un chiffre nous allons toujours le décomposer en partant de un, comme 2 c’est 1 plus un autre 1. Aux plus jeunes je leur fais compter jusqu’à 3. Le plus difficile c’est de leur faire comprendre que 3 ne symbolise pas le dernier objet compté mais bien la quantité d’objets comptés.

Quel matériel utilises-tu pour les mathématiques en maternelle ?
J’utilise divers objets, de tous types. Je vais par exemple utiliser du matériel de pêche à la ligne en leur demandant de pêcher telle quantité de poissons. J’ai également des bandes numériques et des dés. Et puis les doigts aussi.

Apprend-on à un enfant à compter et calculer simultanément ?
Oui en quelques sortes comme je l’expliquais par la décomposition. 3 c’est la quantité 2 et 1 réunies. Il faut toujours chercher à décomposer le nombre pour rendre compte de la quantité.

Quelles sont les difficultés que rencontre un enfant avec les nombres ?
Comme je le disais aussi c’est difficile pour un enfant de prendre conscience que le dernier nombre dit représente la quantité. Compter c’est comme une comptine, un enfant peut savoir compter jusqu’à 20 sans comprendre ce que 20 représente en terme de quantité. Pour certains enfants c’est difficile aussi de synchroniser ce qu’il compte avec le pointage. Ils peuvent passer du 4 au 6 ou bien compter deux chiffres sur le même objet même en le désignant du doigt. L’autre étape difficile pour les enfants c’est de reconnaître l’écriture chiffrée des nombres.

À quoi voit- on qu’un enfant a compris ce qu’il fait et pourquoi il le fait ? Comment l’évalues-tu ?
Lorsqu’il est capable de refaire tout seul et correctement une activité c’est qu’il l’a assimilé. À la fin de chaque activité j’évalue le travail à «l’écrit». En réalité il s’agit d’exercices comme coller le nombre de gommettes demandé. Par exemple, j’avais donné comme exercice de coller des gommettes sur deux colliers, l’un devait en posséder une grande quantité, l’autre peu. Certains élèves ont collé les gommettes dans tous les sens sans rendre compte de la consigne. J’ai revu avec eux si leur réelle difficulté était de comprendre ce qu’est une grande ou petite quantité, ou bien si il avait simplement souhaité exprimer leur esprit artistique... On observe aussi beaucoup de difficultés en règle général chez les enfants chez qui le langage n’est pas bien installé. C’est plus difficile pour eux de rentrer dans l’apprentissage puisqu’ils ont des difficultés à comprendre ce qu’on leur demande et à exprimer leurs difficultés.

Penses-tu qu’un enfant apprend mieux lorsque ses sens sont mis en éveil ?
Oui, à leur âge tout passe par le corps. Par exemple, pour apprendre à faire des ronds je vais d’abord leur montrer des images de manège, de grande roue. Je vais essayer de faire ressortir avec eux l’esprit circulaire, le fait que ça tourne, de ces objets là. Ensuite je leur propose de chanter une comptine sur laquelle nous effectuons une chorégraphie qui implique des mouvements circulaires sur différentes parties de notre corps. Puis j’induis le mouvement circulaire à travers la manipulation d’objets. Il faut chercher à faire vivre par le corps les concepts pour les transposer après.

Possèdes-tu des outils numériques dans tes salles de classes ?
On a des ordinateurs dans les salles de classes de maternelle. On leur apprend à déplacer une souris. Pour les plus grands c’est le clavier. On utilise aussi des logiciels comme Tuxpaint, du dessin numérique, et Puzzmath. Nous avons aussi des vidéoprojecteurs. Les grandes sections ont eux un tableau blanc interactif.

Les enfants sont-ils plus sensibles et attirés par certaines couleurs ou formes ?
Pas de couleurs en particulier, les couleurs vives en générales. Un objet terne et gris n’est pas très attractif pour les enfants. Ils sont davantage attirés par des gros objets, faciles à manipuler. Ils adorent manipuler différentes matières, produire ou entendre différents sons. En règle générale ils aiment beaucoup les jeux de constructions et ceux avec des animaux.

Pour finir, que penses-tu de la place du numérique et du design graphique en pédagogie ?
Je pense que le numérique peut proposer à l’enfant de travailler davantage en autonomie. Le numérique peut permettre de garder en mémoire. Il peut aussi lui permettre de s’autocorriger ou bien lorsqu’il réussie une musique se lance. On peut avoir un retour direct d’informations plus évident avec le numérique. Le numérique est quelque chose qui attire beaucoup les enfants par son aspect vivant, ça produit du son et des mouvements. Ça leur donne aussi l’impression d’être grands grâce à l’autonomie procurée. Malgré tout je pense que l’enseignant ne peut être remplacé, l’enfant a toujours besoin d’explications en amont. En ce qui concerne le design graphique je le considère utile plus en terme de concept que d’esthétisme. Je veux dire, ce n’est pas parce que c’est plus joli que ça fonctionnera mieux. Je pense qu’il peut répondre à des besoins précis de situations, comme des choses qui permettent l’auto-corrections, des réinvestissements ou pour varier. Cela permet de donner à voir et peut aider la compréhension pour l’enfant.

Charlotte Gouet

Le Vendredi 19 février j’ai rencontré Charlotte Gouet pour lui poser quelques questions. Charlotte est psychologue pour enfant et adolescent depuis 2 ans. Cet entretien m’a permis de m’éclairer sur des notions qui m’étaient encore un peu abstraites liées au développement personnel et l’aspect psychologique de la pédagogie.

Premièrement, peux-tu m’expliquer en quoi consiste l’étude du développement personnel chez l’enfant ?
L’étude du développement personnel a pour objectif d’aider l’enfant à comprendre et remédier à ses dysfonctionnements mais aussi de mettre en avant ses aptitudes. C’est un travail qui prend en compte l’environnement et les interaction faîtes avec le milieu dans lequel il vie. C’est à la fois l’aspect clinique et intellectuel qui est étudié pour supprimer certaine pathologie.

Et l’étude des sciences cognitives ?
Les sciences cognitives concernent le fonctionnement intellectuel, ce qui va toucher aux cheminements et aux stratégies mentales liés aux capacités d’apprentissages. Cognitif c’est le cerveau. Tandis que l’aspect clinique par exemple qui est une autre branche de la psychologie concerne l’aspect émotionnel et la personnalité. Mais ces deux aspects psychologiques sont très liés. On peut les étudier séparément, travailler avec un patient uniquement sur le cognitif ou sur le clinique, mais très vite on remarque que l’un et l’autre fonctionnent ensemble et s’influencent mutuellement.

Et la psychologie au sens large ? Quel rôle penses-tu qu’elle joue en pédagogie ?
La psychologie c’est l’étude du comportement humain. C’est très large. On retrouve de la psychologie dans tous les domaines, que ce soit l’éducation, le marketing, le commerce. C’est une étude qui s’appuie sur des faits, bien qu’il y ait toujours une part de suppositions et de subjectivités. Ce n’est pas une science exacte dans le sens où on ne peut pas généraliser l’analyse de l’étude du comportement humain. Chaque être humain est unique. Même si on retrouve souvent des antécédents communs lors de pathologies communes, il y a toujours une exception. Pour moi la pédagogie utilise la psychologie pour amener l’enfant à développer ses connaissances et sa capacité à apprendre.

Enfin, peux-tu m’expliquer le mot «schème» ?
Un schème c’est une structure d’action que l’enfant, où même un adulte, effectue par répétitions et qui va, à force de répétitions, lui créer une image mentale. En fait on parle de schèmes d’action comme le noyau du savoir-faire. Prenons un exemple, le schème de réunion. On propose à un enfant lors de différentes activités de rassembler des objets ou d’assembler des cubes. Par l’intermédiaire de ces expériences l’enfant répète le schème d’action réunion qu’il applique à chaque fois à des nouvelles choses. En créant l’image mentale du schème réunion il va comprendre que si il peut assembler des cubes ensemble, il peut aussi assembler d’autres objets comme les pièces d’un puzzle. C’est la généralisation d’un action adaptable.

On utilise donc constamment des images mentales ?
Oui bien sûr, c’est ce qui nous permet de garder en mémoire. Une image mentale est associée à une représentation mémorisée d’un mot, d’un objet, d’un concept. C’est quelque chose qui se crée et qui se réutilise. Sans image mentale aucune connexion peut se faire entre nos expériences faites. Par exemple, un enfant, qui voit pour la première fois un vélo, va mémoriser l’image objet du vélo et peut-être même le verbaliser si on lui répète le mot vélo. Si cette expérience se répète à chaque fois qu’il voit un vélo, l’enfant va se créer une image mentale d’association entre un objet physique et un mot. Mais ça peut aussi être l’association d’un mot avec une idée, ou d’une idée avec un objet. En fait l’image mentale c’est le début de la formation d’un concept pour le reconnaître. Un enfant qui va avoir du mal à se construire des images mentales aura des difficultés de mémorisation et d’attention.

Comment peut-on évaluer cette capacité à former des images mentales chez un enfant ?
En psychologie clinique on va plutôt utiliser des tests de personnalité comme les tâches du Rorschach ou le TAT1 (Thematic Apperception Test) qui est le test des histoires à raconter à partir d’une image utilisée chez les enfants. En psychologie cognitive ce sont davantage des épreuves sur la mémoire, la logique, la verbalisation, la culture général et la vitesse de traitement. Il existe des tests, comme le WISC 42 qui est un test de quotient intellectuel. Par exemple on interroge l’enfant en quoi le bleu et le rouge se ressemblent. Ce sont des couleurs. Ou bien à partir d’un matériel visuel on leur demande de trouver deux images qui vont ensembles. Ce sont des principes de catégorisation, l’enfant doit établir des rapprochements. On cherche à savoir si il sait ce qu’est une couleur, un fruit ...

Peux-tu m’en dire plus sur le béhaviorisme ?
En psychologie la méthode béhaviorisme est beaucoup utilisée pour des enfants autistes. C’est une méthode beaucoup critiquée car c’est un procédé d’apprentissage par stimulation avec récompense. C’est en quelque sorte ce qu’on utilise pour dresser des animaux. En fait c’est un apprentissage répété, de successions rapides d’actions, qui entraîne quelque chose. Skinner a créé ce qu’on appelle la méthode A.B.A1 pour des enfants autistes. En pédagogie le béhaviorisme peut être une méthode utilisée mais les enseignants doivent y être formés. Comme je le disais, je pense que c’est davantage une pratique psychologique pour aider les enfants autistes bien que des parents soient contre le système de récompense.

Concernant le processus d’apprentissage chez un enfant, peux-tu m’expliquer pourquoi un enfant a-t-il besoin d’apprendre par le corps ?
C’est lié au schéma corporel. Il faut que l’enfant prenne conscience de ses membres. Il doit intégrer son schéma corporel pour prendre conscience de l’espace environnant. Lorsqu’on demande de dessiner des formes à des enfants pour qui le schéma corporel n’est pas bien ou même pas du tout intégré , il ne se passe rien. En fait tout est une question de sensations qui passe par la découverte de leur corps. C’est pourquoi un enfant n’est ni instinctivement gaucher ou droitier à sa naissance. C’est en développant son schéma corporel qu’il développe sa latéralité manuelle.

Pourquoi est-il important de développer les sens chez l’enfant ?
Les sens viennent renforcer le développement intellectuel et clinique. Le sens du toucher pour les sensations et celui du goût pour le stade oral sont primordiaux. Par exemple, l’enfant qui ne mange pas de légumes et n’en a pas fait l’expérience, croit que les frites poussent dans les arbres. L’expérience par les sens contribue aussi à renforcer leurs connaissances culturelles. Le son aussi est important. Lorsqu’on étudie et travaille la reconnaissance ou connaissance des animaux, rajouter le bruit de l’aboiement du chien par exemple ajoute un nouvel élément à l’image mentale du chien pour l’enfant. En fait les sens viennent créer l’image mentale.

Pourquoi l’enfant a-t-il besoin de jouer ?
Pour se créer un imaginaire. C’est primordial pour un enfant. Généralement les enfants qui ont des troubles du sommeil ou de l’alimentation, sont des enfants qui ne savent pas jouer. Cela peut être parce qu’ils n’ont pas été habitués à rester avec des jouets. Aujourd’hui il y a aussi le soucis des écrans. Un écran c’est en 2d, un enfant ne peut pas le manipuler, le mettre dans sa bouche, ce qui restreint le développement de son schéma corporel. Il y a aussi des enfants qui ne savent pas jouer tout seul. Il faut donc les accompagner, leur proposer des jeux de construction ou des jeux de «vie quotidienne» comme la dînette, ou une mallette de docteur. Le jeu permet d’alimenter leurs images mentales et leurs connaissances. L’enfant va aussi poser des questions. Sur l’aspect plus clinique du jeu, on trouve le travail de Donald Winnicott, entre jeu et réalité, avec l’objet transitionnel2.

Penses-tu qu’il y a des différences entre un apprentissage pour le jeu et un apprentissage plus classique ?
Oui il y en a forcement. J’ai des enfants en difficulté scolaire avec qui je travaille à partir du jeu comme des petites activités ludiques ou des jeux de société. Cette approche de l’apprentissage par le jeu est beaucoup appréciée chez ces enfants qui pour certain sont proches de la phobie scolaire. C’est une manière de rendre ludique les mathématiques, le français, et d’aborder les choses d’une autre manière. Souvent ces enfants me disent qu’ils n’ont pas l’impression d’apprendre. C’est une façon de détourner le processus d’apprentissage. Cependant l’apprentissage par le jeu est une procédure plus longue. Ce n’est pas en faisant une partie du tangram, un jeux chinois, que l’enfant va acquérir le concept des formes immédiatement. Le jeu est une sorte de complément.

Dans quels types d’activités trouves-tu les enfants plus attentifs ?
Dans des activités comme celles des jeux de construction, et en règle générale, tout ce qui est propre à la production. L’enfant est davantage attentif que durant un exercice oral. Lors d’un exercice oral un enfant peut plus se disperser car il n’est pas en action. Alors que lorsqu’il produit quelque chose il est plus concentré sur ce qu’il fait, il cherche à s’appliquer.

Penses-tu qu’un enfant qui a davantage confiance en lui est un enfant qui apprend mieux ?
Oui je pense. La plupart des enfants avec qui je travaille ont un manque de confiance en eux et sont en difficultés pour apprendre. Un enfant qui a confiance en lui va être plus attentif à son apprentissage et plus persévérant. Un enfant qui n’a pas confiance en lui répète souvent qu’il n’est pas capable ou qu’il n’y arrivera pas à faire ce qu’on lui demande. La confiance en soi est très importante et c’est tout l’environnement dans lequel on évolue qui l’influence.

Le milieu culturel et social dont lequel un enfant vit joue donc un rôle dans l’apprentissage de son savoir ?
Oui bien sûr. Un enfant beaucoup stimulé qui a eu la possibilité d’observer et de découvrir beaucoup de choses sera davantage curieux et attentif. Un enfant rendu plus passif par un manque d’activités ou par les écrans par exemple, développe moins de curiosité et moins de goût pour la culture. L’ouverture d’esprit participe à l’apprentissage du savoir.

Quel rôle penses-tu que joue un enseignant auprès de l’enfant ?
On appelle ça un tiers. C’est une personne qui apporte à son développement quelque chose de différent que ses parents peuvent lui apporter. Il ne doit cependant pas remplacer les parents, il vient comme complément. Il lui inclue d’autres valeurs. Un enfant va tester son enseignant. Il comprend très vite les choses à faire ou ne pas faire avec la maîtresse qu’il peut avoir l’habitude de faire avec ses parents. Il assimile finalement que la maîtresse est là pour son apprentissage. Le lien social est différent. Par exemple, pour un enfant autiste cette distinction de lien social est difficile. Je m’occupe d’un jeune autiste en classe de 4ème qui a dit à son enseignante qu’elle était sexy. En pensant bien faire, il a transféré ce qu’il a déjà pu entendre sans avoir conscience des codes sociaux et de ce qu’il peut dire ou non à un professeur.

Pourquoi un jeune enfant est-il égocentrique ?
L’enfant au départ est centré sur lieu. Au fur et à mesure d’être en contact avec les autres il s’ouvre à eux. Pour ce faire il faut qu’il ait d’abord conscience de son propre corps. Parfois les enfants sont violents entre eux sans pour autant chercher à l’être. En fait ils ne comprennent pas que leurs actions sur le corps de l’autre peuvent amener des sensations puisqu’eux-même n’en ont pas fait l’expérience. On remarque également que les enfants ayant été en crèche ou ayant eu l’habitude d’être en contact avec d’autres enfants s’ouvrent plus facilement et rapidement aux autres.

Quels types d’objets attirent davantage les enfants ?
Les objets qui éveillent les sens et les jeux de construction. Sans oublier la couleur. Ils aiment quand les objets sont colorés. Dans mon bureau j’ai des cubes, des jeux Lego, des petites voitures, une mallette de docteur, des puzzles. Majoritairement, les enfants vont tout de suite vers les jeux de constructions. Ils comprennent que une pièce avec une autre pièce construit quelque chose de nouveau. Ils sont actifs dans leur activité. Ils créent et produisent. C’est aussi des jeux où ils se renouvellent sans cesse et qui n’ont pas de fin. Les jeux d’imitations sont aussi importants. On voit souvent les enfants jouer au papa et à la maman, au policier, au docteur. Ces activités permettent de développer leur imaginaire, ils se mettent dans un rôle, mélangent réalité et imaginaire. Les enfants reproduisent ce qu’ils voient et s’appuient sur des personnes qu’ils considèrent comme des repères. C’est à la fois ludique et rassurant pour eux.

Penses-tu qu’il y a des couleurs, des matières auxquelles les enfants sont plus sensibles ?
Principalement des couleurs vives, il ne faut pas qu’elles soient ternes. Les enfants aiment découvrir des matières qui leur procurent de nouvelles sensations. Elles participent aussi au développement du schéma corporel. Les enfants pour qui celui-ci est peu développé supporte moins le contact avec la matière. Si celle-ci lui procure trop de sensations, il se sent agressé et à du mal à gérer. J’effectue des exercices avec une psychomotricienne qui consiste à déplacer une balle sur l’ensemble du corps, sauf les fesses et le sexe, en nommant chaque partie du corps. Nous proposons à l’enfant deux types de balles, une lisse et douce, une autre à picots. Les enfants pour qui le schéma corporel n’est pas intégré choisissent principalement la balle lisse car elle leur procure moins de sensation à la fois.

Que penses-tu de la place du design graphique en pédagogie ?
Le design graphique accompagne l’enfant dans son apprentissage. Par exemple dans les livres scolaires, on trouve souvent une mascotte. Elle fait office de référent auprès de l’enfant, lui donne un repère. C’est un compagnon d’apprentissage. Leur offrir des activités où il pratique le graphisme est important aussi. En psychologie le dessin est un moyen pour l’enfant de se projeter inconsciemment et de raconter des histoires. Le dessin traduit parfois ce qu’il pense.

En prenant un exemple plus précis d’éléments graphiques, peux-tu m’expliquer pourquoi les typographies utilisés dans les jeux ou sur les packaging pour enfant sont-elles si «rondes» et «souples» ?
En effet, la typographie destinée aux objets pour enfants sont très rondes. Je pense que cela leur rappelle la forme du cercle, du cercle fermé, lié au ventre de la mère. C’est fermé, c’est sécurisant. Un livre à la typographie ronde va rassurer l’enfant. Elle lui rappelle quelque chose qui connaît, comme des formes déjà vues avec sa maîtresse. C’est aussi et encore lié aux sensations. Un rond ça n’a pas d’angles comme le carré. Or un angle c’est pointu, ça pique, ça fait mal. Ce sont des processus inconscients liés à l’expérience du corps qui influencent le jugement des enfants.

Enfin que penses-tu du numérique pour le développement personnel de l’enfant ?
Je ne suis pas contre du tout mais il ne faut pas proposer que ça à l’enfant. C’est important que l’enfant manipule des objets en 3D. Il les mène à sa bouche pour développer le stade oral lié à la sphère orale qui lui procure du plaisir et des sensations. Le premier plaisir de l’enfant c’est la succion, du seins de sa mère, de ses doigts ou d’un objet. Il a besoin de manipuler. Le numérique permet aussi d’autre moyen de communication et offre de nouvelles manières d’apprendre. Je pense cependant que l’enfant doit être encadré dans son approche avec le numérique.

L’objet connecté pour être un bon intermédiaire alors ?
Oui je pense, il permet la mixité entre le tangible et le numérique. Cela peut être un moyen pour aller plus loin dans l’action et comprendre mieux les choses.

Dominique Leclerc

Le lundi 22 janvier 2016 je suis allée rendre visite aux grandes sections de l’école maternelle publique Parmentier, en REP+, située au cœur du quartier de Belsunce à Marseille. Dominique Leclerc m’a accueillie chaleureusement et j’ai pu assister à leur dernière heure de classe destinée à un temps de lecture. Malgré quelques agitations, j’ai constaté une bonne capacité d’écoute des élèves et le soin particulier donné par la maîtresse à l’intonation pour rendre la lecture plus attractive. Après avoir dit au revoir aux enfants, je me suis entretenue avec Dominique qui enseigne depuis une trentaine d’années.

Tout d’abord, que pensez-vous des pédagogies dîtes «actives» ?
Les pédagogies actives sont intéressantes puisqu’elles placent l’enfant au centre de l’apprentissage. Mais elles sont difficiles à mettre en œuvre. Le matériel est compliqué à acquérir et dans nos classes nous manquons de place pour des activités impliquant le déplacement du corps dans l’espace. Nous avons aussi beaucoup d’élèves par classe qui rend difficile ce type de pratique. De plus, ce genre de pédagogie demande du temps et une formation que nous n’avons pas. En Finlande par exemple les enseignants sont formés à différentes méthodes d’apprentissage. Ils adaptent ces méthodes en fonction de la réceptivité à l’apprentissage de chaque élève. Les enfants sont plus libres de leurs activités et de leurs mouvements. Seulement, ils ne sont que 15 dans la classe. Ils ne sont pas évalués non plus. C’est considéré comme une perte de temps et génère du stress. L’éducation se base sur un climat de confiance. Ce qui n’est pas le cas en France où l’Éducation Nationale est sur un système d’évaluation et de jugement. Un plus petit effectif d’élèves permettrait également davantage de place dans la classe, moins de bruit et me donnerait plus de temps à consacrer pour chacun. L’idéal serait d’individualiser les apprentissages.

Dans quels types d’activités trouvez-vous les enfants plus attentifs ?
Ils sont attentifs et plus calmes lors d’activités de lecture où il m’écoutent lire une histoire. À condition bien sûr qu’ils comprennent et parlent le français. Certains élèves immigrés arrivent dans nos classes et ne parlent pas un mot français. C’est forcement plus difficile pour eux. Ils sont aussi très attentifs dans les activités d’arts plastiques, les jeux de construction ou les puzzles. Mais ils sont plus bruyants. Ils sont très actifs également dans les activités où l’on chante.

Comment considérez-vous votre rôle auprès des enfants ? Comment lui-même vous considère ?
Je les amène à grandir et à être autonome. Je leur donne les bases de leur apprentissage. Chez nous pour commencer c’est l’oral, encore plus ici comme certains élèves ne parlent pas la langue française en arrivant. Je dois installer un climat de confiance et leur offrir un lieu où ils se sentent bien. Pour cela nous organisons des projets humanistes comme le PRODAS, initié par le planning familiale. C’est un programme de développement affectif et social. Il provient du Canada. Il vise à pousser les enfants à prendre la parole, à s’exprimer sur leurs ressentis. J’organise ces activités en demi-groupe : un groupe de gros parleurs, l’autre de petits parleurs. Elles comprennent trois grands principes : la conscience de soi, la réalisation de soi et les interactions sociales. Lors de ces activités, les élèves sont plus dans la parole, moins dans le geste. Il est question de parler, reformuler et écouter. Mon rôle lors de ces activités est de pousser les enfants à exprimer leurs ressentis et développer leur vocabulaire. Je dois également leur donner un cadre et énoncer les règles. J’essaye d’installer un climat de confiance pour qu’ils apprennent à mieux se connaître entre eux.

Que pensez-vous de l’auto-correction ?
J’en pratique peu. Nous mettons souvent en commun tous ensemble. C’est un temps où l’on regarde, on observe et commente. Sinon je vérifie par moi-même. Le problème est que j’ai peu de temps pour le faire sur le moment. L’auto-correction peut être utile dans le vrai-faux. Mais toutes les activités ne fonctionnent pas comme ça. Sur l’ordinateur nous avions un logiciel de jeu mettant en scène un écureuil dans un arbre avec différentes portes d’entrées. Chaque porte symbolisait l’entrée dans un nouveau jeu. Les enfants se promenaient à l’intérieur de jeux visuels. Ils étaient autonomes dans leur activité. Cependant, c’est difficile de laisser les enfants en autonomie. Il faut veiller au calme de chacun. Rendre l’apprentissage autonome est, je pense, une prise de risque qu’il faut savoir gérer. Nous proposons aussi, à chaque élève, un cahier de vie où il colle ses exercices réalisés. Il peut le feuilleter, revenir en arrière. Il peut y voir sa progression.

Pensez-vous qu’un enfant qui a davantage confiance en lui est un enfant qui apprend mieux ?
Oui c’est sûre, un enfant qui a plus confiance en lui apprend mieux. Un enfant qui a confiance en lui va être plus à l’aise avec son corps. Il prend davantage la parole et ses compétences sont meilleures. Mais nous sommes dans un monde de jugement, l’école aussi. Mais les méthodes pédagogiques ont évolué et heureusement! Dans mon école nous ne sommes pas favorables aux évaluations considérées comme des pertes de temps sur le temps d’apprentissages et générant du stress. On cherche davantage à inviter l’enfant à comprendre ce qu’il apprend et pourquoi il l’apprend. Avant il arrivait que l’élève ne sache pas ce qu’on attendait de lui. L’évaluation permet à l’enfant et ses parents d’avoir conscience du contenu énorme des domaines d’apprentissage. On prend le temps de lire le livret personnel de l’élève avec ses parents. Nous orientons l’évaluation de manière positive en formulant le progrès de l’enfant. Car il perd de sa confiance par le jugement des autres, que ce soit ses camarades de classe ou ses parents. Pour éviter un jugement néfaste sur les uns les autres, je répète tous les jours qu’il est possible de se tromper mais qu’on peut recommencer. Se tromper fait avancer les choses. En faisant cela les enfants ont petit à petit moins peur de dire des bêtises et du regard des autres. Et puis il y a la bienveillance ... La bienveillance est la clé de voûte de la confiance !

Quelles relations observes-tu entre les enfants ? Comment évoluent-elles avec le temps ?
Ils sont solidaires, bien qu’ils aiment s’embêter. Au fur et à mesure qu’on avance dans l’année, ils se font tous des copains, même les plus solitaires, et ça leur fait du bien. Ils s’entraident en général. Les relations se construisent dans le jeu, dans la parole, dans le vécu commun, autour de mêmes centres d’intérêts. Elles se font souvent en «miroir». Il y a de la violence parfois. C’est en les incitant à repérer ce qu’ils ressentent et à l’exprimer à l’autre, à dire ce qui s’est passé et comment, que la tension va se dénouer avec demande de réparation : excuse, aide, un mot réconfortant... On les invite à verbaliser le plus possible .

Quelles sont les premières étapes de familiarisation aux nombres pour les enfants ?
Tout d’abord se compter dans le rituel du matin. Nous comptons les présents, les absents. Pour compter ils utilisent les doigts. Par correspondance les enfants montrent du doigt ce qu’ils comptent ou la constellation des dés. Ils rassemblent des éléments, les interprètent de manière chiffrée, avec les dés et les doigts. Il faut que l’enfant mémorise la constellation des dés comme par exemple : les 4 points c’est 4 éléments ensemble. Cependant, si les enfants, en fin de grande section, effectuent la comptine numérique jusqu’à 30, cela ne veut pas dire qu’ils sachent quantifier le nombre 30. Ils sont capables de dénombrer des plus petites quantités.

Quel matériel utilisez-vous pour les mathématiques en maternelle ?
Nous avons les «mathoeufs», ceux sont des éléments à assembler pour créer des personnages. Il y a aussi des jeux de société. Il existe aussi des albums à compter de Rémi Brissiaud que j’aime beaucoup. Pour exemple, nous avons sur une double page deux pingouins sur la banquise, un autre dans une barque. En cachant l’une des pages je demande aux enfants combien il y avait de pingouins et de déduire le nombre de pingouins cachés. Cela permet de travailler de façon très imagé la décomposition et stimule la mémorisation. Mes collègues et moi fabriquons également souvent des jeux offrant des manipulations ludiques très importantes pour les élèves.

Apprend-on aux enfants à compter et calculer simultanément ?
Oui c’est possible en décomposant le chiffre par exemple. On peut montrer un doigt avec une main, deux sur l’autre main, et lui demander le nombre de doigts au total. Mais il faut que l’enfant est conscience aussi du plus et du moins. Lorsque le matin nous avons 14 présents et 13 absents c’est difficile pour les petits de savoir si il manque plus d’élèves qu’il y en a. Pour travailler cette notion de plus, moins ou autant j’utilise un jeu de carte sur la taille des animaux. Quel est le plus grand ? Lorsque c’est perçu visuellement c’est plus facile pour eux. Lorsque c’est vécu par les sens et le corps aussi.

Quelles sont les difficultés que rencontre un enfant avec les nombres ?
Tout d’abord dans l’écriture, il écrit les nombres à l’envers. Puis rythmiquement il n’énonce pas le chiffre exacte lorsqu’il compte en même temps qu’il montre du doigt. On lui apprend d’abord à compter avec le geste avant de n’utiliser que les yeux. Il est important également qu’il comprenne le sens de lecture et surtout qu’il s’organise spatialement pour compter de manière juste : sans oublier un élément, sans compter le même plusieurs fois. Nous devrions aussi travailler davantage la résolution de problème qui incite les enfants à trouver des solutions. Comme par exemple mettre en place un exercice consistant à placer 9 bouteilles dans un espace, 12 bouchons dans un autre et leur demander si chaque bouteille à son bouchon. Il s’agit de les mettre en situation de recherche.

À quoi voit- on qu’un enfant a compris ce qu’il fait et pourquoi il le fait ? Comment l’évalues-tu ?
En l’évaluant, en l’observant. Mais j’ai très peu de moment où je peux observer et c’est très frustrant. Je ne peux donc pas toujours savoir comment il s’y est pris pour effectuer l’exercice. Par exemple pour le tracer des lettres dans le bon sens. Ce n’est que lorsqu’ils écrivent au tableau que je constate si oui ou non les enfants ont adopté le geste et comment ils promènent leur bras. Dans le travail d’écriture la posture est importante. La motricité fine aussi mais elle est plus difficile à observer.

Penses-tu que les enfants apprennent mieux lorsque ses sens sont mis en éveil ?
Oui bien sûr, ça passe par ça. Ils acquièrent la conscience de soi. Les sens sont beaucoup sollicités en petite et moyenne section.

Possèdes-tu des outils numériques dans tes salles de classes ?
Nous avons un ordinateur qui fonctionne encore mais qui est vraiment trop vieux. J’espère en avoir bientôt un autre. Nous avons aussi un vidéoprojecteur pour l’ensemble de l’école.

Les enfants sont-ils plus sensibles et attirés par certaines couleurs ou formes ?
Le rose pour les filles. Nous enlevons parfois même les feutres roses car elles ne choisissent qu’eux. Ils aiment le bleu, le rouge, le jaune, les couleurs vives. Pour les formes, aucune en particulier. Ou peut-être le rond qu’ils ont parfois plus utilisé depuis la maternelle.

Pour finir, que penses-tu de la place du numérique et du design graphique en pédagogie ?
Je pense que le numérique peut être quelque chose de bien. J’utilisais les ordinateurs lorsque j’en avais encore 3. C’était très ludique pour les enfants. Les algorithmes, comme enfiler des formes, des perles, étaient plus attractifs par le numérique. De plus les enfants aiment travailler avec le numérique. C’est une autre manière d’utiliser un écran,. Ils sont plus actifs que lorsqu’ils l’utilisent de manière passive à la maison. Lorsque nous avions les ordinateurs, les enfants pouvaient écrire en lettre capitale avec le clavier et imprimer en script. Le numérique permet la correspondance des alphabets. Les enfants sont attirés par le numérique et je trouve ça normal à notre époque d’être équipé d’outils numériques. En terme de graphisme, l’image est très importante chez l’enfant. Par exemple j’utilise les méthodes phono et catégo. Cela consiste à s’appuyer sur des images et en faire des catégories. Par exemple, un signe particulier représente la syllabe. Lorsque le signe est rouge celui-ci indique qu’il s’agit de la syllabe du mot à garder en mémoire et la retrouver ensuite dans d’autres mots. Les enfants aiment bien avoir des images à eux et les manipuler. Nous travaillons aussi sur l’association du son-image. Par exemple je leur demande de me trouver des images où l’on entend le son «co». Les enfants aiment ce type d’exercice et le font volontiers puisqu’ils s’appuient sur des supports images. Il faut aussi varier les objets pour leur permettre différentes manipulations.