Vers le macroprojet
_ Intentions
Il y a de nombreux principes que j’aimerais mettre en œuvre dans ce projet afin d’amener l’enfant à construire ou renforcer ses images mentales pour apprendre et comprendre l’abstraction des mathématiques. Mais il faut veiller à ne pas proposer des outils trop complexes ne permettant pas à l’élève de comprendre ce qu’il est précisément en train de travailler. L’enjeu majeur de mon projet est donc d’utiliser le design graphique pour rendre compte de sa métacognition.
Le design graphique auquel je souhaite ajouter le numérique, lui apportant une valeur ajoutée, permet d’offrir de nouvelles dimensions à l’apprentissage. Lors de mes différents entretiens, les enseignantes m’ont affirmée l’importance de l’image, quelle que soit sa forme, dans l’enseignement, à la fois comme soutien et support attractifs. Le bulletin officiel du programme de l’école maternelle de 2015 le dit lui-même « Les plus jeunes s’appuient fortement sur ce qu’ils perçoivent visuellement pour maintenir les informations en mémoire ... » 1. Les maîtresses m’ont aussi confirmée combien les enfants sont attirés par le numérique et apprécient la sensation d’autonomie qu’il leur procure. L’autonomie est renforcée par le retour d’information directe produite par l’intermédiaire du numérique. L’enjeu qui s’impose ensuite est l’utilisation faite du numérique. Celui-ci doit contribuer à rendre actif l’enfant dans son apprentissage et ne pas diminuer ses réceptions sensorielles. Comme me l’a soulignée la psychologue pour enfant, ce dernier a besoin de toucher et sentir par tous les membres de son corps et ses sens pour assimiler des sensations, créatrices et contributives d’images mentales.
En prenant compte de ces différents aspects cognitifs et cliniques, je dois penser un objet manipulable et stimulant par, et pour, le corps et l’esprit. Pensé comme un objet connecté, j’aimerais proposer un dispositif accompagnant l’enfant à produire et comprendre son propre savoir.
Souhaitant travailler le domaine des mathématiques, il s’agit ensuite d’appréhender la manière dont l’enfant se familiarise avec les nombres et comment un objet peut l’aider à former des concepts et images mentales. Comme le programme de l’école maternelle le stipule, apprendre à l’école c’est « remobiliser en permanence les acquis antérieurs pour aller plus loin. » 2. Mon souhait, à proprement dit, est d’utiliser le design graphique et le numérique pour amener les enfants à aller plus loin dans leur apprentissage avec de nouveaux outils.
Conceptualisation
Jean-Pierre Kahane le dit « La mathématique est une langue universelle. » 3. Elle permet de passer d’une appréhension de la réalité à une représentation organisée. Cela passe par une anticipation, une organisation et une rationalisation.
En fin de maternelle un enfant doit avoir acquis un certain nombre d’objectif comme l’usage cardinal ou ordinal des nombres. L’usage cardinal exprime une quantité, l’ordinal exprime une position. Cette capacité aide les enfants à se construire des premiers outils pour structurer leur pensée. Par dénombrement, par comparaison, l’enfant acquiert petit à petit le concept nombre dans ses deux dimensions. Les enseignantes ont indiqué comme primordial de commencer par rendre compte à l’enfant des notions beaucoup ou peu, du plus et du moins, ou du égal. Ils doivent ensuite assimiler que toute quantité s’obtient en ajoutant un à la quantité précédente, ou en enlevant à la quantité supérieure. Il faut aussi qu’ils comprennent que montrer trois doigts n’est pas la même chose que montrer le troisième doigt de la main. L’autre difficulté est la reconnaissance de l’écriture des nombres qui doit être toujours associée à la quantité qu’elle symbolise.
En prenant compte des difficultés rencontrées par les enfants, je dois penser un dispositif répondant aux objectifs visés par les enseignants. Pour ce faire, il est nécessaire de créer des situations de problèmes qui poussent l’élève à la recherche d’une solution. Cette forme de pratique engage des cheminements cognitifs de l’enfant que le design graphique et le numérique peuvent rendre visible et lisible. Ils composent des moyens pour aider l’enfant à rentrer en interaction avec son milieu et obtenir des résultats, perçus sensoriellement, de leurs réflexions et leurs actions.
Le graphisme et le numérique ne doivent pas être utilisés d’un point de vue purement esthétique et attractif. Car comme me l’a dit une des enseignantes « ce n’est pas parce que c’est plus joli que ça marche mieux ». Ils doivent être tous deux fonctionnels par la forme et l’utilisation de l’objet. Ils doivent également pousser l’enfant à l’autonomie lors de sa pratique et l’orienter vers une meilleure prise de recul.
Dispositifs techniques
Pour illustrer mes premières intentions sur l’assimilation du concept du nombre et mettre en évidence les cheminements cognitifs attendus de la part de l’élève, j’ai réalisé une première étape expérimentale par la mise en place d’un dispositif technique. J’ai tout d’abord découpé 3 cubes en bois, utilisés comme pièce à manipuler et représentation d’unité. J’ai ensuite réfléchi à la mise en œuvre d’une interaction entre l’enfant et l’objet qui permettrait de lui rendre compte à la fois de l’unité cardinale et ordinale du nombre par un retour direct d’informations. J’ai donc réalisé un circuit en cuivre relié par un makey-makey1 à un ordinateur. Un makey-makey est un circuit imprimé sur une carte connectée à un ordinateur modifiant ses entrés et ses sorties. Par l’intermédiaire de la carte, il est possible de substituer les touches du clavier à n’importe quel objet conducteur. C’est une plateforme idéale pour créer de l’interactivité à une activité pratique.
En construisant mon circuit à l’aide de scotch en cuivre, j’ai réfléchi à la manière dont je pouvais procéder pour traiter le nombre à la fois dans son ensemble, une quantité, et dans sa position, donnant un sens de lecture. Je me suis intéressée à la manière dont je pouvais utiliser les cubes en bois dans ce circuit et comment leur créer une fonctionnalité interactive. J’ai imaginé les cubes comme les pièces manquantes du circuit auxquelles j’ai collé une bande de scotch de cuivre permettant la conductibilité. Le circuit se décompose donc en 3 temps. Le premier consiste à fermer le circuit par l’intermédiaire d’un des cubes pour que le courant circule dans cette première partie du circuit. Le cube permet en effet de relier la bande de cuivre « terre » à celle correspondant à la touche substituée du clavier. La terre est ce qui permet de connecter et de fermer le circuit avec toutes substitutions. Le circuit se poursuit par connectivité linéaire. Il se ferme progressivement dans un sens de lecture de droite à gauche. Si l’on enlève le cube placé le plus à gauche, il est ouvert et ne conduit plus car plus rien n’est connecté à la terre.
Pour permettre à l’enfant de comprendre et d’identifier l’impact de son action lorsqu’il place l’un des cubes, dans l’emplacement préconisé par des découpes sur un support recouvrant le circuit, j’ai introduit du son. Le circuit fermé enclenche un son. Par l’intermédiaire du logiciel Soundplant, j’ai attribué à trois touches, connectées au circuit par le makey-makey, trois sons. Ces derniers transcrivent respectivement la phonétique des nombres 1, 2 et 3. Par logique, l’emplacement le plus à gauche correspond à la phonétique du chiffre 1, le deuxième emplacement à celle du 2. L’emplacement le plus à droite est celle du 3. Par la structure logique du circuit, on ne peut entendre le deuxième ou troisième son que si le cube permettant l’enclenchement du premier est à son emplacement.
Dans cette mise en place, l’enfant est amené à travailler sur trois dimensions. D’abord le nombre dans son unité ordinale. Pour pouvoir rendre compte de l’interactivité de son activité aidant sa compréhension, il doit placer chaque cube dans un ordre précis : le premier, le deuxième, le troisième, de gauche à droite. Il prend ensuite conscience des quantités. En répétant la même action trois fois, qui intéragit trois fois avec du son, l’élève construit progressivement la «l’itération de l’unité». Il s’agit de rendre compte que trois c’est un, et un et encore un, ou bien deux et encore un. Le son ajoute enfin une troisième dimension interactive. En premier lieu, elle permet à l’enfant de se rendre compte de l’impact de son action, puis d’associer la phonétique à la fois à une quantité, mais aussi une position.
Le projet Smart numbers du collectif Marbotic2 s’inscrit bien, selon moi, dans l’idée d’un objet connecté à but pédagogique. L’enfant est invité à utiliser l’écran d’une autre manière par l’intermédiaire de tampon. Par la technique du multi-touch et d’une application, l’écran interprète chacun des tampons représentant l’écriture des chiffres, ou l’unité de doigt. Cette expérience permet un calcul interactif à la fois sonore et visuel au travers d’une interface graphique et ludique pour les enfants. Par exemple, l’écran va afficher un ensemble d’illustrations représentant des lapins. L’enfant doit venir placer sur sa surface le tampon correspondant à la quantité de lapins présents. Si il se trompe, un effet sonore l’indique. Si il a raison, l’écran s’anime.
Cette manière d’utiliser l’écran permet à l’enfant la manipulation d’objet tangible. Il cherche également la réponse en dehors de l’écran ce qui lui permet de rester dans le réel, dans le concret, tout en pratiquant des activités abstraites.
Je vais pouvoir m’appuyer sur mes premières expérimentations et l’utilisation qui est faite des d’objets connectés et du numérique en pédagogie, comme le propose Marbotic, pour développer davantage ma réflexion. Celle-ci doit s’orienter vers un dispositif technique et interactif adapté au dénombrement et à l’itération. Il faut également que je réfléchisse à un dispositif rendant plus évidente l’action et offrant un meilleur retour d’information. J’aimerais dépasser le stade uniquement sonore concernant l’interactivité en réfléchissant, par exemple, à un générateur d’images. L’enfant doit pouvoir rentrer en interaction avec un dispositif utile pour sa structure cognitive et sa compréhension.
ENTRETIENS
Emmanuelle Griffon
Le Mercredi 17 Février 2016 je me suis entretenue avec Emmanuelle Griffon. Emmanuelle est professeure des écoles et directrice de l’école publique Le petit prince à Beaurepaire en Vendée. Elle enseigne en classe de toute petite section (avant 3 ans), en petite section et moyenne section à des enfants qui ont entre 2 et 4 ans. Elle exerce ce métier depuis 7 ans.
J’ai orienté mes questions sur ses avis et pratiques en terme de pédagogie, j’en ai ciblé davantage vers les mathématiques chez les jeunes enfants. Enfin j’ai souhaité avoir son point de vue sur l’apport du numérique et du design graphique en pédagogie.
Tout d’abord, que penses-tu des pédagogies dîtes «actives» ?
C’est primordiale de passer par une pédagogie active puisqu’elle préconise la manipulation et à cet âge un enfant a besoin d’expérimenter par ses sens et de faire plusieurs fois les choses pour les comprendre. Les pratiques induisent également le jeu. En jouant un enfant apprend sans vraiment se rendre compte qu’il est en train d’apprendre et d’assimiler des choses. C’est en verbalisant avec lui ce qu’il est en train de faire qu’il prend conscience du but de ses actions.
Il n’y a d’ailleurs pas que les pédagogies actives comme Montessori qui incitent à ce type d’activités. L’Éducation Nationale a rédigé un programme en mars 20151 incitant au jeu pour apprendre. Moi-même je pratique beaucoup d’activités avec les enfants issus de ce type de pédagogie. Je cherche constamment à rendre actif l’enfant que ce soit lors d’activités ou dans l’installation de l’espace pour la mise au travail. À cet âge un enfant a besoin de bouger et faire les choses. C’est pourquoi j’ai mis en place différents moments de rituels où les enfants contribuent collectivement à l’organisation de la classe. Tous les matins on effectue un travail sur le repérage dans le temps tout en passant par le jeu. Par exemple, j’ai attribué une couleur à chaque jour de la semaine. Le lundi correspond à la couleur verte. Un enfant est donc invité à venir vêtir notre peluche mascotte d’une cap verte. On compte également le nombre d’enfants présents et absents. Les plus grands viennent accrocher une pince à linge sur une bande numérique au nombre correspondant aux élèves présents. Les plus jeunes montrent avec leurs doigts le nombre d’absents.
Dans quels types d’activités trouves-tu les enfants plus attentifs ?
Même si la capacité de concentration est relative à chaque enfant, en général ils sont plus attentifs dans les activités les poussant à la manipulation. En moyenne les activités ont une durée de 15 à 20 minutes, le temps moyen où l’enfant va rester attentif à ce qu’il fait. On remarque cependant que plus un enfant grandi, plus sa capacité d’attention augmente.
Comment considères-tu ton rôle auprès des enfants ? Comment lui-même te considère ?
Mon rôle est tout d’abord de préparer et mettre en place les activités. Je dois également trouver des processus pour organiser les différentes étapes progressives pour atteindre l’objectif visé. Durant l’activité mon rôle est d’accompagner l’enfant en l’incitant à la manipulation et la répétition tout en verbalisant ce que nous somme en train de faire.
En maternelle, l’enseignant est modélisant pour l’enfant. Il se repose beaucoup sur lui, c’est aussi un soutien pour eux. Nous devons adapter notre langage et attitude à eux.
Un bon échange avec les parents est aussi très important. Si l’enfant observe des rapports tendus entre ses parents et son enseignant, la confiance s’installe difficilement et peut être entravée avec ce dernier. Cela influence négativement son apprentissage.
Que penses-tu de l’auto-correction ?
L’auto-correction est importante surtout dans les activités en autonomie. Ça permet pour l’enfant de savoir par lui-même si il a réussi ou non et lui évite de m’interrompre lorsque je suis en activité avec un autre groupe. L’enfant développe davantage son autonomie et est poussé à recommencer instinctivement l’activité en cas d’échec au lieu d’attendre mon intervention.
Il y a deux sortes d’activités en autonomie. D’abord il y a celle où l’on réinvesti quelque chose déjà vue ensemble, qu’il a déjà appris avec moi. Cela permet à l’enfant de mettre en place de manière autonome l’activité de A à Z, puisque certaines activités nécessitent quand même une explication préalable pour que l’enfant comprenne comment ça marche. L’autre type d’activité est l’expérimentation par soi-même, où l’enfant apprend par tâtonnement. Par exemple, je propose à l’enfant d’ouvrir un tiroir de manipulation et s’emparer des objets qu’il y trouve pour leur chercher une utilité. C’est le genre d’activité qu’on retrouve chez Montessori.
Cependant on garde toujours un œil sur l’enfant et si on le voit trop en difficulté on va l’aider et l’orienter vers l’objectif à atteindre
Penses-tu qu’un enfant qui a davantage confiance en lui est un enfant qui apprend mieux ?
Oui bien sur. Un enfant qui a confiance en lui va plus oser. À l’inverse, un enfant en manque de confiance va être dans l’attente d’une consigne, il ne va pas oser faire de lui-même, surement par peur de se tromper, par peur de ne pas bien faire. En conséquent, il peut être plus à l’aise avec des activités autonomes de réinvestissement.
Quelles relations observes-tu entre les enfants ? Comment évoluent-elles avec le temps ?
À cet âge les enfants sont plutôt égocentriques. Il ne font pas très attention aux autres. Les relations solidaires apparaissent plus en fin de maternelle. Du tutorat peut quand même être mis en place, mais il faut l’induire. Il est rare de voir un élève plus âgé prendre l’initiative d’aller aider un plus jeune en difficulté. Ils ne se jugent pas pour autant entre eux lorsqu’un camarade est en difficulté. Aucune sorte de compétition ne s’installe entre eux.
Quelles sont les premières étapes de familiarisation aux nombres pour les enfants ?
Je commence par travailler avec eux la perception globale de quantité, dire si il y en a beaucoup, pas beaucoup, un peu. Pour se faire j’utilise différents objets, ça peut être des perles par exemple. Ensuite je travaille sur des quantités à trier, de la plus grosse quantité à la plus petite ou vice versa, puis à les comparer.
Ensuite il y a l’étape de la décomposition. Pour comprendre un chiffre nous allons toujours le décomposer en partant de un, comme 2 c’est 1 plus un autre 1. Aux plus jeunes je leur fais compter jusqu’à 3. Le plus difficile c’est de leur faire comprendre que 3 ne symbolise pas le dernier objet compté mais bien la quantité d’objets comptés.
Quel matériel utilises-tu pour les mathématiques en maternelle ?
J’utilise divers objets, de tous types. Je vais par exemple utiliser du matériel de pêche à la ligne en leur demandant de pêcher telle quantité de poissons. J’ai également des bandes numériques et des dés. Et puis les doigts aussi.
Apprend-on à un enfant à compter et calculer simultanément ?
Oui en quelques sortes comme je l’expliquais par la décomposition. 3 c’est la quantité 2 et 1 réunies. Il faut toujours chercher à décomposer le nombre pour rendre compte de la quantité.
Quelles sont les difficultés que rencontre un enfant avec les nombres ?
Comme je le disais aussi c’est difficile pour un enfant de prendre conscience que le dernier nombre dit représente la quantité. Compter c’est comme une comptine, un enfant peut savoir compter jusqu’à 20 sans comprendre ce que 20 représente en terme de quantité. Pour certains enfants c’est difficile aussi de synchroniser ce qu’il compte avec le pointage. Ils peuvent passer du 4 au 6 ou bien compter deux chiffres sur le même objet même en le désignant du doigt.
L’autre étape difficile pour les enfants c’est de reconnaître l’écriture chiffrée des nombres.
À quoi voit- on qu’un enfant a compris ce qu’il fait et pourquoi il le fait ? Comment l’évalues-tu ?
Lorsqu’il est capable de refaire tout seul et correctement une activité c’est qu’il l’a assimilé.
À la fin de chaque activité j’évalue le travail à «l’écrit». En réalité il s’agit d’exercices comme coller le nombre de gommettes demandé. Par exemple, j’avais donné comme exercice de coller des gommettes sur deux colliers, l’un devait en posséder une grande quantité, l’autre peu. Certains élèves ont collé les gommettes dans tous les sens sans rendre compte de la consigne. J’ai revu avec eux si leur réelle difficulté était de comprendre ce qu’est une grande ou petite quantité, ou bien si il avait simplement souhaité exprimer leur esprit artistique...
On observe aussi beaucoup de difficultés en règle général chez les enfants chez qui le langage n’est pas bien installé. C’est plus difficile pour eux de rentrer dans l’apprentissage puisqu’ils ont des difficultés à comprendre ce qu’on leur demande et à exprimer leurs difficultés.
Penses-tu qu’un enfant apprend mieux lorsque ses sens sont mis en éveil ?
Oui, à leur âge tout passe par le corps. Par exemple, pour apprendre à faire des ronds je vais d’abord leur montrer des images de manège, de grande roue. Je vais essayer de faire ressortir avec eux l’esprit circulaire, le fait que ça tourne, de ces objets là. Ensuite je leur propose de chanter une comptine sur laquelle nous effectuons une chorégraphie qui implique des mouvements circulaires sur différentes parties de notre corps. Puis j’induis le mouvement circulaire à travers la manipulation d’objets. Il faut chercher à faire vivre par le corps les concepts pour les transposer après.
Possèdes-tu des outils numériques dans tes salles de classes ?
On a des ordinateurs dans les salles de classes de maternelle. On leur apprend à déplacer une souris. Pour les plus grands c’est le clavier. On utilise aussi des logiciels comme Tuxpaint, du dessin numérique, et Puzzmath.
Nous avons aussi des vidéoprojecteurs. Les grandes sections ont eux un tableau blanc interactif.
Les enfants sont-ils plus sensibles et attirés par certaines couleurs ou formes ?
Pas de couleurs en particulier, les couleurs vives en générales. Un objet terne et gris n’est pas très attractif pour les enfants.
Ils sont davantage attirés par des gros objets, faciles à manipuler. Ils adorent manipuler différentes matières, produire ou entendre différents sons.
En règle générale ils aiment beaucoup les jeux de constructions et ceux avec des animaux.
Pour finir, que penses-tu de la place du numérique et du design graphique en pédagogie ?
Je pense que le numérique peut proposer à l’enfant de travailler davantage en autonomie. Le numérique peut permettre de garder en mémoire. Il peut aussi lui permettre de s’autocorriger ou bien lorsqu’il réussie une musique se lance. On peut avoir un retour direct d’informations plus évident avec le numérique.
Le numérique est quelque chose qui attire beaucoup les enfants par son aspect vivant, ça produit du son et des mouvements. Ça leur donne aussi l’impression d’être grands grâce à l’autonomie procurée.
Malgré tout je pense que l’enseignant ne peut être remplacé, l’enfant a toujours besoin d’explications en amont.
En ce qui concerne le design graphique je le considère utile plus en terme de concept que d’esthétisme. Je veux dire, ce n’est pas parce que c’est plus joli que ça fonctionnera mieux. Je pense qu’il peut répondre à des besoins précis de situations, comme des choses qui permettent l’auto-corrections, des réinvestissements ou pour varier. Cela permet de donner à voir et peut aider la compréhension pour l’enfant.
Charlotte Gouet
Le Vendredi 19 février j’ai rencontré Charlotte Gouet pour lui poser quelques questions. Charlotte est psychologue pour enfant et adolescent depuis 2 ans.
Cet entretien m’a permis de m’éclairer sur des notions qui m’étaient encore un peu abstraites liées au développement personnel et l’aspect psychologique de la pédagogie.
Premièrement, peux-tu m’expliquer en quoi consiste l’étude du développement personnel chez l’enfant ?
L’étude du développement personnel a pour objectif d’aider l’enfant à comprendre et remédier à ses dysfonctionnements mais aussi de mettre en avant ses aptitudes. C’est un travail qui prend en compte l’environnement et les interaction faîtes avec le milieu dans lequel il vie. C’est à la fois l’aspect clinique et intellectuel qui est étudié pour supprimer certaine pathologie.
Et l’étude des sciences cognitives ?
Les sciences cognitives concernent le fonctionnement intellectuel, ce qui va toucher aux cheminements et aux stratégies mentales liés aux capacités d’apprentissages. Cognitif c’est le cerveau. Tandis que l’aspect clinique par exemple qui est une autre branche de la psychologie concerne l’aspect émotionnel et la personnalité. Mais ces deux aspects psychologiques sont très liés. On peut les étudier séparément, travailler avec un patient uniquement sur le cognitif ou sur le clinique, mais très vite on remarque que l’un et l’autre fonctionnent ensemble et s’influencent mutuellement.
Et la psychologie au sens large ? Quel rôle penses-tu qu’elle joue en pédagogie ?
La psychologie c’est l’étude du comportement humain. C’est très large. On retrouve de la psychologie dans tous les domaines, que ce soit l’éducation, le marketing, le commerce. C’est une étude qui s’appuie sur des faits, bien qu’il y ait toujours une part de suppositions et de subjectivités. Ce n’est pas une science exacte dans le sens où on ne peut pas généraliser l’analyse de l’étude du comportement humain. Chaque être humain est unique. Même si on retrouve souvent des antécédents communs lors de pathologies communes, il y a toujours une exception.
Pour moi la pédagogie utilise la psychologie pour amener l’enfant à développer ses connaissances et sa capacité à apprendre.
Enfin, peux-tu m’expliquer le mot «schème» ?
Un schème c’est une structure d’action que l’enfant, où même un adulte, effectue par répétitions et qui va, à force de répétitions, lui créer une image mentale. En fait on parle de schèmes d’action comme le noyau du savoir-faire.
Prenons un exemple, le schème de réunion. On propose à un enfant lors de différentes activités de rassembler des objets ou d’assembler des cubes. Par l’intermédiaire de ces expériences l’enfant répète le schème d’action réunion qu’il applique à chaque fois à des nouvelles choses. En créant l’image mentale du schème réunion il va comprendre que si il peut assembler des cubes ensemble, il peut aussi assembler d’autres objets comme les pièces d’un puzzle. C’est la généralisation d’un action adaptable.
On utilise donc constamment des images mentales ?
Oui bien sûr, c’est ce qui nous permet de garder en mémoire. Une image mentale est associée à une représentation mémorisée d’un mot, d’un objet, d’un concept. C’est quelque chose qui se crée et qui se réutilise. Sans image mentale aucune connexion peut se faire entre nos expériences faites. Par exemple, un enfant, qui voit pour la première fois un vélo, va mémoriser l’image objet du vélo et peut-être même le verbaliser si on lui répète le mot vélo. Si cette expérience se répète à chaque fois qu’il voit un vélo, l’enfant va se créer une image mentale d’association entre un objet physique et un mot. Mais ça peut aussi être l’association d’un mot avec une idée, ou d’une idée avec un objet. En fait l’image mentale c’est le début de la formation d’un concept pour le reconnaître.
Un enfant qui va avoir du mal à se construire des images mentales aura des difficultés de mémorisation et d’attention.
Comment peut-on évaluer cette capacité à former des images mentales chez un enfant ?
En psychologie clinique on va plutôt utiliser des tests de personnalité comme les tâches du Rorschach ou le TAT1 (Thematic Apperception Test) qui est le test des histoires à raconter à partir d’une image utilisée chez les enfants. En psychologie cognitive ce sont davantage des épreuves sur la mémoire, la logique, la verbalisation, la culture général et la vitesse de traitement. Il existe des tests, comme le WISC 42 qui est un test de quotient intellectuel. Par exemple on interroge l’enfant en quoi le bleu et le rouge se ressemblent. Ce sont des couleurs. Ou bien à partir d’un matériel visuel on leur demande de trouver deux images qui vont ensembles. Ce sont des principes de catégorisation, l’enfant doit établir des rapprochements. On cherche à savoir si il sait ce qu’est une couleur, un fruit ...
Peux-tu m’en dire plus sur le béhaviorisme ?
En psychologie la méthode béhaviorisme est beaucoup utilisée pour des enfants autistes. C’est une méthode beaucoup critiquée car c’est un procédé d’apprentissage par stimulation avec récompense. C’est en quelque sorte ce qu’on utilise pour dresser des animaux. En fait c’est un apprentissage répété, de successions rapides d’actions, qui entraîne quelque chose. Skinner a créé ce qu’on appelle la méthode A.B.A1 pour des enfants autistes.
En pédagogie le béhaviorisme peut être une méthode utilisée mais les enseignants doivent y être formés. Comme je le disais, je pense que c’est davantage une pratique psychologique pour aider les enfants autistes bien que des parents soient contre le système de récompense.
Concernant le processus d’apprentissage chez un enfant, peux-tu m’expliquer pourquoi un enfant a-t-il besoin d’apprendre par le corps ?
C’est lié au schéma corporel. Il faut que l’enfant prenne conscience de ses membres. Il doit intégrer son schéma corporel pour prendre conscience de l’espace environnant. Lorsqu’on demande de dessiner des formes à des enfants pour qui le schéma corporel n’est pas bien ou même pas du tout intégré , il ne se passe rien. En fait tout est une question de sensations qui passe par la découverte de leur corps. C’est pourquoi un enfant n’est ni instinctivement gaucher ou droitier à sa naissance. C’est en développant son schéma corporel qu’il développe sa latéralité manuelle.
Pourquoi est-il important de développer les sens chez l’enfant ?
Les sens viennent renforcer le développement intellectuel et clinique. Le sens du toucher pour les sensations et celui du goût pour le stade oral sont primordiaux. Par exemple, l’enfant qui ne mange pas de légumes et n’en a pas fait l’expérience, croit que les frites poussent dans les arbres. L’expérience par les sens contribue aussi à renforcer leurs connaissances culturelles.
Le son aussi est important. Lorsqu’on étudie et travaille la reconnaissance ou connaissance des animaux, rajouter le bruit de l’aboiement du chien par exemple ajoute un nouvel élément à l’image mentale du chien pour l’enfant.
En fait les sens viennent créer l’image mentale.
Pourquoi l’enfant a-t-il besoin de jouer ?
Pour se créer un imaginaire. C’est primordial pour un enfant. Généralement les enfants qui ont des troubles du sommeil ou de l’alimentation, sont des enfants qui ne savent pas jouer. Cela peut être parce qu’ils n’ont pas été habitués à rester avec des jouets. Aujourd’hui il y a aussi le soucis des écrans. Un écran c’est en 2d, un enfant ne peut pas le manipuler, le mettre dans sa bouche, ce qui restreint le développement de son schéma corporel. Il y a aussi des enfants qui ne savent pas jouer tout seul. Il faut donc les accompagner, leur proposer des jeux de construction ou des jeux de «vie quotidienne» comme la dînette, ou une mallette de docteur.
Le jeu permet d’alimenter leurs images mentales et leurs connaissances. L’enfant va aussi poser des questions. Sur l’aspect plus clinique du jeu, on trouve le travail de Donald Winnicott, entre jeu et réalité, avec l’objet transitionnel2.
Penses-tu qu’il y a des différences entre un apprentissage pour le jeu et un apprentissage plus classique ?
Oui il y en a forcement. J’ai des enfants en difficulté scolaire avec qui je travaille à partir du jeu comme des petites activités ludiques ou des jeux de société. Cette approche de l’apprentissage par le jeu est beaucoup appréciée chez ces enfants qui pour certain sont proches de la phobie scolaire. C’est une manière de rendre ludique les mathématiques, le français, et d’aborder les choses d’une autre manière. Souvent ces enfants me disent qu’ils n’ont pas l’impression d’apprendre. C’est une façon de détourner le processus d’apprentissage.
Cependant l’apprentissage par le jeu est une procédure plus longue. Ce n’est pas en faisant une partie du tangram, un jeux chinois, que l’enfant va acquérir le concept des formes immédiatement. Le jeu est une sorte de complément.
Dans quels types d’activités trouves-tu les enfants plus attentifs ?
Dans des activités comme celles des jeux de construction, et en règle générale, tout ce qui est propre à la production. L’enfant est davantage attentif que durant un exercice oral. Lors d’un exercice oral un enfant peut plus se disperser car il n’est pas en action. Alors que lorsqu’il produit quelque chose il est plus concentré sur ce qu’il fait, il cherche à s’appliquer.
Penses-tu qu’un enfant qui a davantage confiance en lui est un enfant qui apprend mieux ?
Oui je pense. La plupart des enfants avec qui je travaille ont un manque de confiance en eux et sont en difficultés pour apprendre. Un enfant qui a confiance en lui va être plus attentif à son apprentissage et plus persévérant. Un enfant qui n’a pas confiance en lui répète souvent qu’il n’est pas capable ou qu’il n’y arrivera pas à faire ce qu’on lui demande.
La confiance en soi est très importante et c’est tout l’environnement dans lequel on évolue qui l’influence.
Le milieu culturel et social dont lequel un enfant vit joue donc un rôle dans l’apprentissage de son savoir ?
Oui bien sûr. Un enfant beaucoup stimulé qui a eu la possibilité d’observer et de découvrir beaucoup de choses sera davantage curieux et attentif. Un enfant rendu plus passif par un manque d’activités ou par les écrans par exemple, développe moins de curiosité et moins de goût pour la culture. L’ouverture d’esprit participe à l’apprentissage du savoir.
Quel rôle penses-tu que joue un enseignant auprès de l’enfant ?
On appelle ça un tiers. C’est une personne qui apporte à son développement quelque chose de différent que ses parents peuvent lui apporter. Il ne doit cependant pas remplacer les parents, il vient comme complément. Il lui inclue d’autres valeurs.
Un enfant va tester son enseignant. Il comprend très vite les choses à faire ou ne pas faire avec la maîtresse qu’il peut avoir l’habitude de faire avec ses parents. Il assimile finalement que la maîtresse est là pour son apprentissage. Le lien social est différent.
Par exemple, pour un enfant autiste cette distinction de lien social est difficile. Je m’occupe d’un jeune autiste en classe de 4ème qui a dit à son enseignante qu’elle était sexy. En pensant bien faire, il a transféré ce qu’il a déjà pu entendre sans avoir conscience des codes sociaux et de ce qu’il peut dire ou non à un professeur.
Pourquoi un jeune enfant est-il égocentrique ?
L’enfant au départ est centré sur lieu. Au fur et à mesure d’être en contact avec les autres il s’ouvre à eux. Pour ce faire il faut qu’il ait d’abord conscience de son propre corps. Parfois les enfants sont violents entre eux sans pour autant chercher à l’être. En fait ils ne comprennent pas que leurs actions sur le corps de l’autre peuvent amener des sensations puisqu’eux-même n’en ont pas fait l’expérience.
On remarque également que les enfants ayant été en crèche ou ayant eu l’habitude d’être en contact avec d’autres enfants s’ouvrent plus facilement et rapidement aux autres.
Quels types d’objets attirent davantage les enfants ?
Les objets qui éveillent les sens et les jeux de construction. Sans oublier la couleur. Ils aiment quand les objets sont colorés.
Dans mon bureau j’ai des cubes, des jeux Lego, des petites voitures, une mallette de docteur, des puzzles. Majoritairement, les enfants vont tout de suite vers les jeux de constructions. Ils comprennent que une pièce avec une autre pièce construit quelque chose de nouveau. Ils sont actifs dans leur activité. Ils créent et produisent. C’est aussi des jeux où ils se renouvellent sans cesse et qui n’ont pas de fin. Les jeux d’imitations sont aussi importants. On voit souvent les enfants jouer au papa et à la maman, au policier, au docteur. Ces activités permettent de développer leur imaginaire, ils se mettent dans un rôle, mélangent réalité et imaginaire. Les enfants reproduisent ce qu’ils voient et s’appuient sur des personnes qu’ils considèrent comme des repères. C’est à la fois ludique et rassurant pour eux.
Penses-tu qu’il y a des couleurs, des matières auxquelles les enfants sont plus sensibles ?
Principalement des couleurs vives, il ne faut pas qu’elles soient ternes.
Les enfants aiment découvrir des matières qui leur procurent de nouvelles sensations. Elles participent aussi au développement du schéma corporel. Les enfants pour qui celui-ci est peu développé supporte moins le contact avec la matière. Si celle-ci lui procure trop de sensations, il se sent agressé et à du mal à gérer. J’effectue des exercices avec une psychomotricienne qui consiste à déplacer une balle sur l’ensemble du corps, sauf les fesses et le sexe, en nommant chaque partie du corps. Nous proposons à l’enfant deux types de balles, une lisse et douce, une autre à picots. Les enfants pour qui le schéma corporel n’est pas intégré choisissent principalement la balle lisse car elle leur procure moins de sensation à la fois.
Que penses-tu de la place du design graphique en pédagogie ?
Le design graphique accompagne l’enfant dans son apprentissage. Par exemple dans les livres scolaires, on trouve souvent une mascotte. Elle fait office de référent auprès de l’enfant, lui donne un repère. C’est un compagnon d’apprentissage.
Leur offrir des activités où il pratique le graphisme est important aussi. En psychologie le dessin est un moyen pour l’enfant de se projeter inconsciemment et de raconter des histoires. Le dessin traduit parfois ce qu’il pense.
En prenant un exemple plus précis d’éléments graphiques, peux-tu m’expliquer pourquoi les typographies utilisés dans les jeux ou sur les packaging pour enfant sont-elles si «rondes» et «souples» ?
En effet, la typographie destinée aux objets pour enfants sont très rondes. Je pense que cela leur rappelle la forme du cercle, du cercle fermé, lié au ventre de la mère. C’est fermé, c’est sécurisant. Un livre à la typographie ronde va rassurer l’enfant. Elle lui rappelle quelque chose qui connaît, comme des formes déjà vues avec sa maîtresse. C’est aussi et encore lié aux sensations. Un rond ça n’a pas d’angles comme le carré. Or un angle c’est pointu, ça pique, ça fait mal. Ce sont des processus inconscients liés à l’expérience du corps qui influencent le jugement des enfants.
Enfin que penses-tu du numérique pour le développement personnel de l’enfant ?
Je ne suis pas contre du tout mais il ne faut pas proposer que ça à l’enfant. C’est important que l’enfant manipule des objets en 3D. Il les mène à sa bouche pour développer le stade oral lié à la sphère orale qui lui procure du plaisir et des sensations. Le premier plaisir de l’enfant c’est la succion, du seins de sa mère, de ses doigts ou d’un objet. Il a besoin de manipuler.
Le numérique permet aussi d’autre moyen de communication et offre de nouvelles manières d’apprendre. Je pense cependant que l’enfant doit être encadré dans son approche avec le numérique.
L’objet connecté pour être un bon intermédiaire alors ?
Oui je pense, il permet la mixité entre le tangible et le numérique. Cela peut être un moyen pour aller plus loin dans l’action et comprendre mieux les choses.
Dominique Leclerc
Le lundi 22 janvier 2016 je suis allée rendre visite aux grandes sections de l’école maternelle publique Parmentier, en REP+, située au cœur du quartier de Belsunce à Marseille. Dominique Leclerc m’a accueillie chaleureusement et j’ai pu assister à leur dernière heure de classe destinée à un temps de lecture. Malgré quelques agitations, j’ai constaté une bonne capacité d’écoute des élèves et le soin particulier donné par la maîtresse à l’intonation pour rendre la lecture plus attractive.
Après avoir dit au revoir aux enfants, je me suis entretenue avec Dominique qui enseigne depuis une trentaine d’années.
Tout d’abord, que pensez-vous des pédagogies dîtes «actives» ?
Les pédagogies actives sont intéressantes puisqu’elles placent l’enfant au centre de l’apprentissage. Mais elles sont difficiles à mettre en œuvre. Le matériel est compliqué à acquérir et dans nos classes nous manquons de place pour des activités impliquant le déplacement du corps dans l’espace. Nous avons aussi beaucoup d’élèves par classe qui rend difficile ce type de pratique. De plus, ce genre de pédagogie demande du temps et une formation que nous n’avons pas.
En Finlande par exemple les enseignants sont formés à différentes méthodes d’apprentissage. Ils adaptent ces méthodes en fonction de la réceptivité à l’apprentissage de chaque élève. Les enfants sont plus libres de leurs activités et de leurs mouvements. Seulement, ils ne sont que 15 dans la classe. Ils ne sont pas évalués non plus. C’est considéré comme une perte de temps et génère du stress. L’éducation se base sur un climat de confiance. Ce qui n’est pas le cas en France où l’Éducation Nationale est sur un système d’évaluation et de jugement. Un plus petit effectif d’élèves permettrait également davantage de place dans la classe, moins de bruit et me donnerait plus de temps à consacrer pour chacun. L’idéal serait d’individualiser les apprentissages.
Dans quels types d’activités trouvez-vous les enfants plus attentifs ?
Ils sont attentifs et plus calmes lors d’activités de lecture où il m’écoutent lire une histoire. À condition bien sûr qu’ils comprennent et parlent le français. Certains élèves immigrés arrivent dans nos classes et ne parlent pas un mot français. C’est forcement plus difficile pour eux.
Ils sont aussi très attentifs dans les activités d’arts plastiques, les jeux de construction ou les puzzles. Mais ils sont plus bruyants. Ils sont très actifs également dans les activités où l’on chante.
Comment considérez-vous votre rôle auprès des enfants ? Comment lui-même vous considère ?
Je les amène à grandir et à être autonome. Je leur donne les bases de leur apprentissage. Chez nous pour commencer c’est l’oral, encore plus ici comme certains élèves ne parlent pas la langue française en arrivant. Je dois installer un climat de confiance et leur offrir un lieu où ils se sentent bien. Pour cela nous organisons des projets humanistes comme le PRODAS, initié par le planning familiale. C’est un programme de développement affectif et social. Il provient du Canada. Il vise à pousser les enfants à prendre la parole, à s’exprimer sur leurs ressentis. J’organise ces activités en demi-groupe : un groupe de gros parleurs, l’autre de petits parleurs. Elles comprennent trois grands principes : la conscience de soi, la réalisation de soi et les interactions sociales. Lors de ces activités, les élèves sont plus dans la parole, moins dans le geste. Il est question de parler, reformuler et écouter.
Mon rôle lors de ces activités est de pousser les enfants à exprimer leurs ressentis et développer leur vocabulaire. Je dois également leur donner un cadre et énoncer les règles. J’essaye d’installer un climat de confiance pour qu’ils apprennent à mieux se connaître entre eux.
Que pensez-vous de l’auto-correction ?
J’en pratique peu. Nous mettons souvent en commun tous ensemble. C’est un temps où l’on regarde, on observe et commente. Sinon je vérifie par moi-même. Le problème est que j’ai peu de temps pour le faire sur le moment.
L’auto-correction peut être utile dans le vrai-faux. Mais toutes les activités ne fonctionnent pas comme ça.
Sur l’ordinateur nous avions un logiciel de jeu mettant en scène un écureuil dans un arbre avec différentes portes d’entrées. Chaque porte symbolisait l’entrée dans un nouveau jeu. Les enfants se promenaient à l’intérieur de jeux visuels. Ils étaient autonomes dans leur activité. Cependant, c’est difficile de laisser les enfants en autonomie. Il faut veiller au calme de chacun. Rendre l’apprentissage autonome est, je pense, une prise de risque qu’il faut savoir gérer.
Nous proposons aussi, à chaque élève, un cahier de vie où il colle ses exercices réalisés. Il peut le feuilleter, revenir en arrière. Il peut y voir sa progression.
Pensez-vous qu’un enfant qui a davantage confiance en lui est un enfant qui apprend mieux ?
Oui c’est sûre, un enfant qui a plus confiance en lui apprend mieux. Un enfant qui a confiance en lui va être plus à l’aise avec son corps. Il prend davantage la parole et ses compétences sont meilleures. Mais nous sommes dans un monde de jugement, l’école aussi. Mais les méthodes pédagogiques ont évolué et heureusement! Dans mon école nous ne sommes pas favorables aux évaluations considérées comme des pertes de temps sur le temps d’apprentissages et générant du stress. On cherche davantage à inviter l’enfant à comprendre ce qu’il apprend et pourquoi il l’apprend. Avant il arrivait que l’élève ne sache pas ce qu’on attendait de lui.
L’évaluation permet à l’enfant et ses parents d’avoir conscience du contenu énorme des domaines d’apprentissage. On prend le temps de lire le livret personnel de l’élève avec ses parents. Nous orientons l’évaluation de manière positive en formulant le progrès de l’enfant. Car il perd de sa confiance par le jugement des autres, que ce soit ses camarades de classe ou ses parents. Pour éviter un jugement néfaste sur les uns les autres, je répète tous les jours qu’il est possible de se tromper mais qu’on peut recommencer. Se tromper fait avancer les choses. En faisant cela les enfants ont petit à petit moins peur de dire des bêtises et du regard des autres. Et puis il y a la bienveillance ... La bienveillance est la clé de voûte de la confiance !
Quelles relations observes-tu entre les enfants ? Comment évoluent-elles avec le temps ?
Ils sont solidaires, bien qu’ils aiment s’embêter. Au fur et à mesure qu’on avance dans l’année, ils se font tous des copains, même les plus solitaires, et ça leur fait du bien. Ils s’entraident en général.
Les relations se construisent dans le jeu, dans la parole, dans le vécu commun, autour de mêmes centres d’intérêts. Elles se font souvent en «miroir». Il y a de la violence parfois. C’est en les incitant à repérer ce qu’ils ressentent et à l’exprimer à l’autre, à dire ce qui s’est passé et comment, que la tension va se dénouer avec demande de réparation : excuse, aide, un mot réconfortant... On les invite à verbaliser le plus possible .
Quelles sont les premières étapes de familiarisation aux nombres pour les enfants ?
Tout d’abord se compter dans le rituel du matin. Nous comptons les présents, les absents. Pour compter ils utilisent les doigts. Par correspondance les enfants montrent du doigt ce qu’ils comptent ou la constellation des dés. Ils rassemblent des éléments, les interprètent de manière chiffrée, avec les dés et les doigts. Il faut que l’enfant mémorise la constellation des dés comme par exemple : les 4 points c’est 4 éléments ensemble. Cependant, si les enfants, en fin de grande section, effectuent la comptine numérique jusqu’à 30, cela ne veut pas dire qu’ils sachent quantifier le nombre 30. Ils sont capables de dénombrer des plus petites quantités.
Quel matériel utilisez-vous pour les mathématiques en maternelle ?
Nous avons les «mathoeufs», ceux sont des éléments à assembler pour créer des personnages. Il y a aussi des jeux de société. Il existe aussi des albums à compter de Rémi Brissiaud que j’aime beaucoup. Pour exemple, nous avons sur une double page deux pingouins sur la banquise, un autre dans une barque. En cachant l’une des pages je demande aux enfants combien il y avait de pingouins et de déduire le nombre de pingouins cachés. Cela permet de travailler de façon très imagé la décomposition et stimule la mémorisation.
Mes collègues et moi fabriquons également souvent des jeux offrant des manipulations ludiques très importantes pour les élèves.
Apprend-on aux enfants à compter et calculer simultanément ?
Oui c’est possible en décomposant le chiffre par exemple. On peut montrer un doigt avec une main, deux sur l’autre main, et lui demander le nombre de doigts au total. Mais il faut que l’enfant est conscience aussi du plus et du moins. Lorsque le matin nous avons 14 présents et 13 absents c’est difficile pour les petits de savoir si il manque plus d’élèves qu’il y en a.
Pour travailler cette notion de plus, moins ou autant j’utilise un jeu de carte sur la taille des animaux. Quel est le plus grand ? Lorsque c’est perçu visuellement c’est plus facile pour eux. Lorsque c’est vécu par les sens et le corps aussi.
Quelles sont les difficultés que rencontre un enfant avec les nombres ?
Tout d’abord dans l’écriture, il écrit les nombres à l’envers. Puis rythmiquement il n’énonce pas le chiffre exacte lorsqu’il compte en même temps qu’il montre du doigt. On lui apprend d’abord à compter avec le geste avant de n’utiliser que les yeux. Il est important également qu’il comprenne le sens de lecture et surtout qu’il s’organise spatialement pour compter de manière juste : sans oublier un élément, sans compter le même plusieurs fois.
Nous devrions aussi travailler davantage la résolution de problème qui incite les enfants à trouver des solutions. Comme par exemple mettre en place un exercice consistant à placer 9 bouteilles dans un espace, 12 bouchons dans un autre et leur demander si chaque bouteille à son bouchon. Il s’agit de les mettre en situation de recherche.
À quoi voit- on qu’un enfant a compris ce qu’il fait et pourquoi il le fait ? Comment l’évalues-tu ?
En l’évaluant, en l’observant. Mais j’ai très peu de moment où je peux observer et c’est très frustrant. Je ne peux donc pas toujours savoir comment il s’y est pris pour effectuer l’exercice. Par exemple pour le tracer des lettres dans le bon sens. Ce n’est que lorsqu’ils écrivent au tableau que je constate si oui ou non les enfants ont adopté le geste et comment ils promènent leur bras. Dans le travail d’écriture la posture est importante. La motricité fine aussi mais elle est plus difficile à observer.
Penses-tu que les enfants apprennent mieux lorsque ses sens sont mis en éveil ?
Oui bien sûr, ça passe par ça. Ils acquièrent la conscience de soi. Les sens sont beaucoup sollicités en petite et moyenne section.
Possèdes-tu des outils numériques dans tes salles de classes ?
Nous avons un ordinateur qui fonctionne encore mais qui est vraiment trop vieux. J’espère en avoir bientôt un autre. Nous avons aussi un vidéoprojecteur pour l’ensemble de l’école.
Les enfants sont-ils plus sensibles et attirés par certaines couleurs ou formes ?
Le rose pour les filles. Nous enlevons parfois même les feutres roses car elles ne choisissent qu’eux. Ils aiment le bleu, le rouge, le jaune, les couleurs vives. Pour les formes, aucune en particulier. Ou peut-être le rond qu’ils ont parfois plus utilisé depuis la maternelle.
Pour finir, que penses-tu de la place du numérique et du design graphique en pédagogie ?
Je pense que le numérique peut être quelque chose de bien. J’utilisais les ordinateurs lorsque j’en avais encore 3. C’était très ludique pour les enfants. Les algorithmes, comme enfiler des formes, des perles, étaient plus attractifs par le numérique. De plus les enfants aiment travailler avec le numérique. C’est une autre manière d’utiliser un écran,. Ils sont plus actifs que lorsqu’ils l’utilisent de manière passive à la maison. Lorsque nous avions les ordinateurs, les enfants pouvaient écrire en lettre capitale avec le clavier et imprimer en script. Le numérique permet la correspondance des alphabets.
Les enfants sont attirés par le numérique et je trouve ça normal à notre époque d’être équipé d’outils numériques.
En terme de graphisme, l’image est très importante chez l’enfant. Par exemple j’utilise les méthodes phono et catégo. Cela consiste à s’appuyer sur des images et en faire des catégories. Par exemple, un signe particulier représente la syllabe. Lorsque le signe est rouge celui-ci indique qu’il s’agit de la syllabe du mot à garder en mémoire et la retrouver ensuite dans d’autres mots.
Les enfants aiment bien avoir des images à eux et les manipuler. Nous travaillons aussi sur l’association du son-image. Par exemple je leur demande de me trouver des images où l’on entend le son «co». Les enfants aiment ce type d’exercice et le font volontiers puisqu’ils s’appuient sur des supports images. Il faut aussi varier les objets pour leur permettre différentes manipulations.