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Grammaire - La pratique du style

Printemps 1851, sur la pelouse d’Hyde Park se déroule la Great Exhibition, la première des expositions universelles. Le Crystal Palace regorge des nouveautés industrielles. Les locomotives, presses hydrauliques et autres marteaux pilons côtoient tout un bazar d’objet exotiques acquis par l’empire Britannique ancré dans une tradition de la « découverte » depuis la fin du XVIème siècle. C’est là le point de départ de deux modernités. Le contexte de l’industrialisation, la stratégie d’un commerce dans le sillage d’Adam Smith, modifient la conception de l’ornement jugé économiquement gênant. Néanmoins, les Arts décoratifs vont être au cœur de ce contexte de grande puissance impériale. En effet, tout puissant qu’il est, l’empire Britannique ne possède de style national original et se contente d’imitations confuses des styles étrangers au rythme des importations, lui ôtant ainsi toute unité et toute valeur symbolique. La fascination qui s’exerce autour de ces arts exotiques modèle la vision fantasmée d’un Orient intemporel.

« L’exposition met en scène le contraste entre un Occident moderne et dominant, mais touché d’une infériorité artistique chronique, et des nations non industrialisées, mais visiblement supérieures sur le plan artistique, puisque dotées d’une créativité et d’une harmonie décorative encore intactes »
[Ariane Valera Braga, « les enjeux de la préférence pour les arts extra-européens dans le discours sur l’ornement en Grande-Bretagne au milieu du XIXème siècle », images Re-vues [en ligne], 10 | 2012 ]

La confusion esthétique latente va faire l’objet d’une attention toute particulière et sans attendre d’avantage on inaugure quelques semaines plus tard le Museum of Ornemental Art sous l’initiative de quelques réformateurs, parmi eux Henry Cole, Augustus Pugin et Owen Jones. L’idée est de rassembler les collections et présenter les fondements théoriques de l’ornement pour ainsi faire du muséum un véritable outil pédagogique. Owen Jones, architecte et décorateur Anglais, rédige une définition rigoureuse de l’ornement [note.La grammaire de l’ornement] comme représentation conventionnée des formes. Il publie en 1856 La grammaire de l’ornement, un ouvrage en couleur dans lequel figurent de magnifiques planches illustrées d’ornementations de la Chine à la Perse, des Indes à l’Arabie. Un véritable répertoire de la forme ornementale minutieusement rapportée par le dessin et précisément commentée de ses remarques. Dans cet ouvrage, prédestiné à être un outil pour tout designer de cette seconde moitié du XIXème siècle, Owen Jones distingue Bon ornement et Mauvais ornement.

« Chaque ornement nait tranquillement et naturellement de l’objet décoré, inspiré par un sentiment véritable, ou embellissant d’un besoin réel. Le principe directeur est partout présent. Nous n’avons pas d’ombres artificielles, pas d’imitations très œuvrées de fleurs naturelles, avec leurs ombre et lumière, luttant pour se démarquer des surfaces sur lesquelles elles sont travaillées, mais des représentations conventionnellement fondées sur celles-ci, suffisamment suggestives pour en véhiculer une image à l’esprit sans détruire l’unité des objets décorés »
[Owen Jones, Observations]

Un bon ornement répond instinctivement aux lois d’harmonie et de proportion qui se trouvent dans la nature : Symétries et rayonnements, courbes gracieuses et distribution des masses à partir d’une tige mère sont observés minutieusement et transcrits en principes. Les inspirations et imitations deviennent des représentations, des formes rationalisées et conventionnées « assez ressemblantes à leur modèle pour en rappeler le souvenir, mais assez étudiées pour ne pas détruire l’unité de l’œuvre qu’elles servent à décorer » [ibid]. A l’inverse, un mauvais ornement est un style d’emprunt. L’inspiration originale et instinctive des formes naturelles n’est pas suivie puisqu’il se base sur l’aspect traditionnel. Tel serait l’ornement Assyrien ou Perse, dépourvus du cachet que caractérise l’aspiration première, à l’ornement Egyptien qui tire directement ses formes à la source de la nature et s’exprime instinctivement selon un vocabulaire de base que constituent le lotus, le papyrus, les plumes d’oiseaux rares et le rameau de palmier. Telle est la pertinence d’un ornement, sa force se trouve dans son rapport instinctif à la nature où s’éveille la poétique du souvenir, sa convenance dans la qualité de l’esprit qui pratique le style.

C’est comme ça que l’ornement dépasse le naturel, grâce à l’esprit il devient une forme hybride entre observation et inspiration, entre extérieur et intérieur. Une forme parfaitement rationalisée dans une supériorité de la création humaine sur la contingence naturelle. Chez Owen Jones comme chez Hegel, la création Artistique se trouve être incontestablement supérieure à la nature ne serait-ce parce qu’à travers elle c’est tout l’esprit humain qui se révèle. L’Art et l’ornement sont pulsion d’humanité, le désir archaïque et compulsif de pénétrer la matière. La présence d’un esprit qui pense le monde est indéniable, un peu comme le cogito, et toute volonté de copier, de simuler la nature provoque en même temps sa mise à distance. J’ai beau m’acharner à représenter le plus fidèlement possible un paysage, il n’en gardera pas moins l’empreinte de ma subjectivité car la représentation nécessite des choix, d’échelle, de cadrage, de technique, etc,… A l’inverse de la mimesis, l’ornement pratique le style et assume complètement la représentation comme l’expression de la pensée formelle, parfaitement rationalisée.

wiki/memoires/ornement/ornement/grammaire.txt · Dernière modification: 2015/03/20 14:19 (modification externe)