Pascal Krajewski est docteur en sciences de l’art (2012) et chercheur associé à l’Université de Lisbonne. Ancien diplômé en aérospatiale, il officie aujourd’hui dans le sud de la France comme responsable informatique en milieu culturel. Il est l’auteur d’articles et d’essais sur l’art contemporain, la technologie, la BD, les images, les gestes ainsi que membre des comités des revues en ligne Appareil et Convocarte. Son travail oscille entre l’esthétique des arts actuels et l’épistémologie critique.
Dans ce court texte, Pascal Krajewski dresse un portrait des gestes, fonctionnant comme des marqueurs d’une société, forgeant l’expressivité de son corps. Tout geste implique une « technè » et nombreux répondent à l’existence d’outils. Les tournants industriel et technologique, introduisant un nouveau type d’objets, modifient notre vocabulaire gestuel et son usage. De même, dans ce texte nous verrons dans la première grande partie « la vie des gestes » toute l’aspect sociologique, anthropologique et ontologique du geste. Dans la deuxième grande partie « Le tournant industriel dans l’histoire des gestes » nous traiterons de l’aspect technique du geste et des facteurs qui ont conduit à la sous-traitance, à la régression de ce dernier à l’époque industriel. Pour finir, dans une troisième et dernière grande partie, nous conclurons avec le geste au tournant technologique, des évolutions, métamorphoses et des réinventions qu’il a pu subir pour ensuite conclure.
Mots-clés : anthropologie, principes, socio-culturel, ordre technique, rassemblement, individualisme, mœurs, prothèses
— Les gestes et leurs composants
Dans cette première partie, Krajewski nous présente différentes notions, principes qui vont nous permettre d’examiner les gestes (ou la gestuelle comme il préfère l’appeler), de les disséquer et de les regarder de pouvoir se rendre compte par la suite dans les prochaines autres grandes parties, tous les changements qui ont pu se faire dans l’histoire des gestes. Dans un premier temps, Krajewski évoque les différents composants d’une gestuelle. En effet, un geste ou une gestuelle regroupe plusieurs autres sources. Nous pouvons en relever trois qui sont : l’activité, la manière et la motivation. L’activité tout d’abord, se réfère comme son nom l’indique à un travail, une occupation comme par exemple celle de courir, marcher, sauter et bien d’autres. Pour ce qui est maintenant de la manière, ce principe se réfère à la façon dont va s’effectuer le geste afin de réaliser l’activité. Enfin, la motivation est le but, le motif qui va nous donner envie de réaliser une activité. Il est intéressant de relever que la motivation peut être classée. Contrairement aux gestes qui ne peuvent être catégorisés à cause de la diversité dont ils font preuve, la motivation elle peut être distinguée en trois sources. La motivation énergétique, la motivation cognitive et la motivation érotique.
Pour la première motivation, la motivation énergétique, celle-ci est se caractérise par la façon dont elle l’affronte le monde extérieur. C’est tout l’être-au-cosmos de l’individu qui s’y exprime par son corps. En substance, c’est la façon dont le sujet va contrôler son environnement. Pour ce qui est de la deuxième motivation, la motivation cognitive, celle-ci vise à comprendre le monde extérieur, à le connaître, l’activité qui en sort ne vaut qu’en tant que productrice de signifiants, en vue d’un rendement sémiotique. C’est ici l’être-à-l’autre de l’individu que son corps exprime. En substance, c’est la façon dont le sujet va percevoir le monde, comment il va être perçu par l’autre et comment il va communiquer grâce aux multiples signes qui l’entourent et qu’il va produire. Enfin pour la troisième source de motivation, la motivation érotique, celle-ci exprime l’être-à-soi-même de l’individu. En substance, c’est comment nous percevons notre propre corps.
— Les gestes individualistes ou fédérateurs
Dans un second temps, après nous avoir expliqué comme une gestuelle apparaît et quels sont ses causes, Krajewski nous expose un autre point important de la gestuelle, c’est sa capacité à singulariser un individu ou à fédérer des groupes que ce soit dans un contexte socio-culturel ou bien par l’usage de schèmes gestuels. Les schèmes gestuels sont importants, car ils sont ce que l’on pourrait décrire comme des modèles à suivre, à reproduire, à apprendre, mais qui peuvent varier en fonction du milieu, de l’environnement dans lequel ils se trouvent. Pour illustrer ce propos, on pourrait imaginer un livre dans lequel des modèles de gestes nous étaient proposés sur la façon de courir, de marcher, de tirer dans un ballon de foot, etc. Ainsi en guise d’exemple, un japonais ne tiendra pas sa raquette de tennis de table de la même façon d’un occidental. Dans l’idée de singularisation par les gestes, il faut tout d’abord en apprendre les schèmes. Apprendre les schèmes et les répéter, vont nous permettre ainsi de les assimiler, de les faire notre. Cette répétition et cette assimilation des schèmes peut ce faire par une activité pratique, liée à l’apprentissage par exemple. Après cette assimilation, l’individu sera alors capable de proposer une autre façon de pratiquer une activité. De ce fait, si on reprend l’exemple du tennis de table, on pourrait imaginer une toute nouvelle façon de tenir sa raquette et par la suite de créer de nouveaux schèmes afin de réaliser des schèmes liés aux gestes techniques de ce sport (coup droit, revers, smash, etc.) Dans cette autre idée qui est celle de la fédération d’un groupe, les gestes permettent de regrouper des individus entre eux. Krajewski en dégage ainsi trois groupes. Tout d’abord, il y a le premier groupe qui se nomme « civilisation ». Pour cette première catégorie, il s’agit tout simplement d’un groupe humain qui partage le même « dictionnaire de schèmes » répondant à des activités. Concernant le deuxième groupe qui est celui de la « société », ce dernier peut être imagé par le geste spécifique de l’italien qui parle beaucoup avec ses mains ou par la façon particulière de se faire la bise en Martinique où la bise ne ce fait pas par le contact épidermique des joues, mais par le nez qui vient toucher la joue en s’en approchant perpendiculairement. Enfin dans la dernière catégorie qui est celle de la « communauté », cette catégorie cible un groupe d’humain qui partage des schèmes limité de gestes n’appartenant pas au dictionnaire sociétal et qui ont étés créés de toutes pièces. Comme exemple, nous pouvons prendre les sectes ou les francs-maçonneries qui se démarquent par l’usage de gestes spécifiques dans un but religieux ou symbolique. Dans un cas plus réaliste, nous pouvons aussi évoquer ceux des jeunes de banlieue qui ont développé un vocabulaire gestuel typique, dans leur façon de marcher ou de saluer.
— Les gestes renouvelés
Au fur et à mesure que le temps passe, les gestes qui fédèrent ou qui individualisent, finissent par évoluer. Cette même évolution finit par la suite à faire immerger de nouvelles dynamiques. Penchons-nous d’abord sur l’évolution. Si nous devions prendre l’exemple d’un geste qui a bien évoluer, nous pourrions prendre celui de « payer ». Ce geste a connu ce que dévoile Krajewski, les 5 principes qui peuvent être rattachés à tous les gestes : la naissance, le maintien, l’évolution, la mort et la réapparition. De cette façon, si nous prenons le geste de payer, ce dernier est né en fonction d’un contexte, d’un besoin qui s’est maintenu et qui a connut une évolution par un contexte socio-culturel ou bien par l’apparition de nouvelles techniques, machines. Par la suite, le geste de payer peut mourir (avènement des nouvelles technologies, applications) ou bien réapparaître dans une veine plus nostalgique. Cette évolution qui est spécifique à l’homme, a permis l’apparition de deux dynamiques qui vont avoir une grande importance dans l’avenir des gestes et dans l’apparition et la disparition des schèmes gestuels. Ces deux dynamiques sont : les nouveaux outils et les nouveaux mœurs. Concernant cette dynamique des nouveaux outils, ce dernier s’intéresse à la création d’outils que l’on va appeler les outils prothétiques. Ces outils ont la particularité d’augmenter le corps de l’humain afin de réaliser une activité, voient le jour afin de répondre à un besoin. Si on prend l’exemple du marteau, cet outil a vu le jour afin d’enfoncer plus efficacement des clous par exemple. Cependant, hormis le schème gestuel spécifique à l’usage du marteau qui est celui de planter des clous, il laisse quand même la possibilité à son utilisateur de créer un faisceau de schèmes gestuels spécifiques, et donc de nouvelles manières d’utiliser un marteau. Pour ce qui est de la dynamique des mœurs, celui-ci s’intéresse non pas à un aspect technique, pratique, mais à un discours autour des convenances, de l’élégance, que ce soit dans la façon de ce tenir à table, de ce moucher ou encore dans la façon dont nous avons de marcher. Ces schèmes que nous réalisons dans un but plus esthétique, donnent ainsi à percevoir nos manières et peuvent ainsi définir par la suite, notre classe sociale, le milieu dans lequel nous nous trouvons.
Mots-clés : technè, industrialisation, contrôle, sous-traitance, maîtrise, apprentissage, méga-machine, loisir, société de consommation
Après l’aspect analytique qui a mit en avant dans la première partie de son texte, Krajewski aborde dans une deuxième partie une période qui a vu un détour dans l’histoire du geste, mais aussi dans sa production. Tout d’abord, Krajewski met en avant la « technè », c’est-à-dire la « technique du corps » du geste. Ce qu’il veut sous-entendre, c’est que certains schèmes gestuels sont innés, héréditaires ou encore instinctuels. Quand nous parlons de schèmes gestuels innés, nous pouvons prendre l’exemple de la respiration qui est primordial à notre vie. À l’opposé, certains schèmes gestuels doivent bénéficier d’un apprentissage afin de rendre certains gestes plus précis. Ainsi, la « technè » est un savoir-faire, un savoir-faire-un-mouvement. Elle se peaufine et elle est la maîtrise d’un geste.
Par la suite, Krajewski soulève deux autres points qui sont primordiaux et qui sont très important dans cette production, ou cette perdition des gestes, ce sont : l’ordre technique et l’ordre industriel.
— L’expansion de la «technè»
Concernant l’ordre technique, celui-ci se distingue par la rationalisation culturelle de la fibre énergétique des motivations dont il fait preuve. Cette rationalisation se concrétise par l’apparition d’outils, qui, prothèses du corps faible de l’homme, viendront l’augmenter. Les outils qui sont créés se désignent par la modélisation d’un schème. Ce schème se développe, non pas pour être un schème instrumental, où l’utilisateur, l’artisan va fabriquer les multiples schèmes d’un objet, mais où un schème se retrouve incarcéré dans un outil désigné à cet effet. De cette manière, l’expansion de l’ordre technique et la profusion des outils fut un moment où l’homme a pris le pouvoir sur son environnement en passant par la création de « technaï », de savoir-faire toujours plus nombreux. De plus, les outils prothétiques s’accompagnaient de l’apparition de nouveaux gestes, pour leurs bons usages. Ainsi, l’ordre technique est cette période qui pendant des siècles, a laissé place à une grande profusion de gestes, à une période où cet ordre créait et supprimait des gestes à foison dont le schème était complémentaire de celui de l’outil conçu.
— Les gestes restreints et limités
À l’opposé de l’ordre technique, nous avons l’ordre industriel qui lui, à fait apparaître au monde un tout nouveau type de machines qui se nomment les « méga-machines ». Ces engins qui sont plus performants, et qui s’imposent sur un capital humain pour leurs entretiens et leurs maintenances, se démarquent par un changement d’échelles, de rendements et d’actions supérieures, que ce soit la production à une fréquence plus supérieur à l’Humain des schèmes gestuels, dans la qualité du résultat entre le geste de la machine et le matériau. L’ordre industriel fait ainsi basculer de la recherche d’une complémentarité de l’outil et du geste, à celle d’une sous-traitance du geste. La méga-machine est là pour remplacer, sans compensation, un geste humain. Krajewski va jusqu’à reprendre le diagnostic de Mumford Lewis dans son livre « technique et civilisation » qui nous dit : « Nos vastes gains dans l’énergie et la production se sont partiellement manifestés par une perte dans les formes et par un appauvrissement de la vie ». En reprenant ce diagnostic, Krajewski cherche à nous révéler un modèle de machines qui apparaît une fois le geste analysé, grammatisé, compartimenté et réduit à l’état de schèmes élémentaires. La méga-machine absorbe et réduit les schèmes élémentaires de ce fait, aussi bien le geste humain que la « technè » qui lui était associé. La prothèse se fait alors captation du geste et le catalogue de gestes accessibles à l’homme industriel diminue et s’appauvrit, alors que celui de ses grands-parents et sa « technè » est en perdition.
— Transfert des gestes
Bien que l’ordre industriel de la méga-machine à provoquer l’amoindrissement des gestes, la perdition de la « technè » et des schèmes gestuels au sein du monde professionnel, ces derniers finissent par retrouver un nouveau souffle dans la société de loisirs. Cet avènement d’une société de loisir a vu le jour en raison de la rédemption de l’homme. En passant de l’ordre technique, où l’acquisition de multiples schèmes gestuels, de « technè » et de savoir-faire était nécessaire, à l’ordre industriel, dans lequel celui-ci a autorisé l’homme de réduire son volume d’activité, sa charge de travail, cette nouvelle société lui a permis de faire ressurgir des gestes liés à l’ordre technique, dans l’ordre esthétique, donnant à révéler notre corps, de le percevoir autrement. Ainsi la « technè » qui était requise dans le milieu professionnel est au contraire très présente dans nos activités de loisirs. Les objets participent eux aussi à cette réapparition des gestes. Ils sont aussi ce que nomme Krajewski, « les grands pourvoyeurs de nouveaux gestes ». Cependant, une différence est à noter. Il ne s’agit plus « d’outils » extraits du monde professionnel, « concrétion de la volonté de l’ordre technique » comme le dit l’auteur, mais de « produits » conçus par une société de consommation et de loisirs envahissant notre sphère privée, répondant aux besoins de l’ordre esthétique. De cette manière, des gestes à « technè » qui étaient utilisés dans l’ordre technique et qui, en passant par l’ordre industriel ont été adoucis par les mœurs de la société, font ainsi leurs réapparitions dans ce nouvel ordre esthétique. De cette façon, les outils peuvent regagner leurs modes de fonctionnement initial : celui de proposer des prothèses complémentaires de leurs schèmes au devenir-homme de l’homme.
Mots-clés : simplification du geste, immatérialisation, mouvement indexé, transformation, icône, réinvention du geste
— Vers un abandon des gestes
Dans cette troisième et dernière grande partie, Krajewski nous montre un tout nouvel ordre qui est toujours d’actualité, l’ordre technologique. L’auteur nous présente ce nouvel ordre qui se démarque notamment par l’apparition d’appareils. Ces appareils sont des objets qui ont envahi notre quotidien, à qui ont à insuffler une nouvelle dimension « high tech » et qui ont la spécificité de se définir par l’emploi de puces électroniques dite « microprocesseurs » qui sont les « schèmes purs de fonctionnements » (Simondon) de la classe des appareils. L’invasion de ces objets inédits, créés un nouveau moyen de s’insinuer dans le monde. Ils deviennent comme l’explique Krajewski : « Ces interfaces obligées et constantes de notre rapport au monde, aux objets et aux autres ». Cette prolifération des appareils forme un nouveau mode d’humanisation d’être-au-monde-artificiel de l’humain. Cet avènement du règne du technologique, rendu possible par la profusion des appareils, met fin à la coupure ontologique entre le sujet et l’objet, entre le monde et l’homme qui y habite. Ces appareils deviennent ainsi les prothèses de l’ordre technologique qui se différencie de l’ordre technique et industriel par la façon où les nouvelles machines, ne sont pas des outils-instruments-machines fonctionnant grâce à l’énergie humaine et sous son maniement ; ne sont pas des méga-machines, se débarrassant du besoin énergétique animal tout en conservant son allégeance aux gestes du donneur d’ordre ; mais bien des instruments innervés par la technologie, fonctionnant sans aucun besoin de l’un ni de l’autre. Ce n’est plus l’action de telles forces mécaniques, chimiques, ou électriques qui décide de la bonne réalisation d’un acte technique, c’est la bonne exécution de tel logiciel et de telle ligne de commandes. Cet avènement du règne du technologique va de plus, amené son lot d’évolutions comme le développement d’une nouvelle infrastructure qui s’est allégée au fil du temps. Cet allègement va par la suite provoquer une inertie, une inaction plus grande dans cet ordre technologique comparé à l’ordre industriel. En effet, à l’époque de l’âge pré-industriel de la technique où il y avait une « homothétie » entre le geste et l’action menée, le geste convoqué était « l’homologue », la « confirmation » de l’outil en usage. Par la suite, la technique industrielle a soulagé l’homme de la fourniture d’énergie nécessaire à l’opération, tout en maintenant un degré d’analogie entre le geste déclencheur et son action autour d’activités comme : baisser un levier, tourner une manivelle. Plus tard, la technologie a altéré cette analogie gestuelle qui a finit par devenir obsolète, qui a été perdue. Dorénavant, comme le soulève Krajewski : « N’importe quel geste pourra être technologique ; n’importe quel geste peut réaliser n’importe quelle action à partir du moment où il est retraité par une interface appareillée ». Hier, nos bras étaient utiles pour figurer une force ou une taille, notre corps entier pouvait suffire à évoquer une action ou un événement ; aujourd’hui, les photos et les films numériques, pléthoriques, nous dispensent de toute gestuelle. Sémiotiquement parlant, cette approche technologique est d’une grande richesse. Cependant, d’un point de vue gestuelle, ce nouvel ordre en est démuni.
— Le geste unique
En prolongeant cette réflexion autour de l’appauvrissement du geste, Krajewski nous expose l’idée de gestes restreints, simplifiés et commun. De cette façon, l’auteur met en avant les appareils technologiques que nous connaissons bien (Iphone, ordinateur, consoles, lecteurs DVD, TV, etc.), comme étant les instruments révélateurs de la capacité de l’ordre technologique, à réduire les schèmes technologiques à des fonctions très simples et limitées. En effet, l’ordre technologique se développe essentiellement sur la réduction de l’ensemble des gestes répondant à la fibre cognitive, autour d’un unique schème : le « mouvement infime de l’index ».
Ce mouvement intime de l’index fait référence au bouton, objet technique qui a permis la naissance de la technologie en commandant la logique électro-technique. Ainsi, le bouton devient l’organe qui dans une machine, va contrôler l’état d’un système, d’un état allumé ou éteint, d’un état 0 à un état 1. De ce fait, le bouton, élément technique matériel trouve son utilité dans l’ordre technologique. Le bouton, une fois intégré dans ce nouvel ordre, va connaître certains changements dans sa forme, il va devenir moins tangible, il va perdre de son volume pour au final, s’intégrer dans les nouveaux appareils high tech pour devenir une « icône ». L’icône devient ainsi le paradigme, le symbole du fonctionnement technologique tout en incarnant le mouvement de l’index, unique geste humain possédant deux propriétés : commander une action et métamorphoser n’importe quelle action. De ce simple geste, « l’homo technologicus » est réduit avec son seul doigt, à opérer deux uniques protocoles : le clic et la navigation. Le premier déclenche l’action inscrite sur l’icône tandis que l’autre permet de faire son choix parmi l’ensemble des actions proposées par son appareil. De plus, les interfaces qui s’y sont développées, ont fini par amener la supériorité, la dominance de ce geste efficace et énergiquement peu demandeur, précis, relativement univoque, simple à traiter. Cependant, il est important de relever un problème considérable, concernant ce geste indexé. C’est ça caractéristique à avoir un tel manque de richesse gestuelle qui de plus est répétitif, limité et mono- tâche. Par ailleurs, l’apparition des nouvelles technologies a favorisé la dépossession à leurs utilisateurs de toute « technè ». Si nous prenons un exemple concret comme le geste poïétique qui est un geste propre à la fabrication, à la confection, tel le geste du peintre, du sculpteur, de l’artisan, ce dernier affrontait à l’aide des artistes la matière, quand ces derniers étaient dans un processus de création, ils dégageaient ainsi par le geste poïétique une riche « technè » qui avait été appris, perfectionné et répété. Ainsi, l’aspect de l’œuvre est le résultat homo-gène, homo-morphe, d’un geste créateur. Par contre l’arrivée de l’ordinateur, bouleversa toute cette symbolique. Des appareils producteurs de formes et se branchant, se greffant sur le corps de l’artiste ont eut pour effet de modifier le processus de création de l’artiste, mais aussi de contraindre, limiter les gestes de l’artiste qui ne possède plus l’image de l’artiste, mais plus du technicien ou encore celui de l’ingénieur.
— Repenser et revisiter les gestes
Malgré que cette nouvelle ère technologique ait provoqué cet abandon, cette perdition du aussi à sa simplification en un geste unique pour les appareils et tout objet, s’intéresse à une tendance, qui contribuerait à ré-inventer une nouvelle gestuelle, ou à en proposer de nouvelles conditions, de nouvelles de possibilités. Dans cette optique, Krajewski explique que ce nouvel ordre, à amené la libération du corps. Bien que l’on a évoqué que les appareils permettaient une absence totale de gestuelle, nous pouvons constater que ces derniers peuvent nous permettre d’effectuer d’autres activités simultanément comme marcher et allumer sa cigarette par exemple. Le corps devient ainsi nomade grâce à toutes les technologies mobiles qui sera encore plus renforcé, quand le recours de la voix ou de d’autres organes seront employés. De ce fait, en se débarrassant d’une gestuelle typée, voire de toute gestuelle, les actes technologiques sont venus offrir la possibilité de redoubler une activité par une autre. En revanche, le corps ainsi sollicité s’en trouve déboussolé, à moins de s’y être habitué. Un autre point à soulever, Krajewski aborde par la suite la ré- invention des gestes par de nouveaux outils technologiques contrairement aux idées avancées dans les parties précédentes qui laissaient entendre une limitation du geste. C’est pourquoi dans notamment le domaine des jeux vidéos, des objets-interfaces qui ont fait leurs apparitions comme la Wiimote pour la console « WII » ou encore la Kinect pour la Xbox 360 et Xbox One, nous permettent de jouer tout en employant notre corps, des gestes pour faire évoluer le jeu. Dans une tout autre sphère qui est, celui du domaine artistique, l’auteur veut montrer que l’usage des appareils, des capteurs et des nouvelles technologies peuvent être des outils de créations intéressants à employer. Des capteurs, aux interfaces interactives, le spectateur qui est ce contemplateur cet homme debout, qui s’arrête ou s’assied devant un tableau, avant de passer à un autre, finit par devenir un regardeur sollicité à une toute nouvelle enseigne. Les interfaces artistiques lui permettent ainsi, d’explorer de nouvelles façons de rentrer en contact avec leur public, et leurs œuvres se manifestent en accord avec leur public, dont le corps sert d’activateur et de déterminant. La forme déterminée de l’œuvre sera le résultat de l’activation des schèmes algorithmiques qui gouvernent son déploiement morpho- dynamique par la gestuelle du public inter-acteur. De cette façon, nous pouvons constater que « l’homo technologicus », arrive à développer de nouveaux gestes.