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L'âge des spirales - L’éveil de l'esprit

L’histoire de l’Art est une histoire de la relation Homme/Nature voire Nature/Culture. C’est l’histoire de la représentation et si depuis Homo Sapiens nous avons grandi, nous tournons toujours autour de la nature comme on tourne autour d’un pot, sans doute que la science et la technique nous ont donné un peu plus de recul. Ce qui parait dans l’Art et dans l’ornement, c’est précisément cette puissance de l’esprit qui s’éprend du monde, qui le désire et le rivalise. Depuis son enfance, l’humanité à ce désir comme une pulsion proche du Kunstwollen d’Alois Riegl, comme si il y avait quelque chose d’universel dans la façon d’éprouver la beauté et la nature, de l’ordre de l’Evidence.

Au sens Kantien la beauté naturelle est supérieure à la création artistique, c’est « ce qui plait universellement sans concept » [Note critique de la faculté de juger]. Je suis émerveillé par les formes et les forces naturelles car je ne peux expliquer leur cause : Le sentiment esthétique vient de cette impression forte qu’il y a une unité à l’œuvre sans trouver de concept créateur et, en ce sens, l’œuvre d’Art doit effacer sa technique et son labeur pour que sous une apparente spontanéité elle nous soit d’autant plus belle. C’est ce « beau sans concept », on ne peut me convaincre d’aimer car on ne peut convaincre qu’avec des arguments, des critères, des concepts.

En nous dirigeant vers une anthropologie de l’ornement, pouvons-nous réellement affirmer la supériorité de la pensée moderne sur la pensée archaïque ? Souvenons-nous l’intérêt suscité pour les arts extra-Européens lors de la Great Exhibition de 1851 et l’évidence d’un contraste entre une civilisation dominante mais esthétiquement confuse et des nations « non-civilisées » dont l’harmonie décorative était encore intacte. Le « non-civilisé » est à considérer avec précautions car il induit la définition occidentale du « civilisé » comme un état de développement, matériel, intellectuel et social suffisant qui s’oppose au primitif, comme une forme première d’existence. Ce « non-civilisé » veut simplement dire « non-occidental ». Quand Owen Jones emploi le terme de « tribus sauvages » c’est moins péjoratif que ce que l’on pourrait croire car il « renvoie à la culture romantique et au mythe du bon sauvage, à l’idée de pureté et d’innocence ». Pour Owen Jones le désir d’orner existe chez tous peuple comme un instinct très prononcé et l’art de l’ornement semble avoir commencé avec ces tribus sauvages et l’art du tatouage. La surface la plus directe, la plus naturelle qui se trouve à disposition de l’être humain c’est son propre corps et l’ornement prend la dimension symbolique. L’art du tatouage commence au néolithique et le corps se prête magnifiquement aux figures géométriques, les points et les lignes étant les plus répandus, renforçant souvent les traits naturellement présents.

L’idée que défend Owen Jones c’est que la civilisation, le gain matériel, intellectuel et social nous aura finalement éloignés d’un rapport instinctuel et sensible au monde. Voilà pourquoi selon lui les ornements des sociétés tribales sont les plus purs, dans leur capacité à saisir une spontanéité des formes uniquement visible à l’état instinctif. Pour lui, tout être capable d’observer de cette manière peut produire « tous les arrangements géométriques de la forme que nous connaissons ». L’expression géométrique est en ce sens très fortement liée à la notion d’instinct. Le contact direct avec la nature garanti l’authenticité des formes produites et prévaut toute prédisposition technique. Les perception les plus humbles ne sont-elles pas les plus universelles ?

« Parce que l’instant de vérité était pour cette race de chasseurs, le moment apparitionnel où le surgissement du cerf ou du bison ne fait qu’un avec l’irruption de la lumière dans l’écartement des branches ou avec le sursaut de l’espace hanté brusquement d’une présence bouleversante »
[Henry Maldiney – regard, parole, espace.]

Du dictionnaire formel archaïque, la spirale apparait en tant que motif clef et témoigne des premiers ornements à l’intention magique d’envoutement. Elle s’enroule et se déroule dans un temps ou l’involution et l’évolution existent parallèlement. Ornant les vases funéraires, les cérémonies sacrificielles, la spirale témoigne d’une parfaite conscience des cycles de vie et de mort. De son point central se déploie la vie et converge-la mort dans un mouvement intensif du cycle et de la renaissance infinie. Un cheminement à travers le temps sur le rythme céleste du cosmos et à travers les méandres labyrinthiques d’une pensée qui s’éveille. Elle existe naturellement chez les espèces à coquilles, gastéropodes et autres céphalopodes, sur les cornes du bélier ou encore dans le remous des cascades où l’eau s’enfonce tourbillonnante. C’est une matrice ornementale originaire, de l’ornementation spiraliforme du néolithique aux rosaces chrétiennes, aux arbres ésotériques et aux labyrinthes, en passant par les spirales-serpents indoues et les dragons Chinois.

wiki/memoires/ornement/ornement/spirale.txt · Dernière modification: 2015/03/20 16:09 (modification externe)