Dans son essai d’histoire critique sur la typographie moderne, écrit à la fin du XXe siècle, Robin Kinross cite William Addison Dwiggins dans une sous partie appelée Artisanat et expérimentations. Dans le contexte d’une Amérique à la fin du XIXe siècle, une tendance typographique « Haut de Gamme », c’est à dire traditionaliste, influencée par la grande période de re-création de caractère en Europe était fortement ancrée dans le paysage de l’imprimerie de l’époque.
En effet, durant cette période, en Europe, l’arrivée de machine mécanique pour la composition typographique tel que Linotype et Monotype a engendré une grande re-création de caractères traditionnels, comme le Garamond par exemple, afin de les adapter aux contraintes techniques de ces nouvelles machines. William Addison Dwiggins est un dessinateur de caractère Américain du début du XIXe siècle, il a été l’un des premiers à ouvrir un champ de nouvelles possibilités selon une approche serte traditionaliste, mais imprégnée de modernisme à partir des années 1920.
« Un design graphique moderniste ? Le modernisme n’est pas un système graphique - c’est un état d’esprit. C’est une réaction naturelle et saine devant une surenchère de traditionalisme. La plupart des réalisations prétendument quasi modernistes ont été effectuées en 1840. Le modernisme actuel, cet état d’esprit, nous dit : oublions (pour poursuivre nos expérimentations) Alde Manuce, Baskerville, William Morris (et les maîtres des années 1840); emparons-nous de ces caractères et de ces machines et voyons ce que nous pouvons faire tout seuls. Maintenant. Les résultats graphiques de cet état d’esprit sont extraordinaires, souvent extrêmement stimulants, parfois déplorables. Mais le jeu en vaut la chandelle… »
Dwiggins souhaite faire table rase du passé pour insuffler un renouveau dans le paysage typographique de son époque. Il voit à travers les nouvelles machines engendrés par une avancée technologique et leurs contraintes, une opportunité d’expérimentations et d’innovations typographiques. Provoquée par une omniprésence de caractère traditionnel, cette quête de renouveau est stimulée par un besoin spirituel de singularité et de renouveau. Dwiggins analyse le contexte dans lequel il évolue et sous l’angle de cette relation à la technique il veut tenter d’insuffler une nouvelle énergie dans la création de caractère. Il emploie le mot machines, et met en cela, les notions d’atelier et de technique en évidence, et qui serait susceptibles de dynamiser la créativité. Dwiggins incorpore l’espace de fabrication en lien avec la technique pour bricoler, expérimenter créer et produire. Il vise à mettre en évidence des caractéristiques essentielles de l’atelier, aussi bien dans le rapport à l’outillage, à la machine, aux autres et même à soi. Il envisage donc cet atelier non pas seulement comme un faire technique mais comme un milieu technique agissant lui même. On peut donc envisager l’atelier de Dwiggins comme étant poïétique, c’est à dire qui peut déboucher sur une création nouvelle dans une situation donnée.
Ce moment clé - d’un épuisement de forme additionné à une nouvelle manière de percevoir et une avancée technologique - qui donne naissance à une volonté de proposer autre chose, peut être comparé à un phénomène contemporain, qui est celui de l’émergence d’une nouvelle communauté créative dans les FabLabs. En rejoignant le discours de Dwiggins, il y a là aussi un nouvel état d’esprit qui est celui du partage des connaissances et de l’autodidaxie à travers la figure de l’amateur. Ce type de lieu rejoint tout a fait l’idée que Dwiggins se fait d’un design graphique moderniste. C’est à dire qui s’empare de nouvelles techniques pour expérimenter de nouvelles formes et de nouvelles manières de faire même si le résultat final peut parfois être graphiquement parlant, déplorable.